© Lorenzo Dotti

Cet article fait partie du dossier

Martinet, l’oiseau qui ne s’arrête jamais

Les martinets pâles de Locarno

C’est l’oiseau par excellence des côtes méditerranéennes. Loin des falaises maritimes, la colonie de martinets pâles installée en Suisse italienne est la plus nordique au monde.

C’est l’oiseau par excellence des côtes méditerranéennes. Loin des falaises maritimes, la colonie de martinets pâles installée en Suisse italienne est la plus nordique au monde.

Jeudi 17 septembre. Un Tessinois, un Italien et un Neuchâtelois ont rendez-vous sur la place Sant’Antonio, au cœur de la vieille ville de Locarno, au Tessin. Ce n’est pas le début d’une blague… mais d’une journée inoubliable. Internationalement réputée pour son Festival du film, cette ville ensoleillée de Suisse italienne abrite un trésor méconnu. Ici, tout près de cette place. L’église de Saint-Antoine ? Vous y êtes presque ! Là, dans le ciel cobalt, trois silhouettes falciformes rasent silencieusement le clocher du XIVe siècle. Tiens, des martinets… en septembre ? Ils ne sont pas encore en Afrique ? A moins que ce ne soient des martinets pâles ?

Les poches débordant de crayons et de pinceaux, le peintre naturaliste Lorenzo Dotti — l’Italien de la bande — croque les oiseaux sur le vif. « Apus pallidus ! », confirme l’ornithologue tessinois Roberto Lardelli au reporter neuchâtelois de la Revue Salamandre. Après un espresso pris sur le pouce, Lorenzo sort sa palette d’aquarelle et donne vie à ses croquis. Pendant ce temps, Roberto Lardelli se dirige vers l’église. « Ce monument abrite la colonie de martinets pâles à la fois la plus septentrionale du monde et la seule de Suisse ! », annonce solennellement le cofondateur de Ficedula, l’association ornithologique locale.

Accro à la Piazza

Voilà trente ans que Roberto observe ces oiseaux depuis le trottoir qui jouxte le lieu saint. « Si j’avais une puce GPS sur moi, elle révélerait que c’est ici l’endroit où j’ai passé le plus de temps dans ma vie », affirme-t-il en riant. La preuve ? Il y est même sur le Street View de Google Maps !

Insensible au trafic bruyant, un martinet pâle débarque de nulle part et s’engouffre à toute vitesse dans l’étroite via Borghese. Il dessine un grand S au-dessus des passants puis disparaît dans le mur du clocher, à 3 m du sol à peine. « Il vient nourrir ses jeunes au fond de ce boulin. » Les martinets de Saint-Antoine nichent en effet dans ces creux autrefois utilisés pour fixer les traverses en bois qui soutenaient les échafaudages lors des travaux de construction et de rénovation. « Vu la date tardive, c’est certainement sa deuxième couvée », explique l’ornithologue septuagénaire. Rarissime chez les martinets noir et à ventre blanc, cette pratique est plus courante chez leur cousin méridional. Mais la saison 2020 est spéciale à double titre : « Comme en 2013, j’ai dénombré 36 couples. Et en plus, il y a 15 secondes nichées en cours ! » Deux records réjouissants si l’on pense que cette rareté ornithologique fut sauvée de justesse peu après sa découverte.

Noirs sosies

Les martinets pâles et noirs se ressemblent comme deux gouttes d’encre et leur identification en vol est affaire de spécialiste. Tout au plus une oreille entraînée reconnaîtra-t-elle les cris légèrement plus graves de Apus pallidus. En fait, le meilleur moyen de trouver le rare martinet pâle, c’est de le chercher de mi-août à novembre. A cette époque en effet, aucun risque de le confondre avec son cousin plus commun qui s’en va en Afrique avant la fin de l’été.

Des années d’enquête

Méditerranéen pure souche, le martinet pâle sillonne aussi depuis longtemps le ciel des agglomérations du nord de l’Italie, avec plus de 1 500 couples rien qu’à Turin. Au début des années 1980, ce sosie du martinet noir est observé pour la première fois dans la petite ville italienne de Domodossola, à 40 km au sud-est de Locarno. Déjà à l’époque, c’est Roberto Lardelli qui prouve sa reproduction. Puis le Tessinois commence à rechercher l’oiseau en terre helvétique. Quelques années plus tard, l’ornithologue détective trouve un spécimen de martinet pâle daté de 1905 dans la collection ornithologique du lycée de Locarno. « Il était classé par erreur comme martinet noir ! »

L’oiseau aurait donc déjà été présent dans la région. Il redouble alors d’efforts et fouille méthodiquement les centres historiques des villes alentour. Rien de rien jusqu’au 7 juin 1987. « Ce jour-là, j’ai enfin découvert la colonie de martinets pâles de Saint-Antoine. » Jusque-là, les oiseaux avaient vraisemblablement été confondus avec des martinets noirs, dont une soixantaine de couples occupent le même bâtiment.

