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Cet article fait partie du dossier

L’évolution sous nos yeux

Zoom sur la Covid-19

Scientifique réputé, le Lausannois François Balloux dirige l’Institut de génétique du University College de Londres. Depuis une année, il traque les mutations de la Covid-19 et livre des réflexions presque quotidiennes sur la pandémie dans un fil Twitter qui compte plus de 70 000 abonnés.

Scientifique réputé, le Lausannois François Balloux dirige l’Institut de génétique du University College de Londres. Depuis une année, il traque les mutations de la Covid-19 et livre des réflexions presque quotidiennes sur la pandémie dans un fil Twitter qui compte plus de 70 000 abonnés.

Covid-19 : interview du scientifique François Balloux
François Balloux / © Dom Smaz / Hans Lucas

François Balloux, à quel moment et pourquoi avez-vous commencé à vous intéresser aux virus ?

Voilà vingt ans que je travaille sur les maladies infectieuses de l’homme et des animaux. Les virus sont vraiment étranges, à l’interface de l’inerte et du vivant, et pas forcément très sympathiques. Mais on ne choisit pas toujours de se pencher sur les pathogènes les plus attachants.

Et à la Covid-19 ?

En janvier 2020, une alerte a attiré mon attention. On nous annonçait un cluster avec 51 cas d’un nouveau virus dans la région de Wuhan. Sur le moment, je n’ai pas trop su quoi en penser. En fait, il y a régulièrement des alertes de ce genre dans le monde entier. Au bout de quelques jours, avec ma collègue Lucy van Dorp, nous avons décidé de nous intéresser à l’évolution génétique de ce virus. Nous voulions en particulier suivre en temps réel l’émergence de nouvelles mutations.

Pour quelles raisons ?

Toute mutation d’un virus peut modifier sa contagiosité et sa virulence. Et puis, c’était important de trouver les régions de son génome qui évoluent le moins. Car c’est là qu’il fallait cibler l’action d’un possible médicament ou vaccin. En mai, nous avons publié une première vaste étude qui retrace l’historique des mutations de la covid durant les premiers mois de la pandémie. Nous avons dressé son arbre généalogique sur les cinq continents.

Qu’avez-vous découvert ?

Nous nous attendions à observer des mutations génétiques qui augmentent progressivement la transmissibilité du virus chez l’homme. Heureusement, cela n’a pas été le cas. Sur les premiers génomes que nous avons pu analyser en janvier 2020, le virus avait probablement déjà atteint un optimum de transmissibilité dans l’espèce humaine.

D’où vient ce terme de coronavirus ?

Au micro­scope électronique, ces virus ont une forme de couronne, corona en latin. C’est une grande famille de pathogènes que l’on trouve chez beaucoup de mammifères et d’oiseaux, même chez certains reptiles. La plupart d’entre eux ont un spectre d’hôtes assez large. Actuellement, on connaît sept coronavirus différents qui infectent l’être humain.

Il y a donc d’autres coronavirus qui nous infectent à notre insu ?

Absolument ! Quatre différents corona­virus s’invitent chez nous tous les hivers. Ils provoquent des refroidissements généralement bénins, surtout chez les enfants. Ces pandémies silencieuses ont été découvertes relativement récemment. Ces quatre coronavirus sont probablement tous passés à l’espèce humaine au cours du XXe siècle. A part cela, il y a le SRAS apparu en Chine en 2002 et dont la propagation a pu être maîtrisée. Et enfin le MERS, un virus lié au dromadaire et qui est endémique en Arabie Saoudite. Les symptômes sont sévères mais la maladie peu contagieuse.

Pour en revenir au coronavirus actuel, comment celui-ci s’est-il transmis à l’humain ?

On peut clairement laisser tranquille le pangolin, il a déjà assez de soucis. Je suis convaincu que le virus est arrivé à l’homme via une chauve-souris ou peut-être un petit mammifère carnivore. Sa diversité génétique étant faible, nos études montrent qu’il y a probablement eu un unique cas de transmission à notre espèce, point de départ de la pandémie, à la mi-octobre dans les environs de Wuhan… mais pas à mon avis sur le marché controversé. Voilà qui correspond avec la chronologie du premier cas connu chez un être humain, qui date du 17 novembre 2019. Tous les virus récoltés ailleurs dans le monde dérivent de cette souche apparue en Chine.

Finalement, les vaccins vont-ils résoudre le problème ?

Oui et non. De toute manière, il est clairement trop tard pour pouvoir se débarrasser de la covid. Nous allons devoir apprendre à vivre avec. Mais les différents vaccins conjugués au développement d’une certaine immunité collective devraient grandement nous y aider. Les vaccins les plus avancés des firmes occidentales visent un élément spécifique du virus, la protéine Spike qui reconnaît et s’attache à la cellule humaine. Ces vaccins s’annoncent très efficaces à court terme. Mais ils stimuleront probablement une évolution du virus en favorisant des mutations de cette protéine cible. Actuellement, on connaît déjà une forme mutée, pour l’instant peu fréquente, mais qui pourrait se généraliser. Il faudra alors concevoir un nouveau vaccin. Eh oui, l’évolution biologique, c’est un peu la course perpétuelle aux armements…

Est-il utile et réaliste de vacciner toute la population ?

C’est une question délicate. Idéalement, la vaccination devrait se faire sur une base entièrement volontaire. Des campagnes de vaccinations obligatoires risquent d’éroder encore plus la confiance de la population dans les vaccins. Je prévois des débats de société difficiles. Cela dit, la question ne se pose pas de façon particulièrement urgente. La demande pour les vaccins excédera l’offre pour un certain temps. Les personnes les plus à risque doivent à mon avis être vaccinées en priorité si elles le souhaitent. Il est aussi possible qu’il faille revacciner une proportion de la population à intervalles réguliers comme pour la grippe. Dans tous les cas, l’arrivée des vaccins va faciliter le retour à la normale. Pour cela, il n’est pas essentiel que toute la population se fasse vacciner.

Votre pronostic pour ces prochains mois ?

Le virus ne va pas disparaître mais progressivement se transformer en pathogène endémique, comme de très nombreux autres virus respiratoires qui causent des refroidissements généralement bénins car la plupart d’entre nous y sont immunisés. En bref, la pandémie sera derrière nous lorsque le SARS-CoV-2 ne sera plus qu’un virus parmi d’autres. Bien malin qui sait combien de temps cela prendra…

Comme pour confirmer cette conclusion de François Balloux, à l’heure où nous bouclons ce numéro lundi 21 décembre 2020, une souche mutée de la covid, récemment découverte dans le sud-est de l’Angleterre, défraie la chronique du fait de sa propagation rapide juste avant les fêtes de fin d’année.

La Covid 19 (SARS-CoV-2)

1 800 000 décès de déc. 2019 à déc. 2020

Depuis le séquençage de son génome début 2020, le coronavirus n’a connu qu’un nombre de mutations relativement faible. C’est une bonne nouvelle pour le développement des vaccins. Mais on peut craindre que l’utilisation généralisée de ces derniers sélectionne des souches résistantes.

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Couverture de La Salamandre n°262

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 262  Février - Mars 2021, article initialement paru sous le titre "Zoom sur la Covid-19"
Catégorie

Sciences

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