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Rouge, la reine des couleurs
Histoire des pigments rouges
Là où luit la couleur du rubis, l’or n’est plus très loin. Comment les humains se sont-ils emparés des pigments qui donnent le rouge du pouvoir ?
Là où luit la couleur du rubis, l’or n’est plus très loin. Comment les humains se sont-ils emparés des pigments qui donnent le rouge du pouvoir ?
Chez les hommes également, le rouge attire autant qu’il fait fuir. Car la plus éclatante des couleurs incarne des messages contradictoires mais toujours extrêmement forts : danger et courage, fête et violence, luxure et pureté. Fascinant, mais aussi brûlant, le rouge s’impose dans presque toutes les cultures. Il renvoie au feu et au sang, tantôt positivement, tantôt négativement. Pour les chrétiens, le rouge feu, c’est tout à la fois la vie, l’Esprit Saint, la mort et l’enfer. Le rouge sang rappelle le sauveur dont le sacrifice nous purifie, et aussi la chair souillée et les péchés.
Dès la préhistoire, l’homme cherche à capturer les plus beaux rouges naturels, attribut de puissance. Il s’en enduit le corps ou les habits. Pourtant, la couleur ne se laisse pas facilement apprivoiser, surtout quand on veut en teindre des étoffes. La conquête des plus beaux pigments sera difficile. Elle fera la fortune et la ruine de pays entiers, rythmant l’histoire de l’humanité.
Ocre des grottes
L’arrivée des ocres est intimement liée à la naissance de la conscience humaine dans ce qu’elle a de plus élevé : culture, art et religion.
Quels trésors les hommes prenaient la peine de transporter partout avec eux voilà 80’000 ans ? Deux ou trois silex… et de l’ocre. Probablement liée aux rituels les plus anciens, cette terre colorée par du fer fut le premier ornement des sépultures. Peut-être servait-elle à retarder la putréfaction des cadavres. Puis on retrouve l’ocre en compagnie de pigments noirs sur les parois de nombreuses grottes.
Pour obtenir leurs mélanges, les artistes de l’époque ouvraient de véritables ateliers. Ils savaient affiner la teinte définitive de l’ocre dans des foyers. Le colorant en poudre était ensuite mélangé à un matériau incolore pour améliorer son recouvrement sur le support : de l’argile, du talc ou parfois du mica irisé qui faisait chatoyer les rouges à la lumière des flammes. Les différents ingrédients étaient enfin combinés avec un liant, une huile ou une graisse.
Teinté d’impuretés orange et brunes, l’ocre fut donc le premier rouge domestiqué. Toutefois, il convenait mal à la coloration des tissus. Il y a 2500 ans, à force de recherches, des peintres découvrirent le cinabre, colorant vermillon à base de mercure. Hélas ! celui-ci était cher, toxique et avait tendance à noircir à la lumière. Si les teinturiers savaient déjà colorer les étoffes de jus végétaux roux ou rouge orangé, il leur manquait encore le beau rouge vif qui allait colorer la toge des empereurs.
Pourpre des escargots
A Rome, le rouge pourpre était symbole de pouvoir. La teinte plus ou moins soutenue des vêtements indiquait le statut social.
Le murex, anodin petit escargot marin, coulait des jours heureux tout autour de la Méditerranée. Un jour, les Phéniciens découvrirent l’extraordinaire pouvoir colorant de ce coquillage. Ce fut le début d’une exploitation intensive qui allait durer 2000 ans et faire disparaître par endroits le précieux animal. La confection d’un seul manteau nécessitait en effet le broyage de milliers de ces gastéropodes pour extraire le colorant de leur minuscule glande hypobranchiale.
La pourpre était chère, très chère. Tout autour de la mer, elle devint l’insigne des dieux, des rois, puis finalement des hauts dignitaires de l’Empire romain, et en premier lieu de son empereur. Sous Dioclétien, elle valait son poids en or. Ce coût prohibitif en fit le symbole par excellence du pouvoir et du prestige. Souvent imitée, la pourpre ne fut jamais égalée. Plus la teinte d’un vêtement s’en approchait, plus haut était le statut social de son propriétaire.
