Les faucons pèlerins de la Ville Lumière
Sur les quais de la Seine, cris et virevoltes accompagnent l'envol des jeunes faucons. Théâtre prestigieux de cette effervescence, Paris est notre ultime pérégrination. Rendez-vous avec l'artiste Tsunéhiko Kuwabara.
Sur les quais de la Seine, cris et virevoltes accompagnent l'envol des jeunes faucons. Théâtre prestigieux de cette effervescence, Paris est notre ultime pérégrination. Rendez-vous avec l'artiste Tsunéhiko Kuwabara.
Station de métro Bir-Hakeim Tour Eiffel, heure de pointe. Une foule cosmopolite s’agite dans tous les sens au cœur de la ville la plus visitée au monde. Un ciel bleu atlantique enchante le quai de Grenelle par ses jeux de lumière. Goélands, mouettes et inévitables pigeons traversent le fleuve parisien en tous sens. Il est temps de retrouver Tsunéhiko Kuwabara au bord d’une pelouse urbaine aux allures de green.
Sa longue-vue pointe au sud. Son calepin est maintenu dans la main gauche tandis que la droite suit un crayon d’une vivacité remarquable. L’artiste franco-japonais désigne alors une immense cheminée blanche. « C’est là ! » lance-t-il avec le sourire. Juste sous le sommet de l’édifice, une lucarne laisse apparaître le nichoir posé pour les faucons crécerelles il y a quinze ans mais occupé aujourd’hui par les pèlerins. Les rapaces auraient pu choisir un logement plus prestigieux dans le riche patrimoine de la ville. Mais à bien y regarder, ils règnent à près de 130 mètres de hauteur. La cheminée Front de Seine, destinée à évacuer les fumées des systèmes de chauffage, est en effet le quatrième bâtiment le plus haut de la commune de Paris.
« Là-bas, un faucon ! » L’œil expert du peintre sculpteur détecte une silhouette furtive entre les bâtiments du quartier. Quelques petits cercles au dessus du XVe arrondissement et l'oiseau s’éclipse déjà. Tsunéhiko Kuwabara vit entre Paris et Tokyo et prend un réel plaisir à croquer la nature urbaine. C'est lui l'un des découvreurs de ce couple de pèlerins, le premier de la capitale depuis 150 ans.
Stars dans la ville
Tout commence à l’automne 2011 lorsque Tsunéhiko Kuwabara repère deux faucons pèlerins dans le quartier. Cela laisse espérer une installation dans le nichoir des crécerelles. Bingo! Au printemps 2012 ils sont là. Mais la reproduction échoue. La plateforme de nidification est alors améliorée et une caméra est installée. Même si plusieurs pèlerins urbains sont apparus entre temps en région parisienne, dans le quartier des Olympiades, à la Défense et à Ivry-sur-Seine, les vedettes sont bien ces voisins de la Tour Eiffel.
Yaca la femelle et Yaco le mâle sont les icônes du quartier. Ils doivent leurs petits noms à leurs plus grands fans : les enfants de l’école maternelle Sextius Michel, située au pied du site. La présence de ces oiseaux prestigieux a provoqué un engouement pédagogique : maquette du nichoir et des faucons grandeur nature, écran géant pour suivre la nidification en direct depuis le couloir de l’école... La cour accueille même la tombe de Zorro, jeune mâle d’une fratrie de quatre, trouvé mort au pied de l’école le lendemain de son envol, le 19 mai 2014. Yaca et Yaco participent ainsi malgré eux à la sensibilisation à l’environnement de tout un quartier de Paris. Des projets de jumelages et des partages d'expérience sont envisagés avec d'autres écoles. Pas de doute, le directeur de l'école joue le jeu à fond.
Un deux trois, envol!
Retour au pied de la grande cheminée où Fabienne David, responsable nationale de l’espèce à la Ligue pour la protection des oiseaux, se réjouit : « Les trois jeunes pèlerins se sont envolés avant-hier ! » Pour l’heure, il est difficile de les localiser dans la jungle urbaine. Les adultes sont là, majestueux, tout en haut de leur tour d’ivoire. Ils gardent probablement un œil attentif sur leurs rejetons. « Les petits sont sûrement sur une fenêtre ou un balcon du quartier. » Car ils ont de drôles de mœurs, les pèlerins des villes. Ils se retrouvent fréquemment dans un face-à-face ahurissant avec des habitants derrière la vitre de leur appartement. Les appels téléphoniques et les images numériques fusent. Une manière bienvenue d’avoir les dernières nouvelles des fauconneaux.
Ah, les jeunes se montrent enfin sur la façade ouest d’un immeuble. Encore peu sûrs de leurs ailes, ils sont couchés sur de minces tablettes de fenêtre à grande hauteur. Ils attendent un bout de pigeon frais ou une stimulation d'un parents.
David confirme l’évidence constatée dans les autres villes : « Les pigeons domestiques sont les proies presque exclusives du couple, même si des martinets sont capturés à cette saison. » Une ressource alimentaire inépuisable et facile d’accès qui explique peut-être la bonne production de ce couple depuis son installation : trois fauconneaux à l’envol en 2013 et quatre en 2014. Cette année, ils sont trois à s'être envolés du nid. Mais deux d'entre eux ont disparu depuis début juin. Comme quoi les premières semaines de vol sont une période à hauts risques pour les jeunes.
Faucons chasseurs
Sixième semaine de vie : les jeunes faucons s’agitent sur le bord de l’aire dans une sorte de répétition du grand saut. C’est souvent l’excitation d’un nourrissage ou le déséquilibre du plus téméraire qui provoque le basculement des jeunes dans le vide. Le rejeton du prestigieux roi des airs virevolte alors maladroitement en improvisant divers mouvements d’ailes et de queue. Il finit en général au sol ou accroché dans l’urgence à une paroi des environs. En ville, cela peut se terminer sur un trottoir, un toit ou un balcon! Pendant quelques jours, les parents peuvent aller les nourrir là où ils sont. Puis très vite, les fauconneaux se lancent à leur rencontre pour dérober le butin en plein vol. Dans la continuité de ces jeux aériens, il faudra s'entraîner encore quelques semaines pour maîtriser la vraie chasse pour être autonome et survivre.
Pour aller plus loin, visitez les coulisses d'une rencontre avec l'artiste franco-japonais Tsunéhiko Kuwabara.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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