© Louis Marie PREAU

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Villes vivantes

Le grand retour du castor dans nos cités

Au début du XXIe siècle, le castor était encore un symbole du sauvage à la sauce du grand Ouest américain. Aujourd’hui, il est de retour dans nos villes. À Lyon, des naturalistes aménagent les rives pour l’aider à s’implanter.

Au début du XXIe siècle, le castor était encore un symbole du sauvage à la sauce du grand Ouest américain. Aujourd’hui, il est de retour dans nos villes. À Lyon, des naturalistes aménagent les rives pour l’aider à s’implanter.

Un bruit de fond monte depuis la rive opposée du Rhône. Ce sont les véhicules qui se croisent en un flot ininterrompu sur l’autoroute du soleil. Le bruit des moteurs est adouci par le clapotis des vaguelettes qui ondulent à la surface. En ce début d’automne, le crépuscule tombe doucement sur les berges du puissant fleuve. Assis sur une petite plage de sable et de cailloux, nous guettons la sortie du castor. En face, les automobilistes allument leur phare.

Le mythique rongeur, aux mœurs nocturnes, a pris ses quartiers le long du parc de Gerland, sur la rive gauche du Rhône. De ce côté des flots, la ripisylve dense composée de peupliers, saules, érables, mais aussi d’une épaisse bambouseraie, lui sert autant d’habitat que de garde-manger. Quelques minutes plus tôt, Matthieu, Quentin et Victorine, tous les trois membres de l’association naturaliste Des Espèces Parmi’Lyon, m’ont guidé à travers la végétation. Sur des rejets de saule, la marque caractéristique des coups de dents de l’animal.

De minces coulées dévalent aussi par endroits le léger dénivelé qui sépare le parc urbain du rivage. Ce sont des traces du passage des castors. Un groupe d’au moins cinq ou six individus vit dans les parages. Quentin m’a mené jusqu’à ce qu’il pensait être leur hutte actuelle, mais la structure de bois qu’il avait repérée par le passé a été démolie par une crue récente. Les rongeurs ont reconstruit ailleurs. Impossible de dénicher cette nouvelle cachette. Alors, nous patientons en silence, légèrement en retrait de la rive pour ne pas effrayer la bête.

© Association des Espèces Parmi’Lyon

Mode itinérance activé

Les castors ont pour habitude de chercher leur nourriture de manière individuelle à partir d’un point central. Chaque soir, ils explorent les alentours de leur hutte ou de leur terrier, en nageant à faible distance des berges. Ils préfèrent explorer les terres émergées en amont. Avec une grosse branche dans la mâchoire, il est plus facile de descendre le courant que de le remonter. « Le castor cartographie très bien les saules qu’il a entamés les jours précédents. Il retourne ensuite chaque soir les brouter », chuchote Quentin.

Les minutes passent, l’obscurité est désormais quasiment complète. À la lueur de nos frontales, nous scrutons le point de contact entre les arbres et l’eau. Nous pensons être à quelques dizaines de mètres en amont du gîte de la famille qui peuple le coin, mais impossible d’en être certain. Une heure passe encore et nous abandonnons l’espoir de voir la trogne de Castor fiber.

© Simon Piqué / Un castor ronge un tronc sur les berges de Lyon.

Peu de risque que nous l’ayons effrayé, il est plutôt parti en quête de nourriture dans une autre direction. Le rongeur ne craint, en effet, pas trop les humains. Il bondit parfois, une branche entre les dents, devant les badauds qui se promènent sur la piste en gravier du parc de Gerland. S’il préfère rester à proximité immédiate du cours d’eau, le castor peut s’éloigner jusqu’à 20 ou 30 m sur la terre ferme pour chercher sa pitance.

De manière générale, le mammifère adopte un comportement identique en bordure immédiate de zones urbaines. Des études ont montré que sur un territoire bruyant toute l’année, comme dans le voisinage d’une autoroute, les castors ne modifient pas leurs horaires : ils rentrent au bercail à l’aube et quittent leur tanière peu avant ou après le coucher du soleil.

Aujourd’hui, le bièvre, ancien nom donné au castor eurasiatique, a recolonisé l’entièreté du Rhône, dont il avait quasiment disparu au début du XXe siècle. Décimé, comme un peu partout en Europe, le mammifère ne survivait que dissimulé aux regards dans les marais de Camargue. Dès que des mesures de protection ont été prises, les populations ont progressivement gonflé. Désormais, même un endroit où le lit du fleuve est très artificialisé, comme à Lyon, attire des individus en quête d’un territoire vacant.

Un îlot artificiel pour les castors

Une aire urbaine de plus de 1 million d’habitants représente tout de même un obstacle difficile à franchir pour les castors. Pour faciliter le passage de ces grands rongeurs entre l’amont et l’aval du Rhône à Lyon, l’association Des Espèces Parmi’Lyon a construit un îlot artificiel le long des berges très minérales du centre-ville.

Ce dispositif, nommé Gabiodiv’, est un franc succès. « L’îlot artificiel a été installé en décembre 2019 et dès mars 2020 nous avons eu les premières présences de castors », explique Quentin Brunelle, le fondateur de l’association.

Sur cette étroite bande de terre, longue d’une trentaine de mètres, l’animal n’est que de passage. Avant mon arrivée, l’équipe avait posé un piège photo pendant trois jours.

Sur les images nocturnes, on observe le castor faire sa toilette – il y consacre de longues minutes quotidiennement – et grignoter quelques branches.

L’îlot sert aussi de halte aux individus qui veulent gagner la vaste zone humide du parc de Miribel-Jonage, au nord de la métropole.

Le retour du rongeur sur des rivages fortement artificialisés est très bénéfique pour la biodiversité. Dans le sillage de sa queue plate, il ramène tout un cortège d’espèces. Au départ, Gabiodiv’ n’était recouvert que de galets.

« On avait planté douze variétés de plantes. Maintenant, on recense plus de 100 espèces végétales et 130 animales. Des bergeronnettes des ruisseaux et des chevaliers guignettes viennent se nourrir sur l’îlot », s’émerveille Victorine.

Le castor ne peut pas bâtir de retenue sur un fleuve aussi large. Mais en grignotant des troncs qui tombent dans l’eau, il ralentit le courant sur les berges. En traçant des sentes sur la ripisylve, il ouvre la végétation pour des oiseaux et des insectes. Les libellules abondent sur la forêt flottante.

© Association des Espèces Parmi’Lyon

Fort de la dynamique très positive de Gabiodiv’, les jeunes naturalistes ont obtenu une autorisation des collectivités territoriales pour transformer un nouveau pan de berges bétonnées. Ce nouveau projet prend forme sur 300 m de long sur la rive droite du Rhône. Le lieu semble assez inhospitalier. Des déchets pourrissent sur l’étroite bande de béton en dévers, une flore naissante tente de s’y faire une place.

Nous avons planté 350 semis en juin dernier. Des troncs ont aussi été disposés en travers. Du substrat sera ajouté par-dessus ce bois, ce qui créera une variation du niveau des berges. Des mares se creuseront et plus loin des sols resteront émergés, imagine Quentin. Sur ce nouvel îlot, on va créer une loge artificielle pour le castor. C’est-à-dire un dôme de 50 cm de hauteur et un tunnel de 1,50 m de long pour y accéder. Vu la densité d’individus, il est possible qu’il soit très vite occupé, conclut-il.

Il n’y aura bientôt plus besoin de patienter des heures pour apercevoir les castors sur les berges lyonnaises.

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Couverture de La Salamandre n°281

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 281  Avril - Mai 2024, article initialement paru sous le titre "Des cités partagées"
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