A la chute de Rome, l’exploitation de la pourpre continua dans l’Empire byzantin, restant l’attribut de l’empereur et de son entourage. Puis, à la fin du XIIe siècle, le rouge pourpre devint par décret la couleur du Vatican et de la puissance de l’Eglise. Les papes, puis dès 1295 les cardinaux, devaient importer cette pourpre de Constantinople, seul lieu à produire encore le précieux colorant. Finalement, le secret de cette fabrication disparut avec la chute de l’Empire byzantin en 1453.
Ce n’est qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, que des chercheurs sur les traces de l’ancienne recette nous promettent pour bientôt sa reconstitution.
Garance par la racine
Avec l’aide d’huile rance, de bouse de vache et de sang, une plante modeste fait merveille chez les teinturiers orientaux.
A défaut de pourpre, quelle alternative restait-il aux Européens soucieux de faire étalage de leur puissance ? Parmi les nombreux colorants végétaux utilisés au Moyen Age, un seul fournissait un véritable rouge susceptible de teinter durablement des étoffes. Connue depuis la Haute Antiquité, la garance est une plante méditerranéenne cousine de l’aspérule et du caille-lait. Elle devint célèbre pour sa racine qui colorait sans doute déjà la tunique des soldats grecs et romains. En tirer un vrai rouge exigeait une extrême précision. La plupart du temps, les teintures tournaient à l’orange ou au rouge brique.
Les seuls teinturiers capables d’assurer un rouge intense se trouvaient dans l’Empire ottoman, en Inde ou au-delà. Appelée « rouge turc », cette couleur était produite à partir de la garance associée durant quatre mois et en une douzaine d’étapes à une série d’ingrédients peu ragoûtants, parmi lesquels de l’huile d’olive rance, de la bouse de vache et du sang.
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que les Européens parvinrent enfin à copier cette recette orientale. En attendant, les classes populaires durent longtemps se contenter d’un vulgaire rouge orangé. Seuls les plus fortunés eurent progressivement accès à un nouveau et mystérieux colorant originaire d’Amérique.
Carmin des cochenilles
Le rouge naturel le plus pur vient du Mexique. Produit par un insecte minuscule, il fera la fortune de l’occupant espagnol.
A peine débarqués au Mexique en 1519, les conquistadors éberlués découvrent sur les marchés aztèques un rouge d’une incroyable intensité. Cette couleur est extraite d’un insecte trois fois plus petit qu’une coccinelle. La vulgaire cochenille vit encroûtée sur un cactus américain très répandu, le nopal ou figuier de barbarie. « Six de ces insectes tiendraient aisément sur la longueur d’un trombone », écrit Amy Butler Greenfield, auteure d’un livre passionnant sur la question (> p. 45). Ecrasez l’un d’entre eux, et vous verrez un jus d’un rouge le plus pur couler entre vos doigts.
Certains paysans des collines mexicaines domestiquèrent cet insecte en le protégeant de ses parasites et prédateurs. Ils en firent une rigoureuse sélection durant des siècles pour obtenir des bêtes plus grosses, à la coloration la plus pure.
Encore plus que l’or et l’argent du Nouveau Monde, le rouge des cochenilles va renflouer les caisses de l’empereur Charles Quint et faire la fortune de l’Espagne. Mais le pigment vendu à prix d’or excite les convoitises. Les autres nations européennes affrètent des corsaires pour piller les galions et arment des espions pour percer à jour l’origine de cette couleur. Végétale ou animale ? Pendant deux siècles, les Espagnols parviennent à garder leur secret. Puis la culture de l’insecte rouge se répand ailleurs en Amérique, en Indonésie et même aux îles Canaries.
Durant la première moitié du XXe siècle, l’invention des colorants synthétiques fait presque disparaître la cochenille et le savoir-faire nécessaire à sa culture. Heureusement, les pigments naturels ont à nouveau la cote. Au Pérou, par exemple, la culture de la cochenille fait aujourd’hui vivre plus de 40’000 familles.
Sobrement rebaptisée E120 sur nos étiquettes, la cochenille d’origine mexicaine revient en force comme colorant alimentaire. Le pigment extrait industriellement de l’insecte teinte en rouge bonbons et sucettes, saucisses, jus de fruits, glaces, sirops contre la toux, rouges à lèvres et même le Campari !
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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