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Hérisson mon héros

Les cliniques du hérisson

Les centres de soins accueillent toujours plus de hérissons blessés ou malades. Tous se dédient corps et âmes à leurs patients... mais les points de vue divergent parfois. Enquête entre France et Suisse.

Les centres de soins accueillent toujours plus de hérissons blessés ou malades. Tous se dédient corps et âmes à leurs patients... mais les points de vue divergent parfois. Enquête entre France et Suisse.

Roulé en boule sur la table d’examen, un hérisson porte les stigmates d’une attaque de chien. Deux orifices rouges, d’autant plus saillants que des piquants ont dû être rasés pour les soins. « Heureusement nous avons pu le traiter avant que la plaie ne s’infecte. Dès qu’il aura cicatrisé et que ses piquants auront repoussé, nous le relâcherons », se réjouit Gilles Moyne, directeur du Centre Athénas.

Située dans le Jura, cette structure redonne une chance aux animaux sauvages malades ou blessés de onze départements. Le hérisson est de loin l’espèce la plus représentée. 411 boules de pics ont été prises en charge en 2019, sur un total de 2 865 accueils. Un chiffre qui prend l’ascenseur d’année en année. « Cette affluence montre que ce mammifère ne se fait pas aussi rare qu’on le prétend, ce qui est réjouissant. Toutefois elle indique aussi que les risques d’accident liés au contact direct avec l’être humain augmentent et se diversifient », interprète le biologiste.

Pas un animal domestique

Morsures canines, collisions avec des voitures ou des robots tondeuses, lacérations dues aux instruments de jardinage, intoxication… les vétérinaires et soigneurs du centre sont habitués à prendre en charge des accidentés d’origines diverses. Pour ne rien arranger, depuis quelques années, le hérisson ferait face à un danger d’un genre nouveau et pour le moins paradoxal : l’excès d’attention.

Touchés par le déclin de cet animal ou le considérant à tort comme un compagnon domestique puisqu’il se laisse facilement approcher dans le potager familial, certains interviennent un peu trop dans sa vie. Avec le risque de faire plus de mal que de bien, selon Gilles Moyne : « Aujourd’hui, le hérisson a un statut entre le nain de jardin et le chihuahua. Ainsi, par sensiblerie, trop de gens se sentent obligés de le nourrir. Nous recevons de plus en plus d’individus mourants à qui l’on a servi du lait ou qui souffrent d’obésité morbide car gavés de croquettes toute l’année. »

Autre objet de grief, la « mode » de capturer abusivement de jeunes individus jugés trop maigres à la fin de l’automne pour les garder à l’intérieur jusqu’au printemps. Une pratique illégale et une hérésie en matière de conservation, d’après le directeur. « Ce n’est pas leur poids qui compte, mais leur réserve de graisse. Un hérisson de 400 g peut être assez gras pour survivre à la saison froide, d’autant plus qu’il va se réveiller durant l’hiver pour des petits en-cas, explique-t-il. En les enfermant, on les coupe de leur milieu au moment où ils se socialisent et font leurs expériences. »

Pour le biologiste, la mortalité juvénile est normale. Seuls les plus résistants survivent et perpétuent l’espèce. Une fois relâchés, les individus détenus et nourris durant des mois resteraient trop familiers, dépendants d’une nourriture industrielle non adaptée et plus sensibles aux maladies.

«Aujourd’hui, le hérisson a un statut entre le nain de jardin et le chihuahua. » Gilles Moyne Centre Athénas, Lons-le-Saunier (Jura)

Apprentis sorciers

Ce qui agace par-dessus tout Gilles Moyne, c’est le quidam qui s’improvise soigneur. Environ 10 % des hérissons admis dans sa clinique ont fait les frais de mauvais conseils lus sur Internet ou prodigués par des personnes non agréées. Consultés par la Revue Salamandre, certains sites web ou murs de réseaux sociaux préconisent en effet des traitements médicaux à dispenser soi-même. Ils recommandent par exemple des marques de vermifuges et leur dosage.

« Ces pratiques sont interdites et ce sont les hérissons qui en paient le prix. Si on trouve un animal en difficulté, il faut toujours l’amener dans un des centres reconnus, les seuls autorisés à prodiguer des soins », s’insurge le biologiste qui se bat contre ce genre de dérives. Dans son viseur : certaines « officines associatives amateurs ».
D’après lui, il existe en France un réseau illégal de familles d’accueil qui incite au prélèvement de hérissons à titre préventif et à la détention abusive de cette espèce protégée. « Il y a aussi des placements d’individus infirmes en échange de dons. C’est de la vente déguisée », avance Gilles Moyne.

