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Rosalie et compagnie
A la recherche de la rosalie des Alpes en Valais
En juillet, la rosalie des Alpes est de sortie. Rendez-vous dans les montagnes suisse avec un entomologiste spécialiste en quête du coléoptère.
En juillet, la rosalie des Alpes est de sortie. Rendez-vous dans les montagnes suisse avec un entomologiste spécialiste en quête du coléoptère.
Fully, Valais, juillet
Bienvenue sur un balcon plein sud au cœur des Alpes suisses. C’est peut-être le grand jour. Celui où nous allons enfin la rencontrer.
Une créature qui semble tout droit sortie des tropiques ou d’un conte merveilleux. Déjà, ce grand insecte porte une carapace bleue, comme maculée d’encre noire, avec d’interminables antennes courbes. Pas courant sous nos latitudes. Ensuite, cet animal répondant au nom poétique de rosalie des Alpes est difficile à observer, car il s’est raréfié et ses apparitions sont furtives.
Yannick Chittaro nous attend tout sourire, face à un panorama montagnard au ciel sans nuages. Le biologiste nous a donné rendez-vous ici, car les forêts y sont pleines d’arbres multicentenaires riches en cavités. Un décor parfait pour les coléoptères inféodés au bois mort, comme la rosalie.
Petit paradis
Quelle fournaise, il n’est pourtant que 9 h 30. « C’est un temps parfait pour observer cette amatrice de soleil, active durant les journées les plus chaudes de l’année, s’enthousiasme notre guide du jour. J’estime nos chances de la trouver à 50 % », se veut-il rassurant. Ce grand brun connaît le coin presque comme sa poche, pour y avoir réalisé de nombreux inventaires entomologiques. Justement, nous rejoignons un secteur où il a déjà compté quelques Rosalia alpina.
Sa petite voiture nous conduit cahin-caha sur une route caillouteuse. Filets, pièges à coléoptères et autres curiosités scientifiques secouent à l’arrière. Le chant des cigales se glisse à nos oreilles par les fenêtres entrouvertes.
« Ces forêts pentues et clairsemées réunissent les conditions idéales : difficiles à exploiter, elles abritent de vieux arbres qui sèchent sur pied grâce à une exposition maximale au soleil, analyse Yannick Chittaro alors que le paysage défile. Mais ce n’est pas tout, il faut des essences précises. Le grand favori de la rosalie est le hêtre. Ici, plus rarement, l’érable sycomore. Dans d’autres biotopes en Europe, la liste s’étoffe un peu : frênes, saules, érables, tilleuls ou encore ormes. Ensuite, pour qu’un arbre soit choisi comme un lieu de rendez-vous et de ponte par cet insecte, le diamètre des troncs ou branches compte ! Il doit atteindre au minimum 20 cm, idéalement plus de 50 cm. »
Rosalie, te rencontrer est un rêve. Mais serait-ce chercher une aiguille dans une botte de foin ? Les portières claquent et nos pieds s’engagent sur un sentier colonisé par des noisetiers. Première étape, trouver un hêtre dépérissant ou mort sur pied. « Brisé par le vent, le gel ou le poids de la neige, atteint de plein fouet par la foudre ou une chute de pierres, ou tout simplement usé par le temps... », énumère Yannick Chittaro. L’offre immobilière peut s’étoffer avec les travaux forestiers si des souches hautes sont laissées sur place. Autant de lieux qui font office de sites de rencontre et de ponte pour notre coléoptère bleu et noir.
Piège ou protection ?
Un vieux foyard, comme on appelle ici le hêtre, se dresse devant nous, en partie dévêtu de son écorce. Le mordu d’insectes l’observe sous toutes les coutures, tout en expliquant le destin qui attend généralement un œuf de rosalie pondu dans une fissure de tronc : « Une petite larve blanche éclot et commence à creuser une galerie avec ses mandibules. Elle se nourrit du bois et progresse vers les profondeurs. Elle compacte au fur et à mesure la sciure sur les parois au lieu de l’excaver, laissant ainsi peu de traces de sa présence. De quoi manger et grandir en sécurité, ou presque, dans son enceinte végétale. »
En sécurité ou presque. Car un pic pourrait l’avaler après quelques coups de bec bien placés. Autre danger : plus vicieux encore, si sa mère a eu le malheur de pondre dans un rondin de bois fraîchement coupé et entreposé temporairement au soleil, le genre de spot de ponte très attractif. Le ver à bois serait alors condamné à finir dans une scierie ou un poêle avant d’avoir pu boucler son cycle. « Le service forestier communal, avec qui nous collaborons, est sensible à ces questions. Le bois coupé est rapidement évacué. Des éclaircies sont également faites autour de vieux arbres clés laissés sur pied pour les insectes xylophages. »
Au fond de leur hêtre
Pas de longicorne en vue sur notre premier hêtre. D’un pas sûr, l’entomologiste dévale la pente vers une trouée où se déverse une lumière crue. Difficile de suivre ses grandes enjambées parmi le mikado de troncs couchés. Son regard entraîné balaie le terrain, les mains en visière. Du sol au ciel, de loin comme de près, il faut tout passer en revue. Une rosalie est peut-être planquée dans le feuillage ou camouflée sur une écorce.