Martinets pâles : la colonie la plus nordique à Locarno, dans le Tessin
© Lorenzo Dotti

Trous pour tous les goûts

Martinets noir et pâle affectionnent les boulins de l’église de Saint-Antoine. Si le premier se contente des cavités de 20 cm de profondeur, le second préfère celles qui pénètrent dans le mur jusqu’à plus d’un mètre. Comme chez le martinet à ventre blanc mais à l’inverse du martinet noir, l’entrée des nids de Apus pallidus et le sol à sa base sont sales de fientes.

Sauvetage in extremis

Fin avril 1988, Roberto rend visite à ses protégés. Mauvaise surprise : la veille, la ville a posé des grillages devant les boulins pour empêcher les pigeons d’accéder aux cavités, en enfermant au passage plusieurs martinets. « J’ai immédiatement appelé les autorités pour les libérer. J’étais prêt à arracher les treillis métalliques moi-même ! » Cet incident malheureux ouvre la voie à un plan de conservation et de sensibilisation. « Après avoir cartographié les 617 cavités de la façade, nous les avons réduites à 5 x 5 cm : assez pour laisser passer les martinets, mais pas les pigeons. » Depuis, l’ornithologue bague chaque année les adultes à l’aide d’un filet avec manche télescopique. Avec ses complices de l’association Ficedula, il a déjà équipé 25 oiseaux avec des géolocalisateurs pour étudier leurs routes migratoires. « Dix à quinze jours seulement après leur départ de Locarno en octobre ou en novembre, ils arrivent déjà dans leurs quartiers d’hiver au sud de la ceinture sahélienne, entre le Togo et le Cameroun. » Et ce n’est que le début des secrets dévoilés par ces appareils miniaturisés. Le spécialiste analyse actuellement les déplacements et le régime alimentaire des martinets de Locarno en automne, lorsque la température baisse et que le plancton aérien se raréfie rapidement. Où vont-ils donc chasser avant de déserter les lieux jusqu’au printemps ?

Sanctuaire à martinets

L’église de Saint-Antoine abrite les trois espèces de martinets. En raison des fortes chaleurs estivales côté sud, le pâle se cantonne exclusivement côté nord. Même en automne, la température y est clémente. Des couples mixtes martinet pâle-martinet noir s’observent parfois.

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Le martinet à ventre blanc niche dans les fissures les plus élevées du clocher.

Le martinet noir se concentre surtout dans les cavités à mi-hauteur, au nord et au sud de l’église.

Le martinet pâle occupe uniquement les boulins de la partie inférieure de la façade nord.

Vers le nord

Les cloches sonnent midi. L’ornithologue tessinois et le reporter neuchâtelois retrouvent Lorenzo Dotti, dont les pinceaux ont arrêté de danser. Sur la feuille de l’artiste italien a pris forme une vue plus vraie que nature de la place et de l’église de Saint-Antoine. Les lieux n’ont pas dû beaucoup changer ces cent dernières années. Les martinets pâles étaient peut-être déjà là, et ils y sont toujours grâce à leur ange gardien Roberto. « En dehors de quelques fluctuations, l’évolution de la colonie est globalement positive. » Avec l’adoucissement du climat, on pense que d’autres sites seront bientôt occupés dans la région. En France aussi, les ornithologues attendent l’arrivée du martinet pâle, par exemple à Lyon depuis vingt ans. En Suisse, l’observation il y a une dizaine d’années d’un individu dans une colonie de martinets noirs à 1 200 m d’altitude dans le Jura bernois a fait sensation, avec à la clé la naissance de deux probables hybrides. A quand les prochains au nord des Alpes ?

© Lorenzo Dotti

Dangereuses fréquentations

Même dans un lieu sacré, la cohabitation entre martinets et autres oiseaux n’est pas pacifique. Les pigeons squattent leurs nids, les choucas des tours pillent œufs et poussins et les corneilles sont à l’affût pour capturer les adultes quand ils rentrent dans leurs cavités.

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Martinet, l’oiseau qui ne s’arrête jamais

Couverture de La Salamandre n°263

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 263  Avril - Mai 2021, article initialement paru sous le titre "Les miraculés de Saint-Antoine"
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Dessins Nature

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