© Andrea Ambrogio

Cet article fait partie du dossier

Vipère, la pacifique

A la recherche de la vipère à sa sortie d’hibernation

Nul besoin d'attendre l'été pour observer des vipères. Au mois de mars elles sortent de leur sommeil hivernal, c'est le moment de les débusquer. Direction le massif du Jura.

Nul besoin d'attendre l'été pour observer des vipères. Au mois de mars elles sortent de leur sommeil hivernal, c'est le moment de les débusquer. Direction le massif du Jura.

N’attendez pas forcément juin pour guetter les serpents. Les températures élevées poussent la plupart d’entre eux à se mettre à l’abri. « A cette saison, il faut être matinal ou profiter d’une éclaircie après la pluie. » Voilà le conseil numéro un d’Alix Michon, une férue de reptiles qui en a fait son métier à Besançon. C’est pour cela qu’avec cette herpétologue, j’étais aux aguets dès le mois de mars pour préparer ce dossier.

Six pieds sous terre

A la recherche de la vipère à sa sortie d'hibernation dans une grotte
© Andrea Ambrogio

15 mars.

Fin d’après-midi, mon téléphone vibre et le message d’Alix Michon me surprend. « Davy G. a vu une vipère en train de se réveiller dans son trou. » Il fait nuit, il pleut, je ne comprends pas tout. Le second message, en provenance du découvreur lui-même, n’est guère plus explicite : « Rendez-vous à 22 h 30, tu viens ? » L’incongruité de la situation attise ma curiosité. J’enfile une veste imperméable, des chaussures de marche et j’attrape une lampe frontale.
Une demi-heure plus tard, je rejoins l’équipe d’herpétologues dans une prairie détrempée. Les vieux tas de neige et le crachin me laissent dubitatif quant à la tournure de cette aventure. Après une petite marche, nous nous retrouvons devant une cavité à peine visible. « Il faut faire quelques mètres à quatre pattes d’abord. » De la spéléo ? Il ne manquait plus que ça…

Avec appréhension, je passe en deuxième. Mes épaules et ma tête cognent les parois. Au bout du tunnel, une salle obscure. Ploc ploc. Les stalactites libèrent des gouttes d’eau qui résonnent dans les flaques. On dirait une farce. Je suis censé être ici pour voir un serpent ! « Elle est toujours là ! ». Notre guide pointe en avant son faisceau lumineux. J’aperçois une tache sombre, perchée sur une minuscule vire, à un mètre de haut. Incroyable ! Une vipère aspic nous dévisage. Teintée de gris et barrée de noir sur toute sa longueur, elle est réveillée. Sa langue sort discrètement de sa bouche par moments.

Avec cette première rencontre, je prends conscience d’un phénomène fondamental : les vipères hibernent à l’abri pendant des mois. Cet adulte a trouvé sa planque à quelques mètres sous terre, à une température constante et tout à fait confortable d’environ 10 °C. Dans quelques jours ou quelques semaines, quand les conditions extérieures le permettront, la bête sortira par là où nous sommes entrés. En attendant, nous la laissons achever tranquillement sa pause hivernale dans l’obscurité la plus totale. En me retournant, j’aperçois un autre gardien du lieu, pendu par les pattes : un petit rhinolophe. Observer une chauve-souris et une vipère à 2 m l’une de l’autre, je ne pouvais imaginer scène plus fascinante en cette fin d’hiver.

A la recherche de la vipère à sa sortie d'hibernation
© Andrea Ambrogio

Longue pause

La plupart des reptiles stoppent leur activité dans nos régions entre octobre et février, avec des variations selon la tolérance au froid des espèces. Le lézard des murailles peut sortir lors d’une chaude journée d’hiver. La vipère péliade, peu frileuse, s’active parfois dès fin février. Durant l’hibernation, les reptiles se cachent dans une cavité souterraine, un terrier ou les dessous d’une vieille souche pour passer de longs mois en sécurité et à une température stable.

Température ressentie

28 mars au matin. Elles doivent être sorties cette fois. Le beau temps règne en maître depuis plusieurs jours. « Rien n’est joué, les nuits sont fraîches et la bise souffle », tempère Alix Michon sur la route du sud du Jura. L’herpétologue de la Ligue pour la protection des oiseaux de Franche-Comté déploie ses cartes sur lesquelles sont pointées d’anciennes données de vipère aspic. Cette sortie sera l’occasion d’en contrôler quelques-unes. Notre première halte a lieu sur une pelouse sèche parsemée de dalles calcaires, de genévriers et de buis rongés par le papillon pyrale. L’alouette lulu chante à pleins poumons avec l’horizon du Haut Jura enneigé comme décor.

