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Les papillons de la nuit
Près de 500 papillons de nuit au jardin
Depuis trois ans, je vis un fabuleux voyage nocturne avec les papillons de nuit. Rencontre avec un 488e inconnu, un soir de printemps.
Depuis trois ans, je vis un fabuleux voyage nocturne avec les papillons de nuit. Rencontre avec un 488e inconnu, un soir de printemps.
Un jardin dans le piémont jurassien
17 avril 2020, 20 h 32
Ciel voilé, lune absente, vent tombé, température agréable de 17 °C, les conditions sont réunies pour une soirée papillons. Je réunis le matériel sous le regard à la fois habitué et dubitatif de la famille : trépied emprunté à la longue-vue, lampe LED spéciale papillons achetée en Allemagne, batterie USB chargée à bloc et, en guise d’écran, une moustiquaire pour bébé de 2 m de hauteur et autant de large. Avec ça, une frontale, une loupe et le smartphone qui fait office d’appareil photo. Idéalement, il me faudrait aussi un drap blanc au sol pour mieux distinguer les bestioles à terre, mais ce soir je ferai sans. Rien de trop technique finalement.
Séance UV
20 h 57
La lampe aux émissions bleu, vert et violet trône dans le jardin. Il m’a fallu seulement cinq minutes pour tout installer. Chaque fois c’est pareil, l’excitation est à son comble. Quelles bestioles vont surgir de l’obscurité ? Que vont-elles me raconter ? Vais-je découvrir une bête nouvelle, inédite pour mon inventaire ? C’est mon troisième printemps de lépidoptériste noctambule, mais toujours pas de routine. J’ai juste assez d’expérience pour pouvoir faire quelques prédictions, car à chaque saison ses papillons particuliers. Je suis quasiment certain par exemple d’admirer ce soir la citronnelle rouillée ou la phalène du fusain. Ou plutôt Opisthograptis luteolata et Ligdia adustata comme les appellent les spécialistes. Au risque d’en rougir, j’apprécie aussi les dénominations joliment évocatrices en français, même si j’ai conscience que devant la multitude de ce monde, rigueur et classification sont des garanties de sérieux.
Je suis aussi suffisamment novice pour être certain d’être surpris. C’est la recette de l’ inaltérable passion naturaliste.
Avant-première
21 h 12
Surprise, justement ! Vrombissements sur la toile, des hannetons communs débarquent dans leur vol maladroit et bruyant. Eux aussi sont déboussolés par les sources lumineuses. Et puis, au pied du dispositif, je manque de peu d’écraser une chenille décidée à arpenter le tissu rayonnant. Derrière ce monde ailé papillonnant se cachent en effet autant d’incroyables larves qu’une vie entière ne suffirait pas à explorer. Celle-ci, je ne la reconnais pas immédiatement, c’est un expert sur un forum en ligne qui me renseignera le lendemain : une chenille de la superbe écaille chinée que je connais déjà pour la voir voler au jardin en été, même de jour.
Illuminés
Les papillons de nuit sont attirés par nos éclairages, étonnant pour des êtres qui ont justement choisi l’obscurité ! En fait, noctuelles et autres phalènes s’orientent avec les sources naturelles de lumière nocturne, la lune surtout. Lorsqu’en 1880, Thomas Edison brevette l’ampoule électrique, la vie de ces papillons change radicalement avec l’apparition de milliers de fausses lunes qui sont aujourd’hui des milliards. Imaginez une noctuelle qui décide de voler tout droit en se fiant à l’astre de la nuit. Si son repère est en fait un lampadaire, le papillon va tourner, tourner encore puis se rapprocher. Il va alors s’épuiser, se brûler ou se faire manger souvent même avant d’avoir pu se reproduire. Cette attraction est connue depuis plusieurs siècles. Sur cette gravure du Flamand Cornelis Galle l’Ancien datant de 1596, on distingue des personnages qui utilisent des lanternes pour attirer et détruire des papillons jugés nuisibles pour les abeilles.
