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Vous avez dit lézard ?
Lézard des murailles, un dragon à la maison
Si discret et pourtant il est là depuis toujours. Silencieux, inodore, coupable d’aucun pillage ni du moindre dégât, le lézard des murailles serait-il le colocataire idéal ? Carnet de terrain à domicile.
Si discret et pourtant il est là depuis toujours. Silencieux, inodore, coupable d’aucun pillage ni du moindre dégât, le lézard des murailles serait-il le colocataire idéal ? Carnet de terrain à domicile.
Maison à louer de mars à octobre, pour couple de lézards avec enfants : ossature bois, quatre façades mi-bardage mi-crépi, fissures et imperfections, terrasse plein sud en robinier, muret en pierres sèches, graviers ici ou là.
Nul besoin de diffuser une telle annonce dans la gazette locale, les fins reptiles se sont incrustés chez moi petit à petit, incognito, et sûrement avant moi, alors que la maison était en travaux ! Aujourd’hui, c’est décidé, après dix ans de cohabitation, il est grand temps de faire connaissance avec ces lézards des murailles. Ma méthode est simple et pas vraiment sportive, m’asseoir par terre, immobile, et attendre en guettant le moindre mouvement. J’ai testé pour vous !
Piège en eau froide
22 juin | 15 h 32 | 31 °C
Oh la bourde ! Tandis que je m’apprête à utiliser le grand seau vert qui sert à récupérer les fuites du robinet extérieur, j’aperçois un lézard qui flotte, immobile, à la surface de l’eau. C’est vraiment la chose à ne pas faire et je le sais, bon sang ! Ces récipients à parois lisses et verticales sont de vrais pièges à bestioles en tout genre. D’ailleurs, un coléoptère partage cette piscine macabre avec le reptile. Par chance, lorsque je passe la main dessous, le lézard se met à gigoter. Vraisemblablement parce que je lui inflige un nouveau stress en le manipulant, et non pour exprimer sa joie d’être sauvé. Quoi qu’il en soit, j’écourte ce contact non consenti et libère l’animal sur les lattes brûlantes de la terrasse. Je vide aussitôt l’eau au pied du pêcher et installe une planche échappatoire dans le seau.
J’espère que le choc thermique entre l’eau froide et l’air brûlant n’a pas été trop difficile à encaisser pour le fragile animal. Comme tous ses cousins lézards, la température de son corps évolue avec celle de son environnement et il est incapable de la réguler. Sa chaleur interne – et donc sa vie ! – dépend alors de l’endroit précis où il se trouve. Certains déplacements d’à peine quelques centimètres, effectués sans aucune raison apparente, sont donc le fruit d’une subtile recherche de confort thermique. Ce rapport permanent au mercure, je l’ai constaté dès le début de ce carnet de terrain, il y a quelques mois. Tout a commencé au sortir de l’hiver…
Pourquoi les reptiles prennent-ils le soleil ?
Ni chaud ni froid
Point de ventre chaud pour couver les œufs de lézard des murailles ! Un sol sableux fera l’affaire, idéalement à 29 °C. Dans ces conditions, la naissance a lieu après environ un mois alors qu’elle serait deux fois plus tardive à 23 °C. Et pour un jeune, naître assez tôt en saison, c’est une garantie de survie. Gare à l’excès toutefois : à 35 °C, la croissance rapide des embryons engendre des juvéniles plus petits avec moins de réserve de graisse et une locomotion moins vive.
Y a pas de lézard
Flash-back au 23 février | 13 h 24 | 20 °C
La météo est folle en cette fin février. Des records de douceur relevés un peu partout défraient la chronique. On note par endroits 40 °C d’écart entre les minimas du début de mois et les maximas de la dernière décade. Des conditions à faire tomber du lit n’importe quel lézard hivernant ? Je mène mon enquête auprès d’autres naturalistes et pianote sur l’ordinateur pour fouiner dans les bases de données. Sans surprise, dans certains secteurs favorables de basse altitude, tortue de Floride, orvet, lézard vert et, bien sûr, lézard des murailles ont déjà commencé à pointer le bout de leur museau en direction du roi Soleil.
Qu’en est-il à la maison ? Détail qui a son importance, mon terrain est orienté plein nord avec une colline boisée qui domine au sud. Autant dire qu’à cette saison, l’astre du jour dépasse à peine la cime des pins avant de replonger. Le cadran solaire pointe midi, les papillons citrons volent en tous sens, mais j’ai beau chercher à l’abri du moindre courant d’air et sur les supports les plus tempérés… Rien : on dirait bien que mes lézards rechignent à profiter de l’anomalie climatique.
Je ne les ai pas vus depuis les derniers jours d’octobre. Que font-ils ? Ne croyez pas qu’ils hibernent totalement, ces reptiles réduisent simplement leur activité au strict minimum. Pour cela, ils se terrent dans les entrailles d’un muret ou se faufilent dans un interstice du sol dont eux seuls ont le secret. Aussi sont-ils tout à fait capables de réagir à un redoux pour se dorer la pilule durant quelques heures. Mais pas aujourd’hui.
