Les œdipodes, des criquets déguisés en cailloux
Plus bas, dans la vallée, sur de petits morceaux de désert au sol nu et brûlant, vivent les criquets cailloux.
Plus bas, dans la vallée, sur de petits morceaux de désert au sol nu et brûlant, vivent les criquets cailloux.
Descendus des pâturages, nous voici en Valais central, au cœur du Bois de Finges, dernier lieu où la puissance du Rhône parvient encore à s’exprimer librement. Ici, l’eau peut en une seule crue arracher des hectares de pinède, déplacer une île ou déposer des centaines de tonnes de sédiments.
Dans le désert
Le lit du fleuve est bordé de part et d’autre d’étendues arides : graviers, pierres et sables d’où émergent quelques touffes de saules. Depuis la dernière crue, rares sont les plantes qui ont réussi à prendre pied sur ce sol minéral. Un désert presque blanc sous un soleil de plomb. Ici ne survivent que quelques insectes, galets parmi les galets, les criquets cailloux.
Pour résister aux conditions extrêmes des lieux, ces insectes pionniers combinent plusieurs atouts : supporter chaleur et sécheresse, voler pour échapper aux sautes d’humeur du fleuve et posséder un camouflage presque parfait.
Pierre qui vole
Surprise : quand on s’en rapproche, l’insecte en s’envolant déploie de magnifiques ailes bleu turquoise ou rouge vermeil ; le criquet caillou est devenu papillon. Au moment d’atterrir, il fait un brusque crochet avant de disparaître à nouveau. De quoi feinter le plus affamé des oiseaux.
Le premier à s’installer après la baisse des eaux est l’oedipode aigue-marine. Ce voyageur aux longues ailes survit seul dans un terrain pratiquement nu. Il s’y nourrit de rares déchets ou peut-être d’insectes échoués. Ses œufs, pondus dans le sable, résistent aux inondations.
Deux ou trois ans plus tard le rejoindront peut-être l’oedipode rouge et l’oedipode turquoise. Le premier fréquente les endroits rocheux et chauds, des carrières aux éboulis de montagne. Le second préfère le sable et les chemins de terre. Tous deux trouveront ici leur bonheur au milieu d’une végétation des plus modeste.
Criquet des îles
Le quatrième et dernier criquet à vivre ici partage avec ses cousins une très subtile tenue de camouflage, mais il n’en possède ni les ailes colorées, ni le vol puissant.
Le criquet des iscles est condamné pour se déplacer à attendre sur son îlot que le fleuve veuille bien changer de lit. Incapable de fuir l’inondation, il a besoin pour survivre de grands bancs de galets interconnectés.
Hélas, l’endiguement systématique des rivières alpines a porté cette rareté au bord de l’extinction : on ne le trouve plus dans toute la Suisse qu’en sept localités, et c’est à peine mieux en France…
Le fléau des hommes
Dès que la végétation s’est un peu étoffée, les quatre criquets cailloux sont rejoints par un cortège d’espèces moins spécialisées. Parmi elles le terrible criquet migrateur, dont les essaims gigantesques pouvaient réduire à néant des récoltes entières. Au début du XXe siècle, ce gros insecte était encore redouté en Valais et au Tessin. S’il a aujourd’hui pratiquement disparu d’Europe centrale, reste son petit cousin le criquet italien aux belles ailes rouge-rose.
Cet habitant des endroits secs et dénudés ne pose aucun problème à nos récoltes, mais il en va différemment en Asie centrale. Autour de la mer d’Aral, là où la folie des hommes a transformé une mer intérieure poissonneuse en un immense désert saumâtre, il abonde. La terrifiante catastrophe écologique fait le bonheur du criquet italien. Depuis les années 70, ses pullulations détruisent chaque année les cultures de coton sur des dizaines de milliers d’hectares. On n’a jusqu’ici rien trouvé d’autre comme moyen de lutte que l’épandage d’insecticides à large échelle. Une catastrophe en appelle une autre…

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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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