© Sandra Bartocha

Cet article fait partie du dossier

Enfin la pluie !

Immersion sous la pluie

Se balader des heures sous la pluie, quelle drôle d’idée ! Pourtant, après avoir tenté l’expérience, je peux affirmer que l’expression mauvais temps n’est pas appropriée.

Se balader des heures sous la pluie, quelle drôle d’idée ! Pourtant, après avoir tenté l’expérience, je peux affirmer que l’expression mauvais temps n’est pas appropriée.

14 h 02 Les perles d’eau s’accumulent sur mon imperméable. Je suis encore à la lisière du bois lorsqu’un rouge­­gorge vient se poser face à moi. Curieux, il sautille en s’approchant, comme pour me souhaiter la bienvenue. Avec son plumage détrempé, il est bien moins élégant qu’à l’accoutumée. J’entre dans la forêt en regardant où je mets les pieds, car le sentier est une véritable autoroute à escargots. Se promener par ce temps peut paraître incongru.
Ne dit-on pas « ennuyeux comme la pluie » ? La visibilité est réduite, tout est détrempé, la boue colle aux chaussures... Certes, mais je redécouvre cet endroit, assez fréquenté en temps normal. Je suis le seul humain à arpenter la forêt sous cette averse. Je profite de ce calme pour mettre tous mes sens en éveil.

Mes yeux sont captivés par les feuilles de chêne, de lierre, de hêtre et d’aulne, si brillantes qu’elles semblent vernies. Tels de petits miroirs, elles reflètent la lumière vers le ciel blanc-gris. Je n’entends rien d’autre que le bruit des gouttes frappant l’humus et la végétation, pas même un chant d’oiseau. Et puis, il flotte dans l’air cette odeur caractéristique de forêt humide, j’avais oublié à quel point elle peut être prégnante. La mousse sur le tronc des arbres est imbibée. J’y pose ma main et elle libère toute l’eau emmagasinée, comme le ferait une éponge.

Les rares fois où je sors sous une telle rincée, je me fais la même réflexion : je devrais l’expérimenter plus souvent ! A plusieurs reprises, j’ai changé de programme, reportant une excursion à cause d’un temps pluvieux. Quel dommage, il y a toujours de quoi s’émerveiller ! Jamais monotone, le crépitement des gouttes faiblit par moments avant de s’intensifier à nouveau, au rythme d’un bâton de pluie. Cela m’évoque ce poème de Verlaine appris à l’école : « Ô bruit doux de la pluie, par terre et sur les toits, pour un cœur qui s’ennuie, ô le chant de la pluie ! » C’est tellement agréable d’expérimenter au grand air cette ambiance sonore que l’on diffuse parfois chez soi pour se relaxer !

La dernière fois que je suis sorti sous la pluie, c’était à la fin du printemps, de nuit, pour observer des salamandres. Aujourd’hui, je n’ai pas de but particulier. Mais j’ai l’assurance de trouver ici des atmo­sphères inhabituelles, des effluves nouveaux, des teintes différentes…

Certes, la faune se fait plutôt discrète jusqu’à présent. Mais quel bonheur, quel bonheur simple que de marcher dans la forêt ! La pluie est vite oubliée quand, plein de curiosité, on s’interroge devant une cavité creusée dans un tronc, une pomme de pin grignotée, un lichen coloré ou une plante que l’on ne connaît pas. En avançant dans le sous-bois, une forte odeur de champignon se fait sentir. J’ai beau chercher, je n’arrive pas à identifier d’où elle provient.

Le sous-bois est verdoyant, couvert d’herbes hautes et de jeunes pousses d’arbres. En ce mois d’août, la pluie est plutôt généreuse et je m’en réjouis. Elle est parfois violente, lorsqu’une averse orageuse soudaine s’abat sur un sol desséché. L’eau ruisselle alors sans s’infiltrer dans la terre aride. Mais aujourd’hui tombent plusieurs ondées successives, qui alimenteront les nappes phréatiques. Chaque millimètre supplémentaire est le bienvenu, éloignant le spectre de plus en plus commun de la sécheresse que je connais trop bien. J’ai grandi en Provence où l’eau tombe certains étés plus des canadairs que des nuages. Je mesure donc l’importance vitale des précipitations du jour.

C’est tellement agréable d’expérimenter au grand air cette ambiance sonore que l’on diffuse parfois pour se relaxer !

© Sandra Bartocha

14 h 47 Pluie battante toujours, mais le voile nuageux s’est soudainement déchiré, laissant percer un rayon de soleil, dans une superbe ambiance où chaque perle d’eau est illuminée. Le couvert forestier de plus en plus dense me protège et je peux donc enlever ma capuche. Mes oreilles captent enfin toute la subtilité des sons qui m’environnent. Une grive musicienne s’affaire à la recherche de nourriture. Elle soulève énergiquement les feuilles mortes détrempées, faisant voler des dizaines de gouttelettes.