Un saurien sinon rien
1er mars | 14 h 14 | 15 °C
Mon premier lézard de l’année, je le rencontre par hasard en ce premier jour du printemps météorologique : tout un symbole ! Plutôt surprenant, l’animal solaire a choisi la façade ouest pour inaugurer la saison. Probablement parce qu’elle est moins exposée à la brise aujourd’hui.
C’est un petit mouvement de fuite détecté du coin de l’œil qui stoppe net ma montée d’escaliers quatre à quatre. Mais la bête a déjà disparu dans le mur. Il suffit d’attendre… ça bouge à nouveau ! D’abord un museau, puis des lèvres aux taches noires verticales qui dessinent presque des dents. Et voilà son œil brillant, cerclé d’un iris feu et surligné d’une arcade sévère. Puis le tympan noir et ovale, suivi d’un cou épais recouvert de minuscules écailles. Seule la patte avant gauche s’avance, avec ses longs doigts frêles et griffus. Elle semble prête à propulser le petit dragon dans sa cachette à la moindre alerte.
Je ne bouge pas. L’animal a choisi comme solarium la gouttière d’évacuation en zinc, un métal assez conducteur qui réagit rapidement à l’élévation de la température. Parfait pour une première bronzette !
Gagnant en confiance, le lézard de forte carrure que je soupçonne d’être un mâle avance son autre patte avant. A cet instant précis, je réalise qu’il se tient sur une fine couche de sable saharien déposée par les puissants vents du sud qui ont soufflé tout récemment. Je le laisse s’aventurer encore un peu et ses flancs marbrés confirment mon impression : c’est bien monsieur qui est le premier de sortie. J’estime à plus de 6 cm la longueur séparant son museau de la base de sa queue. Il doit donc mesurer en tout une vingtaine de centimètres : un bel adulte paré pour défendre son territoire de quelques mètres carrés et trouver une ou plusieurs partenaires.
Pourquoi les lézards changent-ils de peau ?
Question de taille
La femelle de lézard des murailles doit atteindre environ 50 mm du museau à la base de la queue pour pouvoir se reproduire. Cela correspond à un âge d’un peu plus d’un an, soit après deux hivers. Elle doit constamment gérer l’énergie consacrée à sa propre croissance par rapport à celle qu’elle dédie aux embryons. Ainsi, une femelle âgée et de grande taille peut pondre trois semaines plus tôt qu’une jeune.
Les arts de l’amour
24 mars | 12 h 55 | 18 °C
Sur la terrasse, l’ambiance est de plus en plus chaude. La smala des petits reptiles prend le soleil : je compte huit individus, dont deux minus probablement âgés d’à peine un an. Ces immatures n’ont pas le gabarit pour se reproduire (> Question de taille). Sur le coin sud-est du muret de pierres, un boss trône la tête haute. Certains lézards des murailles ont une robe terne entre gris, brun, noir et beige. Ce n’est pas le cas de mon caïd du jour qui a la gorge mandarine, un manteau tirant sur le vert opaline et des flancs pointillés d’écailles bleu de France… un vrai bijou sur pattes ! Ses intentions sont claires, il scrute une femelle dont la livrée mimétique se remarque à peine sur la paroi en sapin vieilli. Je distingue nettement les pulsations cardiaques qui battent sous leur peau à l’arrière des épaules. Est-ce le signe d’émois partagés ?
Le mâle se décide à descendre de son promontoire. Arrivé au sol, il marque une pause. Traverser un espace ouvert n’est jamais anodin, prudence… Mais il se lance, guidé par l’élan nuptial. Le voici au pied du mur, avec la femelle juste à l’aplomb. Celle-ci le voit venir et s’agite. Puis c’est une course-poursuite mesurée, alternant enjambées volontaires et haltes d’observation. Après dix minutes de ce manège, le contact entre les deux protagonistes se produit lorsque le mâle attrape la femelle avec sa gueule. Puis une dégringolade enlacée et le duo disparaît entre deux lattes de robinier. Si un accouplement a eu lieu ce jour-là, c’est à l’abri des regards.
Ne te découvre pas d’un fil
19 avril | 15 h 11 | 14 °C
Ce mois d’avril ne trahit pas l’adage : gelées matinales et barre des 10 °C rarement atteinte l’après-midi. Cela fait une semaine que je ne vois plus de lézards autour de la maison. Mais aujourd’hui, la bise est tombée et l’espoir renaît. Bingo !
Sur une dalle en terre cuite, une femelle aplatit son ventre pour emmagasiner au maximum l’énergie solaire. A-t-elle déjà pondu ? C’est un peu tôt peut-être. Elle semble justement portante. Dans ce cas, les œufs peuvent représenter un tiers, voire la moitié, de son poids. La litière sableuse sous ma terrasse sera parfaite pour accueillir ses trésors blancs longs d’un bon centimètre. Combien peut-elle en pondre ? Deux, quatre ou plus… en tout cas pas plus de dix, selon sa taille et sa condition physique. Pas question ensuite de couvaison comme chez les oiseaux. L’incubation est assurée par la température du substrat.
