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Du réseau sous le chapeau des champignons

Sauver la forêt pour la transition écologique

L’internet des forêts est encore plus impressionnant lorsque l’on adopte la perspective des arbres. Rencontre avec Ernst Zürcher, un scientifique à leur écoute.

L’internet des forêts est encore plus impressionnant lorsque l’on adopte la perspective des arbres. Rencontre avec Ernst Zürcher, un scientifique à leur écoute.

La transition écologique passe par la préservation des forêts

Ernst Zürcher

Ingénieur forestier docteur ès sciences naturelles, il est entre autres chargé de cours aux Ecoles polytechniques fédérales de Lausanne (EPFL) et de Zurich (ETHZ). Ce Suisse établi à Bienne a consacré sa vie à la forêt avec qui il a tissé une relation fusionnelle dès l’enfance. Il étudie notamment le rôle décisif que peuvent jouer les arbres dans la transition écologique. Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et du best-seller Les Arbres, entre visible et invisible aux éditions Actes Sud.

Ernst Zürcher, qu’est-ce qui vous fascine le plus dans le fameux Wood Wide Web ?

C’est qu’il s’élargit en permanence, tant physiquement dans son milieu qu’au niveau des connaissances scientifiques que nous accumulons petit à petit à son sujet. Il ne faut pas réduire ce réseau porteur de vie uniquement à sa dimension horizontale et souterraine. Bien sûr, les échanges entre les arbres d’une même espèce via leurs racines, puis leur partenariat avec les champignons sont des découvertes prodigieuses, mais elles ne constituent qu’une partie seulement du Wood Wide Web ou WWW, si par Wood on entend la forêt dans son ensemble.

Quels sont donc ces autres aspects du système de communication des forêts ?

Tout d’abord, si nous restons dans le sol, nous savons aujourd’hui que les racines des ligneux et les hyphes des champignons peuvent s’orienter grâce à des signaux acoustiques. Lorsqu’ils perçoivent le bruit de l’eau, ils poussent dans sa direction. Le professeur Stefano Mancuso l’a démontré en installant un haut-parleur qui émettait les fréquences du liquide à proximité d’un arbre. Eh bien les racines se sont automatiquement dirigées vers ce leurre. Au niveau aérien, les arbres réagissent aux bruits des animaux. Des recherches ont prouvé que les végétaux se développent mieux alors qu’on leur diffuse des chants d’oiseaux. Et ces derniers ne chantent pas sur n’importe quel perchoir, ils choisissent de favoriser ceux qui sont susceptibles de leur offrir le plus de nourriture. C’est donnant donnant. Ensuite, il y a le canal aérien gazeux. On le sait depuis longtemps, en cas d’attaque de prédateurs, l’acacia va produire des substances volatiles, comme l’éthylène, qui alerteront ses voisins. Ceux-ci pourront ainsi se préparer en modifiant la saveur de leurs feuilles ou en les rendant indigestes.

C’est donc tout cela le web des bois ?

Oui et bien plus encore ! La communication passe également par un réseau électromagnétique aérien. En d’autres termes, les arbres sont des antennes émettrices et réceptrices soumises à des fluctuations électriques. Mon équipe a découvert l’existence de marées bioélectriques en phase avec les cycles lunaires, ce qui lie le WWW au domaine de l’astronomie. Du jamais vu ! Notre hypothèse est que les végétaux se perçoivent mutuellement sous la forme de fréquences radio. C’est un monde fabuleux empreint de beauté qui s’ouvre là.

Malheureusement l’homme met aujourd’hui en péril cette beauté et cette expansion des réseaux…

C’est exact. Toutes les terres qui nourrissent l’humanité ont été prises aux forêts, compromettant son potentiel de croissance et de productivité. Ces sols jadis si riches en matière organique et en biodiversité, deux critères indispensables à leur bonne santé, étaient capables de produire annuellement 10 m3 de bois par hectare. Que sont-ils devenus ? Durant longtemps, les agriculteurs les ont enrichis avec des engrais organiques, tels que le fumier, qui les alimentaient en carbone. Dès lors, la matière organique a pu se maintenir à un niveau acceptable. Mais depuis la généralisation des engrais de synthèse qui ne contiennent pas de carbone et l’utilisation de pesticides, on a détruit toute activité biologique dans les champs. Incapables de stocker de l’eau et donc sujets à l’érosion, comment pourraient-ils continuer à nous nourrir ? Si nous n’agissons pas, à terme, ils sont perdus.