Comment s’y prendre ? « Mets-toi dans la peau d’une vipère, me souffle la naturaliste. Dis-toi qu’elle cherche chaleur et sécurité. » Je comprends : je dois scruter au pied des buissons épais, côté soleil levant et à l’abri du vent. C’est parti ! « Marche avec des pas légers, les serpents sentent les vibrations du sol. » Cette remarque très juste freine mon départ trop enthousiaste. A 10 h 34, Alix annonce « une femelle de lézard vert ! ». L’animal de couleur jeune pousse est très bien camouflé dans la mi-ombre de la litière printanière. Son ventre est le plus plat possible pour capter au maximum les rayons solaires et compenser la fraîcheur du vent. J’avoue à ma guide du jour que j’avais la tête en l’air, à la recherche de rapaces, lorsqu’elle a signalé ce premier reptile. « Un herpéto doit regarder le sol avec une patience sans faille et un souci du détail très aiguisé », renchérit-elle avec un sourire évocateur. Très bien, je reprends ma quête. Je remarque l’ombre des brindilles nues sur les feuilles de chêne brun terre : on dirait un dos de vipère. Je réalise l’importance du mot détail au royaume du mimétisme.

Je me concentre, ce qui me permet de débusquer enfin un mâle de lézard vert, dit aussi lézard à deux raies. J’en détecterai cinq au total, avec des gorges plus ou moins bleues. Mais, après une heure trente de recherche, zéro vipère.

A la recherche de la vipère à sa sortie d'hibernation
© Andrea Ambrogio

Thermomètres vivants

Du printemps jusqu’à l’automne, la préoccupation principale des serpents est de réguler leur température interne en l’exposant plus ou moins à celle de l’environnement. Il fait frais ? La bête pense soleil, abri du vent et support isolant comme la litière sèche. Un danger guette ? L’animal cherche un couvert conducteur, comme une tôle, une tuile ou une pierre plate, lui offrant chaleur et sécurité. Canicule ? Le serpent vise une anfractuosité rocheuse ou un terrier profond, un abri près de l’eau ou même le sous-sol d’une maison.

Chez Jean-le-Blanc

28 mars après-midi. Je propose d’aller sur un site très fréquenté par le circaète, un rapace grand amateur de serpents. Ce sudiste atteint dans le Jura sa limite de répartition. Chaque printemps, je suis épaté par ce chasseur aux yeux surpuissants qui détecte vipères et autres couleuvres depuis le ciel. En comparaison, je me sens aveugle au monde des serpents. Il est passé midi, la température atteint 16 °C. Lézards et papillons font tous bronzette. Je me demande s’il n’est pas trop tôt en saison pour observer la fameuse aspic. En posant la main sur une pierre, je réalise la fraîcheur du calcaire blanc. La sensation de chaleur ressentie sur la peau par rayonnement est trompeuse, l’inertie de l’hiver engourdit le sol jurassien.

Pourtant, le paysage est magnifique : des coteaux caillouteux très bien exposés, pâturés de façon extensive et riches en buissons. « Une vipère ! Youhou… une aspic… viens vite ! » La joie d’Alix est instantanément contagieuse. Je fonce. Là, à nos pieds, un serpent très fin se tient à l’abri entre deux blocs rocheux, étendu au sud-est et orienté vers l’astre du jour, son meilleur allié. Sa robe est d’un brun terreux assez froid, marqué de tirets noirs transversaux. La bête mesure moins de 30 cm, c’est un vipéreau de l’année passée. Je remarque sa queue courte et un bandeau sombre et élégant en arrière de l’œil. Le temps de quelques photos et elle disparaît. Son éclipse s’est faite sans un bruit, contrairement au lézard qui fuit en courant sans se soucier de son ramdam. Soucieuse de gagner de l’info, Alix s’enthousiasme : « Super, c’est une nouvelle station, avec en plus la preuve d’une reproduction réussie ! »

Eloignons-nous pour laisser la jeune vipère ressortir à sa guise. Je demande à Alix pourquoi elle ne l’a pas attrapée comme tant d’herpétologues le font. « Je n’empoigne quasiment jamais les serpents, sauf en cas d’urgence pour les sauver d’une situation à risques. Pourquoi leur rajouter du stress inutile ? » Une réponse qui me plaît beaucoup. Nous ne reverrons pas d’autre serpent ce jour-là. Il était moins une…

Le circaète Jean-le-blanc, un rapace prédateurs des serpents
© Andrea Ambrogio

Danger aérien

Seul oiseau européen spécialisé dans la chasse aux reptiles, le circaète Jean-le-Blanc les repère à l’affût ou en vol stationnaire. Un couple avec un jeune au nid peut capturer l’équivalent de 700 couleuvres en une saison de reproduction. Lors de sa première nidification en Valais en 2012, le manque naturel de couleuvres a conduit le couple reproducteur à se focaliser sur les vipères, plus petites et donc moins nourrissantes. Bilan : les deux chasseurs aux yeux d’ambre ont attrapé près de 900 aspics entre mars et septembre. Une vraie razzia !

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Vipère, la pacifique

Couverture de La Salamandre n°252

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 252  Juin - Jullet 2019, article initialement paru sous le titre "De l’ombre à la lumière"
Catégorie

Dessins Nature

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