Faute d’adultes, peut-on débusquer quelques larves ? « Oui, si on s’y met à la hache... Ce qu’on ne va pas faire, bien sûr, s’amuse-t-il. En effet, ces saucisses blanches forent des tunnels là où les fibres sont encore assez dures au niveau du bois de cœur et de l’aubier. Pas la peine de les chercher dans les parties vermoulues. »
Larves inatteignables et adultes invisibles, ce n’est pas gagné. Rosalie, fais-nous un signe ! Tout en examinant une vieille souche, son filet à papillons sur l’épaule, Yannick Chittaro raconte qu’une larve de rosalie vit deux à trois ans dans l’obscurité de son abri, progressant dans sa galerie à mesure qu’elle grignote. Avant sa dernière hibernation, elle bifurque à nouveau vers la périphérie.
De l’ombre à la lumière
Au printemps, lorsqu’elle atteint environ 4 cm de long, elle creuse une logette sous l’écorce pour s’y transformer en nymphe. Immobile, la créature blanc ivoire possède déjà des antennes et des pattes, plaquées contre son corps. Elle prend progressivement des couleurs. Enfin, l’été venu, entre juin et août suivant les régions, un somptueux insecte bleu et noir finit par s’envoler à l’air libre.
« Regarde, un orifice de sortie d’une rosalie, s’enthousiasme soudain l’entomologiste en pointant la surface d’un tronc. Allongé dans le sens des fibres du bois, cet ovale de la largeur d’un doigt – de 6 à 12 mm de long – est un bon indice de présence ! » Nous en trouvons d’autres dans le voisinage. Mais toujours pas d’imago, le nom qui désigne un insecte adulte. Le soleil a tourné, il est temps de gagner d’autres secteurs sortis de l’ombre. Sous le chant crépitant d’un pouillot de Bonelli, nos pas empruntent, en guise de raccourci, une ancienne ligne de funiculaire bordée de chardons secs et de ronces.
Beauté éphémère
L’enthousiasme du début est un peu retombé. « Avec la canicule précoce de ce printemps, il n’est pas exclu qu’on arrive une semaine trop tard, s’inquiète Yannick Chittaro. L’an passé, ici même, je voyais jusqu’à six individus courir le long d’un fût, les mâles cherchant à se repousser l’un l’autre en présence d’une femelle. »
C’est le bon timing ou rien du tout. Car après avoir larvé dans une obscurité totale durant plusieurs années, les rosalies ne batifolent à la lumière qu’une dizaine de jours seulement. « Durant leur courte phase adulte, tous les efforts sont dédiés à la reproduction. Elles ne se nourrissent pratiquement pas, tout au plus se contentent-elles de lécher la sève qui s’écoule des hêtres », explique celui qui s’est pris de passion pour les insectes dans son enfance. Après les papillons, il est tombé sous le charme des petites bêtes aux longues antennes, les longicornes, à 12 ans. Ce sont les coléoptères les mieux connus en raison de leur beauté et de leur taille qui rend leur observation facile sur le terrain. Enfin facile, vous voyez...
Rosalie, es-tu partie dans d’autres dimensions ? Ultime changement de secteur. Non loin d’un banc, à la croisée de deux chemins, se dresse un hêtre séculaire surnommé l’arbre des amoureux. Son essence n’étant pas adaptée aux sécheresses extrêmes, on se demande comment il a poussé là, seul parmi les chênes pubescents, les pins et les érables à feuilles d’obier.
Un seul hêtre manque...
Autrefois majestueux, ce tricentenaire s’est en partie effondré sous un coup de vent il y a dix ans. Repéré par les rosalies en dépit de sa situation isolée, ce monument végétal a abrité une dizaine de générations successives. « Mais cette année, il a l’air presque trop vieux et sec pour convenir aux larves. Question d’équilibre. En plus, les broussailles et le lierre lui font trop d’ombre et pourraient gêner les adultes pour l’envol », se désole Yannick Chittaro. Il est temps de rentrer. Dans cette atmosphère étouffante, nos espoirs se consument. Les trous d’envol qui criblent la vieille chandelle ne semblent plus qu’un souvenir laissé par les dernières rosalies. Mais Yannick entreprend un dernier tour par acquit de conscience... et crie victoire. Vous y croyez, vous ? Deux grandes virgules bleues garnies de toupets noirs émergent derrière une racine. Quelle merveille ! Lentement, la créature se met à gravir son arbre.
La vie en rosalie
Restant contre l’écorce pour se camoufler, elle rabat délicatement ses antennes contre son corps chaque fois qu’elle passe sous les lianes agrippées au tronc. « Chez les longicornes, ces longs appendices sont le principal organe sensitif, siège de l’odorat. Leur vue est probablement assez médiocre », détaille-t-il tout en calant sa main contre l’insecte, imperturbable, pour estimer sa taille. Le corps, de près de 3 cm, semble aussi doux que du velours et ses motifs rappellent un étrange visage moustachu. « Une deuxième rosalie en vol ! », s’enflamme Yannick. Elle a été probablement attirée par les phéromones de la première ou par la senteur du hêtre. Dans une lumière aveuglante, elle atterrit un peu lourdement au sommet du vieux sage. Elle se fond parfaitement sur l’écorce bleutée. « C’est sans doute une des dernières années qu’on en verra sur ce hêtre », conclut pensivement l’entomologiste.
Rosalie, si tu savais la joie qu’on éprouve en te rencontrant, juste au bon endroit, au bon moment.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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