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Le chevreuil sort du bois

Relations entre l’homme et la nature, que devient le sauvage  ?

Brocards dans les blés, renards de boulevard… Où est passée la nature, la vraie ? Le coup de gueule du philosophe naturaliste Luc Strenna.

Brocards dans les blés, renards de boulevard… Où est passée la nature, la vraie ? Le coup de gueule du philosophe naturaliste Luc Strenna.

Que devient le sauvage ? - La Salamandre luc strenna philosophe
Luc Strenna

Luc Strenna

S’il y a un expert du faucon crécerelle en France, c’est bien lui. Pionnier de la protection des rapaces en Bourgogne, ce naturaliste passionné a mené de nombreuses études sur les oiseaux. Enseignant de philosophie à la retraite, Luc Strenna s’intéresse depuis longtemps aux rapports entre homme et nature.

L’image d’un chevreuil dans un champ représente pour beaucoup de gens l’expérience d’un contact avec la nature sauvage. Réalité ou vision romantique ?

Sous le règne de l’agriculture industrielle intensive, la naturalité d’un champ de céréales est un fantasme. C’est une bonne illustration de la schizophrénie de l’être humain. On admire le chevreuil dans les cultures et en même temps on participe sans aucun d’état d'âme à l'écocide général.

*Ecocide

nom masculin

Mot d’apparition récente construit sur le modèle d’homicide signifiant la destruction d’un écosystème.

D’une part l’homme écrase la nature, de l’autre il réalise son importance…

Il l’écrase en effet, souvent dans une situation de double contrainte. En France par exemple, des directives de l’Office National des Forêts prescrivent de maximiser le rendement financier de la forêt à court terme tout en ménageant la biodiversité… Impossible ! La surface de l’écosystème forestier a augmenté mais sa diversité biologique diminue à grande vitesse. La filière Bois énergie , pratiquée sous couvert d’impératifs écologiques et en effectuant des coupes rases, empêche le renouvellement de l’humus. La généralisation du chauffage au bois est donc une solution écologique tout à fait discutable de ce point de vue. Sans oublier la pollution par les particules...

*Double contrainte

nom féminin

En psychologie, injonction de deux contraintes contradictoires dont l’une implique l’interdiction de l’autre et réciproquement, ce qui rend la situation intenable.

Et le chevreuil dans tout ça ?

Ces dernières décennies, les pratiques forestières ont favorisé son explosion démographique. Mais une surexploitation au nom du Bois énergie risque de le priver de nourriture et de le cantonner dans les champs, où il sera confronté aux pollutions chimiques de l’agriculture industrielle.

D’où l’importance des réserves naturelles…

Non ! Sauver des lambeaux de nature donne bonne conscience, mais en réalité cela offre de minces alibis voire des permis de saccager l’environnement partout ailleurs. C’est la nature ordinaire qu’il faut préserver au lieu d’intervenir ponctuellement à grands frais.

La nature a-t-elle besoin de nous ?

Tel ou tel type de nature oui. La nature en général en aucun cas. Rappelons-nous qu’elle s’est très bien passée de l’homme durant des milliards d’années.

Le sauvage existe-t-il encore dans nos contrées ?

La nature sauvage stricto sensu, indemne de toute influence humaine, n’existe quasiment plus. Même les dernières forêts vierges subissent la pollution atmosphérique. Mais on peut parler de milieux plus ou moins sauvages. Tout dépend où l’on met le curseur.

Quelle est la position de l’homme contemporain dans l’écosystème terrestre ?

Selon la belle formule du philosophe hollandais Spinoza, l’homme n’est pas un empire dans un empire mais une partie de la nature qui, comme toutes les autres, est soumise aux mêmes lois. Même les transhumanistes sont bien forcés de l’admettre.

*Transhumanisme

nom masculin

Aspiration à créer un homme nouveau aux capacités illimitées et virtuellement immortel grâce à la technique et notamment aux biotechnologies.

Quelle a été l’influence du progrès sur notre relation avec la nature ?

Rendue possible par le prodigieux essor de la science moderne, l’innovation technique aurait dû rester un moyen au service des intérêts supérieurs de l’humanité. Or le progrès a contaminé les fins qu’il aurait dû servir et a démultiplié la férocité des appétits égoïstes. C’est le contraire de ce qu’espéraient les philosophes du XVIIe et du XVIIIe siècle comme Descartes ou les partisans des Lumières. Cette évolution a ainsi confirmé les sinistres pressentiments de Rousseau.

Y a-t-il encore des peuples en harmonie avec la nature ?

C’était le propre des sociétés sans écriture dites primitives , qui pratiquaient l’animisme, c’est-à-dire qui croyaient au caractère animé des vivants, des objets et des phénomènes naturels. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques fragments épars, soumis à l’implacable pression de la mondialisation. Certaines d’entre elles résistent avec un courage qui force toute mon admiration, notamment des tribus indiennes d’Amazonie.

Naturalité est-il synonyme de biodiversité ?

La nature fabrique naturellement de la biodiversité. Quant à la naturalité, c’est le degré de sauvage, d’intouché. Certains milieux naturels peuvent abriter moins d’espèces vivantes que certains biotopes artificiels. Le désert par exemple se caractérise par une grande naturalité mais par une faible diversité biologique, alors que c’est l’inverse dans une mare judicieusement creusée.

Et le bocage avec ses haies ?

Ce paysage traditionnel illustre les contradictions dans lesquelles nous nous sommes enfermés. Il abrite une biodiversité intéressante, du moins si les traitements du bétail ne le vident pas de ses insectes. Mais c’est au prix d’une contrepartie coûteuse écologiquement: la production de viande. Une vache de 700 kg nécessite 7 tonnes de végétaux pour sa croissance. Néanmoins, les haies sont d’une importance primordiale pour maintenir de la biodiversité dans les paysages cultivés.

Nous régulons la nature et la biodiversité. Mais Qui va limiter l’espèce humaine ?

Nous-mêmes. Et l’on peut craindre que ce soit par des catastrophes que nous aurons engendrées.

L’empreinte écologique de l’homme sur la planète est tellement forte que les géologues proposent de nommer l’époque actuelle Anthropocène…

Je suis d’accord avec ce terme popularisé par le scientifique néerlandais Paul Crutzen. Même si à cette échelle géologique une chose est très probable : l’espèce humaine disparaîtra de la Terre. Cela n’est ni triste, ni gai. Simplement naturel.

Continuer votre lecture avec une petite leçon de philosophie sur l'eau, un élément essentiel à la vie.

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Le chevreuil sort du bois

Couverture de La Salamandre n°239

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 239  Avril - Mai 2017, article initialement paru sous le titre "Que devient le sauvage  ?"
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Écologie

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