Ouverture du bal
22 h 04
Le ton est donné, un superbe sphinx du tilleul forme rouge est arrivé (> Les colibris quiproquo p. 40). Pendant ce temps, la hulotte chante à tue-tête. Cela me fait penser qu’un papillon de nuit commun porte aussi ce nom de chouette. Je fais le tour de la tente illuminée en prenant garde de bien protéger mes yeux et de ne jamais regarder directement la LED. J’identifie un dragon aux ailes en toit sur le dos, un halias du hêtre dans sa livrée vert frais, une eupithécie couronnée et plusieurs troénières, espèce abondante en ce moment.
Puis, dans un repli du tissu, j’aperçois une silhouette tout à fait spectaculaire en contre-jour. Je crois l’identifier. J’écarte délicatement la toile, bingo ! La feuille morte du tremble ! Ses ailes antérieures jointes viennent croiser perpendiculairement les postérieures tenues à plat. L’ensemble est découpé et coloré de sorte à rendre invisible le papillon dans un feuillage forestier. Sur mon piège blanc, l’astuce ne fonctionne évidemment pas. Avant de m’intéresser à ces bêtes, je pensais que de telles créatures n’existaient qu’en forêt équatoriale.
Je rentre à l’intérieur de la maison et consulte mes anciennes observations. Je n’en crois pas mes yeux, j’ai observé une feuille morte du tremble au jardin exactement un an auparavant, jour pour jour. Le calendrier de la nature est parfois bluffant.
Numéro 488 !
22 h 45
Retour autour du halo lumineux de tous les espoirs. Les enfants sont couchés cette fois et plus aucun bruit ne trouble le son de la rivière en contrebas. L’inventaire se poursuit : noctuelle des potagers, crénelée, timide, orrhodie tigrée, triple tache… Ah, une inconnue ! Je dis une car j’y vois une noctuelle, famille très riche en espèces. Les deux taches principales de l’aile antérieure – qualifiées d’orbiculaire et de réniforme – sont blanchâtres à centre sale, le tout sur un fond brun-rouge. L’extrémité de l’aile est assez anguleuse. D’autres critères s’ajoutent et la confirmation tombe : noctuelle leucographe. 488e espèce de papillon de nuit identifiée au jardin depuis que j’ai commencé ! Un chiffre impensable pour moi il y a trois ans.
Je veux en savoir plus sur cette Cerastis leucographa. Le bon réflexe, ouvrir un livre : « Papillon plutôt septentrional et oriental, butine le soir les chatons de saule, vit dans les bois clairs de feuillus, la chenille se nourrit de plantains et pissenlits. » Et voilà le lien entre la présence de la bête et son environnement. Les arbres de la rivière en contrebas et les plantes communes de mon jardin que je fais bien de ne pas faucher trop souvent ni brutalement… il n’y a pas de hasard.
Enfin la nuit
23 h 38
Assez perturbé l’obscurité sous prétexte de connaissance biologique. En plus, des chauves-souris s’approchent de plus en plus du spot et exercent une prédation possiblement supérieure à la normale. Il faut dire qu’il y a du costaud dans le coin en plus des pipistrelles de mon bardage : des grands rhinolophes viennent chasser depuis une colonie située à 2 km. Quand ces chasseurs hors pair longent la haie d’aubépines, ils font le ménage.
En débranchant le dispositif, je me demande une fois de plus comment préserver une telle biodiversité cachée ? Au jardin, je vais continuer à jouer la carte la plus nature possible, même si cela entraîne quelques contraintes au potager. Mon village coupe l’éclairage la nuit, je vais l’encourager en tentant d’obtenir le label Villes et villages étoilés. En plus, depuis le début de cette aventure, je transmets toutes mes observations aux associations compétentes par le biais de bases de données en ligne très pratiques et formatrices.
Et enfin, je n’hésite pas à faire parler de la biodiversité locale pour sensibiliser le voisinage. De modestes actions qui en entraîneront j’espère de plus importantes, comme un effet papillon.
Les géants de l’ombre
Comment traiter dans un Miniguide un univers de plusieurs milliers d’espèces ? Pour vous familiariser avec les papillons de nuit de diverses familles, de formes et de couleurs différentes, la Revue Salamandre vous propose une sélection de 33 espèces parmi les plus grandes, dessinées par Sylvain Leparoux dans des positions vivantes, telles qu’on les observe sur un mur, une branche ou un drap.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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