N’allez pas croire qu’il faut une chaleur de four pour donner naissance à une poignée de lézards en pleine santé. Au-delà d’un certain seuil, la vigueur et la survie des lézardeaux sont tout aussi menacées (voir Ni chaud ni froid). Alors, mini-dragons, rendez-vous dans cinq semaines ou deux mois et demi, nul ne le sait !
Quoi qu’il en soit, madame n’est pas au bout de ses efforts. Sous nos latitudes, elle tente parfois une seconde ponte. Dans le Sud, il peut même y en avoir une troisième ! Je m’éloigne pour ne pas déranger cette future maman qui a assez d’aléas à gérer.
Observez la faune des vieux murs.
Ebats ou combat ?
Au moment de l’accouplement, le mâle cherche à attraper la femelle, ce qui donne lieu à des contorsions des deux partenaires enlacés. Il est alors fréquent qu’il maintienne le ventre de la femelle – sans la blesser – entre ses mâchoires qu’il peut verrouiller. Ce pincement de l’abdomen au niveau de l’ovaire faciliterait le déclenchement de l’ovulation. La fécondation qui s’ensuit est interne grâce à la pénétration du double organe sexuel du mâle : l’hémipénis.
Appeler un chat un chat
12 mai | 9 h 34 | 17 °C
Qu’on possède un matou ou non, il faut composer avec les intrusions de félins du voisinage. C’est bien là le drame de tous ceux qui souhaitent faire de leur jardin un havre de paix pour la biodiversité. Ce crève-cœur se vérifie chaque jour – et chaque nuit d’après mon piège photo – lorsque la mare sert d’abreuvoir à tous les apprentis guépards du quartier.
Fichtre ! Ce matin, pas de déni possible, je vois le vieux chat noir et blanc filer la tête basse à mon arrivée. Une forme sombre effilée pend de sa gueule. Je pique un sprint en criant, ce qui provoque un démarrage en trombe du chasseur et la libération de la victime. Au sol, le lézard est bien vivant mais a perdu sa queue dans la mésaventure. Elle repoussera.
Quel fléau ! Et quel tabou aussi : certains adorateurs du dieu Felix ne veulent pas entendre raison. « Si on aime les animaux, on aime les chats » ou encore « Les chats, c’est la nature aussi »… Bref, un débat hautement émotionnel auquel je me prête parfois avec mes enfants. En tout cas, une chose est sûre : les chats très nombreux exercent une énorme pression sur la biodiversité dite ordinaire. Lézards, oiseaux et autres grillons n’ont vraiment pas besoin de ça !
Petit déj’ en terrasse
12 juillet | 8 h 44 | 18 °C
Soleil tout-puissant. Atmosphère bourdonnante et papillonnante. Lézarder pourrait être mon seul projet de cette journée estivale. A ce propos, c’est le bon moment pour faire le tour des spots du jardin. Café terminé, en route ! ça démarre illico : une femelle sur le tas de tuiles cassées, un jeune d’un an sur la dalle qui leste le parasol, une autre femelle dans la serre… au total douze lézards dégottés en vingt minutes.
C’est en route pour ma deuxième dose d’espresso que je trouve enfin ce que je cherchais : un jeune lézard de l’année, tout mignon et déjà expert en varappe. Plus court que mon petit doigt, il paraît tout lisse tellement ses écailles sont menues. Le gringalet est livré à lui-même et doit apprendre à chasser seul. Pour cela, il est armé comme tous ses congénères d’un puissant système olfactif qui lui permet de scanner finement son environnement… et ses proies. Sa langue fourchue prélève régulièrement les informations contenues dans des substances chimiques volatiles. Là, une fourmi ! Les yeux prennent le relais pour l’approche… et hop ! Trois pas fulgurants suffisent pour engloutir le minuscule insecte. Même adulte, il fera des arthropodes l’essentiel de son régime alimentaire.
Mais attention à ne pas finir dans le gosier d’un autre. L’ombre du faucon crécerelle file sur la façade : lui aussi a une famille à nourrir. Moins de 10 % des lézardeaux parviendraient à l’âge de 3 ans. Sur ce constat implacable, je décide de remettre mon lézardage à demain. Et plutôt de construire un nouvel abri pour mes sympathiques colocataires.
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Menu croustillant
Le lézard des murailles est un insectivore opportuniste. Coléoptères, hyménoptères, araignées et autres cloportes comptent parmi ses proies préférées. Les tout jeunes lézards capturent des invertébrés plus petits et moins vifs. Le menu varie en fonction des saisons : les cicadelles et pucerons peuvent dominer au printemps alors que les fourmis sont très prisées en été.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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