Bruno Diolot, inspecteur de l’environnement en Côte-d’Or, confirme avoir suivi plusieurs affaires du genre. En Région Bourgogne-Franche-Comté par exemple, au moins trois procédures ont été lancées ces 18 derniers mois. « Les centres de soins reconnus sont les seuls habilités à héberger, soigner et entretenir ces animaux. Il faut une autorisation préfectorale et au moins une personne détenant un certificat de capacité. Les seuls bénévoles admis sont ceux qui travaillent dans ces structures, sous l’autorité et la responsabilité du capacitaire », précise-t-il. La peine maximale encourue pour la détention illégale est de trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

« Que la population s’intéresse de plus en plus au hérisson est positif, mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un animal sauvage et qu’on ne peut pas se comporter avec lui comme avec un chihuahua. Mieux vaut aménager son environnement pour le rendre plus naturel », conclut Gilles Moyne.

Un centre visé par les critiques

Actif dans le département de la Somme, Le Sanctuaire des hérissons fait partie des refuges privés directement visés par les critiques. C’est Anne Fingar et son mari, deux amoureux des petits mammifères à piquants, qui l’ont fondé il y a vingt-deux ans.
A côté de leur activité professionnelle, ils se consacrent bénévolement à leurs pensionnaires et répondent aux appels téléphoniques de personnes inquiètes pour des piqueux de leur région.

« Rien que l’an dernier, nous avons recueilli 69 hérissons. Comme les gens nous appellent de toute la France, nous leur indiquons les gestes d’urgence et les redirigeons vers le centre de soins le plus proche ou chez un vétérinaire », explique Anne Singar.
La Picarde n’est pas surprise des accusations à l’encontre de son sanctuaire. « Nous sommes détestés des centres de soins simplement parce que nous expliquons aux particuliers comment agir… Pourtant, nous travaillons pour la même cause, nous leur envoyons des cas et sommes totalement en règle. Les trois contrôles dont nous avons fait l’objet le mois dernier l’attestent », assure-t-elle.

La résistance bénévole

Lorsqu’on lui demande si sa structure place des hérissons en convalescence ou handicapés dans des familles d’accueil en échange de dons, un non catégorique retentit. Avant de glisser : « Les bénévoles existent, mais ils sont obligés d’œuvrer incognito et clandestinement, un peu comme des résistants. Ils s’exposent en effet à de lourdes peines. »

Anne Fingar donne l’exemple d’une amie du Rhône dont elle soutenait financièrement la prise en charge d’une centaine de hérissons par an. « Elle a été dénoncée anonymement alors qu’elle n’avait pas encore décroché son certificat de capacité. Elle aurait pu avoir de gros soucis, mais l’affaire s’est tassée et elle agit désormais dans la légalité. »

« Nous travaillons pour la même cause et nous sommes parfaitement en règle. » Anne Fingar Le Sanctuaire des hérissons, Fouencamps (Somme)

Une pétition pour changer la loi

Depuis, cette ardente protectrice du hérisson milite pour qu’un jour des bénévoles puissent la seconder en hébergeant des patients en convalescence ou en biberonnant des jeunes. C’est pour cette raison que Le Sanctuaire s’est joint au consortium d’associations Sauvons les hérissons à l’origine d’une pétition demandant la création d’un « statut prioritaire » pour l’espèce afin de « densifier le réseau des personnes habilitées à les sauver ». Lancée en 2017, cette récolte de signatures constituait le point d’orgue d’une semaine de sensibilisation annonçant la disparition du hérisson pour 2025. La démarche avait alors été considérée comme trop alarmiste par des représentants du monde scientifique.

Les 166 500 paraphes récoltés à ce jour n’ont eu aucun effet. « C’est hallucinant comme la loi française est mal faite. Nous serions beaucoup plus efficaces si la réglementation était un peu plus souple vis-à-vis des gens qui se mobilisent pour ce mammifère sauvage », déplore Anne Fingar.

Même si rien ne bouge côté politique, Le Sanctuaire se félicite de plusieurs victoires découlant d’actions concrètes. En 2008 notamment, il a obtenu de McDonald’s qu’il modifie le gobelet de ses glaces McFlurry en France. Ces emballages abandonnés dans la nature constituaient un piège mortel pour les hérissons qui, attirés par le mélange sucré, y glissaient la tête et restaient coincés. « Malgré tout, nous sommes pointés du doigt, car nous portons soi-disant atteinte à l’intégrité de ces animaux », regrette Anne Fingar.