15 h 23 Sur mon petit nuage, je découvre soudain des pneus abandonnés au croisement du sentier avec une route. Tristesse et colère ! L’humain a-t-il besoin de laisser partout sa trace artificielle ? La beauté est-elle si insupportable qu’il faille à tout prix la gâcher ?

Perdu dans mes pensées, je ne sais plus exactement où je suis. N’ayant pas préparé d’itinéraire précis, je me laisse aller au gré des bifurcations, une fois à gauche, une fois à droite. Mon regard est attentif à tout ce qui se passe mais j’en oublie de regarder où je pose les pieds et manque de glisser sur une racine humide.

Un milan noir plane dans le carré de ciel au-dessus d’une petite clairière. Des fleurs de fin d’été bordent le chemin : marguerite, scabieuse, callune… L’orchidée céphalanthère rouge et le lotier corniculé sont déjà fanés. Les ronciers portent des mûres bien charnues. J’en goûte quelques-unes, peu sucrées mais bien juteuses. On pourrait croire que les insectes ont fui, mais en y regardant de plus près, je remarque ici un frelon dans un creux d’écorce, là des pucerons et leurs acolytes fourmis sous l’envers d’une feuille. Quelques notes hésitantes d’un grillon se font entendre.

Pluie battante toujours, mais le voile nuageux s’est soudainement déchiré, laissant percer un rayon de soleil.

© Sandra Bartocha

16 h 15 Cette fois, la pluie a quasiment cessé. Presque instantanément, les mésanges s’agitent dans les cimes, un merle entame à tue-tête sa mélodieuse partition. J’apprécie beaucoup cette transition, quand l’averse laisse place à l’accalmie. Alors que le sentier grimpe, les gros arbres moussus laissent place à de jeunes plantations. Les branches des chênes, courbées sous le poids de l’eau, gênent mon passage. Je les écarte au fur et à mesure, mais j’en oublie une par inattention et paf ! Elle me fouette le visage et me voilà trempé.

Cela fait plus de deux heures que je marche, je ferais bien une petite pause. Un gros rocher m’offre un parfait promontoire. Je m’assieds et j’attends, écoutant et observant ce qui s’offre à moi. Tout près, une araignée se déplace sur sa toile, couverte de milliers de gouttes qui mettent en valeur sa géométrie parfaite. Au loin résonne le cri sonore et plaintif d’un pic noir. Comme venue de nulle part, une brume épaisse enveloppe le sous-bois dans une ambiance quasi fantastique.

Je reprends ma balade et m’enfonce dans une combe très humide, où chaque pierre est couverte de mousse. Alors que je surplombe de vieux arbres, un rapide mouvement attire mon attention. C’est lui, le pic noir ! Il vient de se poser sur un tronc en contrebas, juste à ma hauteur ! Je crois qu’il ne m’a pas vu. Jamais je n’avais observé d’aussi près son élégant costume ébène, sublimé par sa calotte rouge. Dommage, mon appareil photo est dans le sac. Pas la peine de prendre le risque de faire fuir l’oiseau, je me contente des jumelles que j’ai autour du cou, les portant tout doucement jusqu’à mes yeux. Je profite ainsi de la scène comme si j’étais huit fois plus près, distinguant parfaitement la pupille sombre cerclée de blanc du plus grand pic d’Europe. Celui-ci finit par décoller et je reprends mon chemin. Sous le feuillage d’un if, de nombreux moucherons volettent. Une tipule impassible, suspendue tête en bas sous une branche, semble figée.

17 h 07 A nouveau dans un secteur familier, j’approche du torrent. Depuis le sentier, il est plus bruyant que d’ordinaire. Je descends à tâtons vers la berge, en prenant garde de ne pas glisser sur une pierre mouillée. A mon arrivée, un héron cendré s’envole. Etonnant ! Je ne pensais pas qu’un oiseau de cette envergure fréquenterait un espace aussi encaissé et boisé. Un cincle plongeur picore ici et là quelques insectes aquatiques. Est-ce à cause de l’eau brune ou du fort débit qu’il ne s’immerge pas totalement comme il le fait d’habitude ? Au milieu des flots agités, il se déplace en sautillant sur les rares rochers apparents. Puis, il remonte le cours d’eau de son vol vibrant et je le perds de vue.

Le ciel se dégage pour de bon, je vais rentrer. A quoi bon rester dehors alors qu’il ne pleut plus ?

Presque instantanément, les mésanges s’agitent dans les cimes, un merle entame à tue-tête sa mélodieuse partition.

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Enfin la pluie !

Couverture de La Salamandre n°271

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 271  Août - septembre 2022, article initialement paru sous le titre "Immersion pluvieuse"
Catégorie

Sciences

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