Vous venez de publier un article expliquant comment réussir la transition écologique grâce aux forêts. Quelles solutions y proposez-vous pour sauver les terres agricoles ?

Il faut rapidement réorganiser notre agriculture. Comment ? C’est simple : en s’inspirant de la forêt et du WWW. D’une exploitation artificielle à deux dimensions, on doit passer à des cultures organiques à plusieurs étages. Les conducteurs de tracteurs considèrent les arbres comme des empêcheurs de labourer en ligne, or ils offrent leur ombre protectrice aux plantes poussant en dessous. Quant aux cordons boisés, leur capacité absorbante 20 fois plus efficace que la terre nue d’un champ oblige les pluies à pénétrer le sol en profondeur. Ces éponges disposées stratégiquement sur un terrain vont réalimenter les cultures, les sources et les cours d’eau. C’est pour cela que les forêts restent vertes alors que tout jaunit durant une sécheresse.

Quelles mesures concrètes préconisez-vous ?

La transition écologique passe par la préservation des forêts
© Jean-Luc Wisard

Il faut pratiquer l’agroforesterie et les cultures en terrasses, laisser les semis sous couvert végétal, replanter des haies pour empêcher l’érosion et creuser des bassins de rétention pour les eaux de pluie. Permission zéro d’écoulement en surface, chaque goutte doit pénétrer dans le sol, car c’est lui qui a besoin de remettre ses cycles en route. Je n’invente rien, toutes ces techniques sont connues. Ce virage impliquera aussi de relancer la biodiversité du sol, mise à mal par les pesticides et engrais de synthèse. L’enjeu est de les remplacer. L’une des pistes les plus prometteuses émane des dernières découvertes sur l’eau : la méthode de l’eau informée qui fonctionne un peu à la manière de l’homéopathie. En résumé, on transmet à ce liquide les signaux électromagnétiques de produits comme le glyphosate, ce qui le dote de la même faculté désherbante sans être nocif pour l’environnement. Des essais ont actuellement lieu en Bulgarie. Ils sont liés aux travaux de Gerald Pollack, professeur de bio-ingénierie à l’Université de Washington, sur la quatrième phase de l’eau, à savoir l’eau structurée, en plus de ses états liquides, solides et gazeux.

(Le paragraphe précédent fait référence à des études parfois controversées qui demandent à être scientifiquement étayées. Ernst Zürcher s’en fait ici le porte-parole et La Salamandre vous invite à vous tourner vers lui pour toute précision sur le sujet.)

Tout cela implique donc de planter des arbres en milieu agricole. Est-ce réaliste ?

Absolument ! Aujourd’hui, les surfaces agricoles occupent environ 1,5 milliard d’hectares dans le monde. Si nous en restituons ne serait-ce que 10 % à la composante arborée, soit 150 millions d’hectares, elles seraient capables de revitaliser les 90 % restant. En une dizaine d’années, ces terres deviendraient plus productives, ce qui compenserait largement les hectares rendus aux arbres. Avec une telle mesure, combinée aux grands projets mondiaux du Défi de Bonn qui vise à reboiser 350 millions d’hectares avant 2030, nous pourrions en plus fixer dans la biosphère plus de 2/3 du carbone que nous rejetons actuellement. Bien sûr, la solution est avant tout de baisser drastiquement nos émissions, mais il est important de préciser que nous sommes capables d’en stocker une partie.

Planter un maximum d’arbres pour sauver la planète, c’est tendance. Mais le Wood Wide Web nous apprend qu’il est ardu de recréer des forêts… Comment éviter de faire plus de mal que de bien ?

C’est vrai, il ne sert à rien de planter des centaines d’arbres les uns à côté des autres sans se poser de questions. Parce que si vous reboisez de manière monospécifique, comme on le fait souvent, tous les arbres du peuplement auront exactement les mêmes besoins au même endroit au même moment. Dès lors, finie la belle collaboration mise en œuvre par l’internet des forêts. Ces ligneux entreront en concurrence pour le peu de ressources à disposition et vous obtiendrez des individus carencés, sujets aux maladies et aux attaques d’insectes qui les tueront rapidement. Quant au bois obtenu, il sera de moindre qualité. En réexpédiant ces plantations inefficaces à l’humus, c’est comme si la nature nous adressait un message : « Arrêtez de simplifier la forêt à l’extrême, vous créez des déséquilibres qui finissent par empoisonner le sol. » La clé est de toujours chercher l’équilibre et la diversité en combinant les bonnes essences.

