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Le clan des marmottes
Cache-cache d’altitude avec la marmotte
Observer les marmottes est généralement assez facile. Heureusement, elles mènent une vie plus intime en marge des sentiers touristiques. Récit de terrain dans les Hauts-Plateaux du Vercors.
Observer les marmottes est généralement assez facile. Heureusement, elles mènent une vie plus intime en marge des sentiers touristiques. Récit de terrain dans les Hauts-Plateaux du Vercors.
3 août, 6 h 30
Le réveil sonne. J’ouvre la porte latérale de mon van pour jeter un œil sur le décor environnant. L’air frais encore brumeux s’engouffre dans l’habitacle. Je m’habille rapidement en songeant aux prévisions météo qui annoncent une belle journée d’été. Le café chauffe et les tartines dorent sur le feu. Je finis de préparer mon sac à la hâte. J’ai toujours cette sensation d’être en retard lorsqu’il s’agit de partir observer la vie sauvage. Comme si chaque seconde loin des sentiers était autant de rencontres manquées. Le panorama sur le pied du mont Aiguille et sur les contreforts du Petit Veymont est majestueux. Quel réveil privilégié !
Aujourd’hui, l’objectif est d’aller à la rencontre des marmottes au pas des Chattons, dans la réserve naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors. Cet espace protégé est unique par sa superficie de 17 km2. J’ai choisi ce lieu de randonnée en espérant observer des marmottes plus sauvages que dans les secteurs trop fréquentés par les touristes.
7 h 00
Il est temps de se mettre en marche. Après une montée agréable en sous-bois, les choses sérieuses commencent. L’effort devient vite plus intense, mais disparaît de mon esprit à la vue d’un chamois et d’une famille de bouquetins dans les pierriers.
Les pins à crochets épars abritent en partie mon ascension que je souhaite confidentielle. J’en profite pour faire quelques photos. J’aime être le premier à emprunter les chemins au petit matin. La nature semble ici préservée de l’empreinte humaine. Elle offre un tableau intime au randonneur discret. J’abandonne les grands herbivores à cornes à leurs paisibles occupations.
Quelques mètres plus loin, un cri de marmotte trahit finalement ma présence. Un sifflement aigu et saccadé fait écho contre les parois rocheuses. Je suis étonné que notre rencontre soit si rapide !
J’ai beau chercher, je ne la vois pas. Le paysage est désormais minéral, seuls quelques arbrisseaux subsistent dans ce pierrier encaissé. Que fait ce gourmand rongeur dans un habitat si peu hospitalier, alors que les herbes goutues abondent juste au-dessus ?
Deux heures après le départ, j’arrive enfin sur le plateau. Je souffle un coup et j’avale quelques gorgées d’eau. Un grand corbeau et des vautours fauves passent non loin des crêtes. Je réussis à les photographier à temps. Au milieu des pelouses riches en graminées, quelques résineux ponctuent le paysage. Couchés avec un air nonchalant, de majestueux bouquetins profitent de la fraîcheur matinale.
J’aperçois enfin une marmotte qui fait le pied de grue non loin de son terrier. Je m’approche discrètement, guettant sa réaction. Je marque quelques pauses sous son regard farouche. Je décide alors de m’abriter derrière un pin tout proche. Des promeneurs arrivent au compte-gouttes et je comprends avec une certaine déception que je ne serai plus seul.
Le terrier se situe bien près du chemin de randonnée. La dodue vigie commence un tour de cache-cache, ressortant le bout de son museau chaque fois que le cliquetis des bâtons de marche s’éloigne. Elle en profite pour sautiller et grignoter une fleur d’arnica… puis, le jeu redémarre.
Je prends la direction de pelouses plus à l’écart des touristes. Après quelques vains coups de jumelles, j’ai le sentiment que les marmottes ne sont pas très nombreuses par ici. J’aperçois en revanche un troupeau de moutons gardé par quatre chiens. Il n’en faut pas plus pour expliquer la discrétion des rongeurs au voisinage de tels prédateurs potentiels. L’ombre du loup rôde aussi dans cet espace naturel et le canidé sauvage peut tout à fait inscrire la marmotte à son menu.
Je contourne le bétail qui se rapproche sous l’œil vigilant des chiens. L’un d’eux se met à courir dans la direction d’une marmotte peinée de devoir sprinter lourdement jusqu’à son terrier par cette chaleur. Les éthologues ont rarement relevé des comportements combatifs chez les marmottes face aux chiens ou aux renards. Le soleil est à son zénith et les conditions ne sont plus tellement propices pour faire des observations de qualité. Je tenterai à nouveau ma chance tôt demain, dans un autre secteur que j’ai repéré sur ma carte.
4 août, 6 h 30
Lever avec le soleil, à la même heure qu’hier. Le temps est déjà nuageux et annonce probablement l’orage. Une météo mitigée qui diminuera peut-être la fréquentation des randonneurs… et me permettra de prospecter en toute tranquillité. Au gré du chemin vers le pas de l’Essaure, le vent, la bruine et la température frappent comme un avant-goût de l’automne.
Le pas de l’Aiguille dans les nuages camoufle en partie l’ascension des vautours fauves. Je finis par trouver un terrier non loin des crêtes. Une de ses occupantes est postée devant et me regarde. Curieuse ou vigilante ? Je me poste en affût à bonne distance, tant pis pour les photos. Je souhaite les observer dans leurs allées et venues avec le minimum de dérangement.
Au bout de quelques minutes, une autre sort le museau d’une galerie. Puis, un peu plus bas, un jeune pointe sa tête.
