L’impact des cultures de sapins de Noël sur les oiseaux
Le biologiste Robin Gailly a étudié les conséquences des plantations de sapins de Noël sur l'avifaune en Belgique. Ses découvertes sont plutôt surprenantes. Eclairages.
Le biologiste Robin Gailly a étudié les conséquences des plantations de sapins de Noël sur l'avifaune en Belgique. Ses découvertes sont plutôt surprenantes. Eclairages.
Robin Gailly, pourquoi avez-vous choisi d’étudier l’impact des cultures de sapin de Noël sur les oiseaux ?
Dans l’Ardenne belge, les surfaces destinées à la production de sapins de Noël ont fortement augmenté jusqu’à totaliser 3000 à 4000 ha. Comme les plantations se concentrent surtout autour des plus gros producteurs, le paysage est par endroits carrément dominé par ces plantations ! Sachant que les oiseaux liés aux zones agricoles sont particulièrement en déclin, ce type de culture assez intensif et gourmand en intrants était vu d’un mauvais œil par beaucoup de naturalistes. D’autant plus qu’il remplace couramment des prairies permanentes, qui sont plus ou moins épargnées par les traitements chimiques. Il est probable que si les sapins avaient remplacé des champs de maïs, autre culture particulièrement intensive en intrants, la perception de l’impact aurait été différente. Quoiqu’il en soit, étonnamment, il n’y a jamais eu d’études sur la question jusqu’à récemment.
Quelles sont les conclusions de votre recherche ?
Eh bien, ça peut paraitre surprenant, mais j’ai constaté une augmentation du nombre d’espèces et d’individus ! Un résultat à remettre bien sûr dans son contexte. Dans le périmètre de mon étude, le paysage offre à l’origine peu de ressources pour l’avifaune, car il est constitué de vastes prairies fauchées deux à trois fois par an ou densément pâturées, où haies, bosquets et broussailles se font rares… A tel point que des oiseaux sensibles comme le pipit farlouse ou le tarier des prés avaient déjà majoritairement disparu de ces paysages.
Les sapins recréent une hétérogénéité dans le paysage et apparaissent comme un habitat de substitution. Une recherche allemande est arrivée aux mêmes conclusions, dans des stations plus montagnardes, mais également riches en prairies de ce type.
Un exemple d’oiseau qui a tiré son épingle du jeu ?
J’ai étudié plus particulièrement le tarier pâtre, qui a très bien réagi au changement d’affectation. Fait intéressant : cette espèce qui niche habituellement au sol est capable d’adapter son comportement dans le nouvel habitat en construisant son nid dans la frondaison dense des sapins de Nordmann, en lieu et place des touffes d’herbe qu’il utilise habituellement. Cependant, cette capacité d’adaptation n’est certainement pas partagée par toutes les espèces d’oiseaux.
Les sapins offrent donc le gîte… Est-ce qu’ils fournissent aussi le couvert ?
Pas toujours. Déjà, les arbres n’offrent aucune graine parce qu’ils sont coupés jeunes et n’ont pas le temps d’en produire – et de toute manière les oiseaux qui sont capables de les consommer tel le bec-croisé ne nichent pas dans ces zones agricoles. Ensuite, les insectes qui pullulent parfois sur ces arbres, comme les pucerons, ne sont pas particulièrement recherchés. Donc la disponibilité en ressources alimentaires végétales ou protéinées dépend principalement de ce qui pousse entre les sapins. Autrement dit, de la tolérance des producteurs envers les herbes folles. Les graines de ces adventices sont recherchées par les granivores, comme la linotte mélodieuse, et elles attirent aussi toutes sortes de petites bêtes recherchées par les insectivores.
Que trouve-t-on en général entre les troncs d’arbres ?
De tout ! Des cultures conventionnelles au sol nu à peine couvert de mousse à des parterres occasionnellement débroussaillés, en passant par un couvert contrôlé qui consiste à semer par exemple du trèfle ou du plantain. Ceci peut constituer une alternative intéressante, mais l’idéal semble néanmoins d’accepter ce qui pousse spontanément. En laissant la banque de graines en dormance dans la terre s’exprimer par un travail irrégulier du sol, il arrive que des plantes devenues rares dans les cultures intensives voisines réapparaissent. La richesse botanique qui en découle peut potentiellement impacter positivement la quantité d’insectes, tels les syrphes, donc la ressource alimentaire pour les oiseaux. En général, les pratiques évoluent plutôt favorablement, d’une part parce que les produits phytosanitaires sont chers, d’autre part parce que les consommateurs demandent des sapins plus respectueux de l’environnement.
Alors, c’est Noël pour l’avifaune ?
Pas si vite, il faut garder en tête le contexte. Si vous prenez des prairies riches en haies, à partir d’environ 70 m de haies par ha, la présence de plantations de sapins n’enrichit plus la communauté d’oiseaux. La taille des parcelles compte aussi. Lorsque les cultures de sapins deviennent très grandes, le paysage redevient plus homogène. Si un oiseau décidait d’y installer son nid au centre, en l’absence de ressources alimentaires, il devrait faire de longs trajets vers l’extérieur pour nourrir ses oisillons. C’est ce qui a été prouvé pour d’autres cultures non alimentaires comme les saules ou les miscanthus : l’avifaune se concentre surtout en lisière, tandis que le cœur des cultures reste pauvre.
Le fin mot de l’histoire est donc la diversité…
Oui, des dizaines de milliers de sapins en rangs d’oignons ne semblent pas plus intéressants pour la biodiversité qu’une grande prairie intensive. L’espace est saturé avec une végétation homogène et donc des ressources peu diversifiées qui peuvent ne pas satisfaire tous les besoins des oiseaux qui voudraient s’installer pour nicher. L’idéal, c’est donc des plantations de sapins de Noël de taille raisonnable, avec une gestion des adventices extensive, introduites dans des zones pauvres en haies pour apporter de la variété paysagère.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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