L’homme est-il capable d’imiter cette parfaite alchimie dont la nature a le secret ?

Oui, c’est la tâche de l’ingénieur forestier qui doit maîtriser l’art de composer des associations forestières, soit des systèmes de partenariats cohérents et extrêmement précis. Car tout ne pousse pas avec tout ! Pour reconstituer une forêt disparue, on commence par dénicher des plantes dites indicatrices qui nous renseignent sur les essences anciennement présentes sur ce terrain. Souvent, elles se sont maintenues malgré l’abattage des arbres. Puis, il faut choisir les espèces qui correspondent à ces végétaux rescapés et les mettre en terre. Tout ce petit monde s’entendra à merveille. On appelle ça la sociologie végétale forestière, un savoir magnifique qui ne demande qu’à être utilisé.

Le recours à cette sociologie des arbres est-il devenu systématique ?

La transition écologique passe par la préservation des forêts
© Jean-Luc Wisard

Non. Mais la Suisse a une bonne avance en la matière. Elle est passée d’une foresterie schématique en monoculture, mise en place dans l’urgence pour reboiser les espaces endommagés par les grands ravages du XIXe siècle, à des boisements plus naturels. Aujourd’hui, certains massifs du pied du Jura ont retrouvé leur biodiversité grâce à une technique que l’on appelle la futaie jardinée. Elle consiste à mélanger des essences de demi-lumière et d’ombre tout en récoltant des arbres de manière individuelle et ciblée au lieu de couper des surfaces entières. Ces bois ainsi exploités ont atteint un équilibre par la main de l’homme et sont absolument magnifiques ! En France, hélas, la gestion des forêts reste généralement artificielle. On coupe trop souvent les espaces naturels pour les remplacer par des plantations disposées en rangs que l’on arrose d’engrais et de pesticides. Mais heureusement, il existe désormais un mouvement baptisé Réseau pour les alternatives forestières (RAF) qui prône une foresterie authentique et intelligente basée sur le partenariat entre les arbres.

Les hêtres et d’autres arbres se meurent, notamment dans le Jura, en raison des sécheresses à répétition. Comment voyez-vous l’avenir des forêts ?

Nous avons tendance à utiliser des machines trop lourdes qui tassent le sol et abîment les arbres. En outre, nous exploitons des surfaces trop grandes, ce qui les expose directement aux ardeurs du soleil. En été, les ligneux souffrent en effet considérablement de la chaleur et des rayons UV. Si nous voulons sauver nos forêts, nous devons les maintenir les plus fermées possible tout en continuant à les gérer. La futaie jardinée est donc, à mon sens, le modèle forestier le plus viable, car il permet de garder au maximum l’eau stockée dans le sol. Il est également important de planter des lisières là où elles manquent aux peuplements naturels mais aussi pour préserver les plantations qui, par leur alignement, se dessèchent car exposées aux quatre vents. Cette enveloppe va maintenir l’humidité et la fraîcheur. Une terre humide garantit la vie. Ce procédé a d’ailleurs également une influence positive sur les champignons.

Et pour éviter la disparition de certaines essences ?

Pour préserver les arbres les plus fragiles comme le hêtre, il faut identifier les autres essences qui résistent le mieux aux fortes chaleurs et les y associer. Le champion, c’est le sapin blanc. Evidemment il souffre, mais il a des racines pivots qui s’alimentent en profondeur. En comparaison, l’épicéa possède des racines superficielles et est beaucoup plus sensible. Il a par conséquent besoin de son acolyte le sapin blanc qui a accès aux nappes phréatiques profondes pour s’abreuver. C’est un partenariat que l’on connaît bien dans la foresterie jurassienne. Ensuite vient le hêtre, qui est un feuillu. Lorsque les années sont très sèches ou trop chaudes et qu’il perd son feuillage de manière précoce, on a besoin d’un peu de résineux pour le protéger. Si l’on applique toutes ces techniques, on obtiendra à coup sûr des forêts résilientes, gérées et productives en bois.

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© Jean-Luc Wisard

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Couverture de La Salamandre n°254

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 254  Octobre - Novembre 2019, article initialement paru sous le titre "Canopée connectée"
Catégorie

Sciences

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