La migration de l’épicéa et du sapin blanc
Les résineux adaptés au froid ont-ils entamé un exil vers des contrées plus accueillantes en réaction au réchauffement climatique en cours? Le spécialiste Achille Mauri nous éclaire sur le devenir de ces arbres et nous explique comment l'humain peut leur donner un coup de main... pour faire leurs valises.
Les résineux adaptés au froid ont-ils entamé un exil vers des contrées plus accueillantes en réaction au réchauffement climatique en cours? Le spécialiste Achille Mauri nous éclaire sur le devenir de ces arbres et nous explique comment l'humain peut leur donner un coup de main... pour faire leurs valises.
Ces dernières années, on observe des pans entiers de forêts d’épicéas mourir sur pied. Que se passe-t-il ?
L’épicéa commun est déjà en train de souffrir des changements climatiques. C’est une des essences les plus touchées en Europe, particulièrement en plaine où il a été planté parfois massivement après-guerre. Il est très sensible aux épisodes de sécheresse extrême, qui sont de plus en plus fréquents depuis les dernières décennies. Ses défenses immunitaires baissent et l’exposent aux infestations de parasites comme le scolyte. Sa disparition n’est pas pour autant programmée. Il va probablement trouver encore des niches où il parviendra à se régénérer naturellement.
Tous nos paysages forestiers vont-ils se métamorphoser à l’avenir ?
Oui. Les arbres sont capables de s’adapter à de nouveaux environnements, ils ont même survécu aux grandes glaciations en se retirant temporairement dans des refuges. Mais c’est sans compter la vitesse du changement climatique. Dans une étude récente, nous avons modélisé la distribution potentielle de 67 espèces d’arbres en Europe d’ici la fin du siècle. La tendance est un déplacement vers le nord et vers de plus hautes altitudes. Mais on s’en doute, sans pattes ni ailes, ces végétaux ne peuvent compter que sur la dispersion des graines. Elles sont transportées par le vent ou les animaux sur quelques dizaines ou centaines de mètres, tout au plus dizaines de kilomètres. En tenant compte de ces capacités de dispersion limitées, ainsi que des barrières géographiques et humaines existantes, on s’attend à des pertes dramatiques de populations. En prenant comme base un scénario d’émissions de gaz à effet de serre modéré, on constate que les services écosystémiques rendus par la forêt diminueraient en moyenne de 15% en Europe, accompagnés d’effets en cascade sur la biodiversité.
Peut-on éviter ce désastre annoncé ?
Dans une certaine mesure, oui. On peut aider les arbres dans leur migration en les favorisant ou en les plantant dans les zones où ils seront particulièrement adaptés aux conditions futures, compensant ainsi les pertes. C’est ce qu’on appelle la migration assistée. Cela revient à accélérer le mouvement des arbres. Avec un succès très différent suivant les régions : dans les Alpes, la tendance serait même inversée, car services rendus par les forêts seront encore plus élevés qu’aujourd’hui. Tandis qu’en méditerranée, les pertes seront inévitables: 33% avec intervention humaine, contre 52% sans. Mais le futur reste incertain : tout comme il existe des scénarios climatiques plus pessimistes, il reste aussi de l’espoir. Par exemple, faute de données, nos modélisations n’ont pas tenu compte de la répartition nordafricaine de plusieurs espèces méditerranéennes comme le chêne vert. Et donc de leur tolérance potentiellement plus élevée à des températures extrêmes. Si nous avions pu en tenir compte dans nos analyses, les projections auraient été moins pessimistes.
Quels sont les bons arbres candidats à la migration assistée dans nos forêts ?
Difficile de donner des exemples. Car tout dépendra des conditions locales de températures, précipitations et sols. Ce qui est sûr, c’est que des feuillus comme les chênes vont gagner du terrain sur les résineux à basse altitude. Et pour remplacer l’épicéa, le sapin blanc est un candidat sérieux bien qu’il soit limité par ses besoins en humidité. Suivant les modèles utilisés, les études sont contradictoires. Mais des données paléoécologiques ont révélé qu’il poussait autrefois dans un climat probablement plus sec et chaud. D’ailleurs encore aujourd’hui, une population s’épanouit en Toscane, à seulement 60 m au-dessus du niveau de la mer. Là, il est tout à fait capable de se régénérer naturellement. Mais il reste un problème majeur : les jeunes sapins sont très souvent victimes de la dent des chevreuils, chamois et cerfs. Et là, c’est un autre débat sur la régulation des ongulés…
Quant à introduire des arbres exotiques d’autres continents, bonne ou mauvaise idée ?
Il faut rester prudent, car on ne connait pas toutes les conséquences écologiques, comme la dispersion d’éventuels parasites. Il faudrait s’assurer par des suivis que les nouveaux venus réussiraient à s’acclimater sans supplanter les espèces natives. Un exemple plutôt réussi est le sapin de Douglas, installé dans nos pays depuis longtemps. Il est probablement encore plus tolérant que le sapin blanc aux épisodes de sécheresse. Ce qui ne justifie pas des monocultures géantes de cette essence. Des forêts mélangées, riches en essences et en classes d’âges, seront assurément plus résilientes aux perturbations et au stress climatique à venir.
Le défi est de taille…
D’autant plus qu’il faut trouver un équilibre entre les différents besoins de la société, sans s’attacher uniquement aux considérations économiques : biodiversité, protection des zones habitées, aires de loisirs, etc. Une chose est sûre, les arbres sont nos alliés dans la lutte contre le réchauffement climatique : les forêts sont des puits de carbone, tandis que le bois peut remplacer de nombreux matériaux de construction basés sur les énergies fossiles. Partant de ce fait, les pays européens ont prévu de planter 3 milliards d’arbres. Reste à passer des paroles aux actes : trouver les bonnes essences à l’échelon local, adapter la filière bois en visant une économie circulaire et agir immédiatement à l’échelle nationale et internationale pour lutter contre les changements climatiques…
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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