Le contraste avec hier est saisissant. La vie de ce petit clan se résume à s’étirer de temps en temps, se désengourdir les pattes et boulotter l’herbe durant de longs moments. Parfois, les curieuses jettent un œil vers ce buisson qui cache tant bien que mal le bipède indiscret que je suis. Un regard interrogatif, deux incisives qui dépassent, un beau pelage brun orangé, une dégaine pataude et bien en chair… c’est vraiment la peluche des montagnes !
Les mois de juillet à septembre sont importants pour les marmottes. C’est la période où elles constituent leur stock de graisse pour l’hiver, enfournant entre 500 g et 1,5 kg de végétaux par jour.
Une boule de poils dévale la pente, dodelinant avec une démarche gauche. Arrivée devant une congénère, elle lui embrasse le museau ! Impossible de distinguer si ce théâtre met en scène des mâles ou des femelles, mais je remarque la présence de jeunes cachés dans l’herbe à proximité.
Étaient-ils là depuis le début ? Leur couleur sombre est indéniablement un camouflage efficace contre les prédateurs. Une marmotte bien rondelette sort d’un terrier proche du premier. Il est décidément bien difficile de comprendre le lien de parenté qui unit ces personnages poilus.
Chaque groupe ou famille est composé des deux parents, de jeunes et d’individus subordonnés le plus souvent apparentés au couple dominant. Une famille peut compter jusqu’à 20 individus, et il arrive que certains soient de passage dans un groupe sans y rester. D’autres vivent en périphérie sans avoir de réelles interactions avec une famille établie. Moi qui n’avais jamais vraiment pris le temps d’étudier posément cette espèce auparavant, je réalise à quel point son mode de vie est plus complexe qu’il n’y paraît.
Soudain, une alarme relève mon nez du calepin. Un seul cri, strident et prolongé, du genre de ceux qui alertent d’un danger venant du ciel. Un faucon crécerelle fuse dans l’air et passe très bas à bonne vitesse, reprend de la hauteur et s’arrête finalement en position stationnaire du Saint-Esprit. Il finit par se percher à la cime d’un arbre. Fausse alerte, le svelte rapace ne représente pas une menace. Leur attention permanente est justifiée, car le ciel n’est pas sans danger. Malgré un champ de vision presque périphérique et leur faculté à repérer un prédateur à 300 m, les marmottes sont vulnérables. Contrairement au faucon, l’aigle royal est le redoutable prédateur des marmottes. Il est particulièrement friand des jeunes qui émergent du terrier natal.
Ici, dans le Vercors, les populations de l’oiseau de proie emblématique ont profité du programme de renforcement des populations de Marmota marmota. Ces dernières avaient quasiment disparu du massif à cause des prélèvements abusifs. Aujourd’hui, le rapace est présent dans tous les alpages où la marmotte prospère. Une quinzaine de couples survolent le Vercors.
Alors qu’une randonneuse s’aventure loin hors du sentier, cela ne manque pas d’inquiéter à nouveau le groupe de marmottes. Les chocards à bec jaune – frêles corvidés emblématiques des montagnes – se laissent porter par le vent, surfant entre crêtes et bords de falaises. Leurs acrobaties aériennes, parfois très proches de la pelouse, semblent inquiéter aussi les rongeurs décidément bien fébriles.
Dans les régions très touristiques, certaines marmottes sont très peu farouches. Elles auraient la capacité à intégrer la présence des humains comme une contrainte peu dangereuse avec laquelle il est possible de composer. La perte de ce côté sauvage n’est pas pour autant de bon augure. Le nourrissage abusif et les passants trop curieux affectent parfois la survie de ces animaux.
Après plusieurs heures d’observation, la brume envahit l’alpage et l’orage approche. Je me relève à moitié et marche à reculons sous mon filet de camouflage. Pas d’alarme, seulement des regards vigilants. Sur le chemin du retour, sous la pluie, je constate que les alentours des terriers sont désertés. Même l’été, si la météo le justifie, la marmotte garde le réflexe de retourner au sein de son terrier douillet.
Le saviez-vous ?
Voisins vigilants
La marmotte possède plusieurs cris d’alarme. Ces signaux sonores servent à alerter la famille qui se cache dans le terrier principal ou dans des abris secondaires. Elle utilise un cri spécifique pour démarquer son territoire si un intrus s’aventure trop près. La mascotte des Alpes ne siffle pas uniquement pour signaler un danger, mais aussi pour inviter des compagnons à jouer et communiquer. Certaines vocalises sont plus discrètes, comme le ronronnement des jeunes qui tètent leur mère.
Art martial
Les adultes et les jeunes joutent amicalement. Ils se dressent sur les pattes arrière et se poussent tout en se tenant les pattes avant. Ils peuvent parfois se figer de la sorte, la tête en arrière. Certaines études suggèrent que si une prise de pattes dégénère en bagarre, cela pourrait indiquer un test de dominance entre jeunes mâles. Moins musclés, les marmottons se coursent, roulent au sol et jouent même parfois avec des criquets ou des papillons… l’insouciance de la jeunesse !
Deux ou trois bises ?
Lorsqu’elles se rencontrent, les marmottes se saluent en se caressant le museau. Certaines glandes proches de la gueule transmettent un parfum singulier et individuel. En fonction de la fragrance, les marmottes pourront se montrer amicales, hostiles ou neutres. Le toilettage mutuel renforce les liens entre les individus et pourrait également leur permettre de se débarrasser de parasites.
Penchant certain
C’est dans les pâturages mêlés d’éboulis avec une pente comprise entre 15 et 45 % qu’on rencontre le plus souvent Marmota marmota. Des mâles en quête d’un nouveau territoire occupent parfois les pierriers. Ceux-ci font office d’abris de fortune pour fuir le danger. Dans certaines régions, la marmotte est tributaire de pratiques humaines comme le pâturage par le bétail, garants d’un paysage ouvert.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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