Changement de décor. En Suisse aussi, le hérisson est considéré comme un animal sauvage protégé qu’il est interdit de capturer ou transporter, sauf pour lui porter secours en le confiant à une station de soins d’urgence agréée. Toutefois, même s’il existe des disparités cantonales, la loi est un peu plus souple qu’en France.

En effet, une fois traités médicalement par des professionnels, les petits patients en convalescence peuvent être placés temporairement chez des personnes bénévoles extérieures, sous une supervision stricte. « Mais cette pratique doit faire figure d’exception et non de règle », martèle Eva van Beek de l’Office fédéral des affaires vétérinaires. Et si, aujourd’hui, la solution semble contenter tout le monde, la porte-parole explique que ce sont des problèmes de détention illégale de hérissons ainsi que l’utilisation de médicaments sans l’aval d’un vétérinaire qui ont contraint les autorités à préciser les bases légales en 2017. Toute infraction peut être sanctionnée d’une amende allant jusqu’à 20 000 francs suisses.

« C’est une bonne chose, il faut des lois claires pour éviter qu’il y ait des abus. Je forme des familles d’accueil de confiance qui s’engagent à respecter notre éthique. Elles savent que des contrôles peuvent avoir lieu. Mais en général, il n’y a aucun souci », sourit Véronique Schorro, responsable du centre SOS Hérissons Riviera-­Chablais à Aigle. Et l’ancienne assistante vétérinaire insiste : « Les rescapés repartent le plus rapidement possible dans la nature. Certains ont besoin d’une période de réadaptation, mais il est hors de question de les garder. Nos bénévoles le savent et le comprennent. »

Je forme des familles d’accueil de confiance qui s’engagent à respecter notre éthique. » Véronique Schorro SOS Hérissons Riviera-Chablais, Aigle (Vaud)

Pas des chatons

Ce matin justement, c’est jour de formation pour une nouvelle famille d’accueil. Ce couple qui souhaite héberger des boules de pics dans un vaste enclos extérieur doit d’abord suivre trois heures de cours théorique et pratique. Comment nourrir et hydrater correctement l’animal, nettoyer son lieu de vie, remplir un rapport de soins, respecter la procédure de remise en liberté… Il y a beaucoup à retenir.

Véronique Schorro profite de la visite quotidienne à ses cinq pensionnaires du moment pour mettre les deux apprentis à contribution. « Ils doivent apprendre à manipuler le hérisson de manière adéquate pour pouvoir les peser par exemple. Mais pour éviter tout stress inutile sur cet animal sauvage, les interactions doivent se limiter au minimum. Ce n’est pas un chaton que l’on chouchoute », expose la Vaudoise.
Pendant que le mari procède à la pesée d’Elisabeth, une hérissonne qui retrouvera bientôt la liberté, son épouse observe Véronique Schorro désinfecter la plaie de Virya, dont la mâchoire et le flanc droit ont été lacérés par une débroussailleuse. Vu leur aisance, le couple devrait bientôt être autorisé à prendre en charge des hérissons.

Unifier les pratiques

Le centre peut compter sur la collaboration d’un vétérinaire que la soigneuse a sensibilisé à la cause du petit mammifère. Si bien qu’il assure aujourd’hui une présence une fois par semaine dans les nouveaux locaux de la station qui ont ouvert mi-mars. « C’est magnifique, nous avons encore plus d’espace et nous pouvons désormais recevoir des cas aigus dans une véritable clinique de soins intensifs », se réjouit Véronique Schorro.

Prochaines étapes pour la Vaudoise : mettre le paquet pour obtenir des subventions étatiques afin de mieux soigner et protéger son animal fétiche et peut-être fédérer les divers centres de soins romands. « Nos pratiques sont encore trop différentes. Nous pourrions sûrement gagner à les unifier et collaborer davantage. »

Que faire si vous trouvez un hérisson ?

Un piqueux en bonne santé ne se rencontre que la nuit. Si vous en voyez un le jour, c’est en général le signe qu’il est malade ou blessé. Placez l’animal à l’abri dans un carton troué, à côté une bouillotte. Equipez-vous de gants de travail ou de jardinage pour le manipuler avec précaution. Donnez-lui une coupelle d’eau pour qu’il se réhydrate, mais jamais de lait. Appelez immédiatement le centre de soins le plus proche. La liste des principaux centres de soins en Suisse et en France.

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Couverture de La Salamandre n°257

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 257  Avril - Mai 2020, article initialement paru sous le titre "Les cliniques du piqueux"
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