Carte blanche sur le narcisse avec le photographe David Rouge
Chaque printemps, la floraison du narcisse des poètes métamorphose la Riviera vaudoise. David Rouge conte en images ce spectacle aux 50 nuances de blanc.
Chaque printemps, la floraison du narcisse des poètes métamorphose la Riviera vaudoise. David Rouge conte en images ce spectacle aux 50 nuances de blanc.
Il existe en Suisse, dans les hauts de Montreux, un phénomène annuel unique au parfum prestigieux. Tels des flocons à six branches, des millions de fleurs blanches s’empressent de sortir de terre une fois l’hiver effacé. La neige de mai ! Cette avalanche qui poudre les paysages est l’œuvre du narcisse des poètes.
Enfant du pays – mes grands-parents habitaient entre Montreux et Caux –, j’ai passé ma jeunesse à gambader dans ces prairies immaculées en toute insouciance. Il faut dire qu’à l’époque on ne se préoccupait pas trop de la biodiversité, on cueillait à tout-va. Les bambins et leurs parents vendaient leurs plus beaux bouquets en bord de route contre quelques pièces. Désormais strictement protégée, cette plante ravit les poètes dans l’âme qui se promènent et contemplent.
Après plusieurs années à voyager autour du globe à la recherche de la belle image comme de la rencontre inoubliable, j’ai posé définitivement mes valises au pied des Préalpes vaudoises, où j’ai redonné vie à un vieux chalet d’alpage au cœur de la nature.
C’est un terrain idéal pour dispenser des cours de photo, dans lesquels je propose de recréer la composition des cartes postales que l’on trouvait jadis dans les échoppes de Montreux. Chaque année, je me surprends à garder l’émerveillement de mes débuts. C’est cet inépuisable élan créatif qui me nourrit.
Nous sommes fin avril. J’ai repéré dans mon jardin un signe annonciateur réjouissant : de fines pousses bleu-vert ont émergé du sol. Quelques jours plus tard, le moment est enfin venu de plonger dans le raz-de-marée blanc qui se répand sur les coteaux. Le cycle complet va durer environ deux mois, mais chaque fleur porte sa plus belle robe quatre semaines seulement. Je joue donc avec les différences d’altitude de la région pour rallonger la fenêtre de prises de vue.
Tout en restant en périphérie des champs et le long des chemins balisés, je me mets à ramper au niveau des plantes bulbeuses, en prenant garde de ne pas les écraser. J’installe mon trépied, car le vent me complique la tâche.
Je peux passer ainsi quatre heures dans 4 m2, et y revenir tous les jours. Au fil du temps et à force d’emmagasiner des images, je recherche une composition toujours plus minimaliste et remplie du blanc éclatant du narcisse.
J’aime cette dominante qui m’apaise et qui met en valeur le sujet. Par chance, la couverture nuageuse du moment atténue le bleu de l’arrière-plan et adoucit la lumière. J’ai en tête une image que je sais difficile à réaliser... Au ras du sol, je pointe l’objectif vers le ciel, puis je me colle à deux fleurs pour obtenir un premier plan flou. L’aperçu dans le boîtier confirme que le défi est remporté ! Mon prochain rêve ? Il relève presque de l’impossible : capter la visite d’un papillon blanc sur ma fleur fétiche.
Un poète très cultivé
Proche cousin de la jonquille, ou narcisse jaune, le narcisse des poètes porte une grande fleur odorante blanche d’où émerge une courte trompette jaune liserée de rouge. Malgré ses airs de moulin à vent, il profite à peine des bourrasques pour transporter ses grosses graines non loin du pied mère.
C’est essentiellement sous terre qu’il se multiplie, par bourgeonnement de son bulbe, jusqu’à former de grands tapis floraux. Présent à l’état sauvage et très souvent planté dans les jardins, ce narcisse se décline en plusieurs sous-espèces et hybrides. Il affectionne les prairies et pâturages humides jusqu’à 2 300 m d’altitude.
Belle époque
Le narcisse des poètes est localement abondant dans les Alpes, le Massif central et le Jura. Dans la Riviera vaudoise, à l’extrémité est du lac Léman, il ne passe pas inaperçu. De la Belle Époque jusqu’au milieu du XXe siècle, les hauts de Montreux fêtaient en grande pompe sa floraison abondante surnommée neige de mai.
On pouvait alors compter jusqu’à 2 000 fleurs au mètre carré. Des bouquets étaient cueillis par milliers et acheminés par cartons dans le monde entier. Depuis l’intensification des pratiques agricoles, la progression des forêts et des zones à bâtir, les prairies de narcisses ont fondu comme neige au soleil. Aujourd’hui, une association locale veille à leur protection.
Né à Lausanne, ce photographe naturaliste parcourt le monde depuis l’âge de 17 ans pour en révéler ses beautés. Primé dans plusieurs concours nationaux et internationaux, publié dans la presse et auteur du livre Fragile paru aux Éditions Favre, il transmet sa passion lors de voyages photo, workshops et conférences.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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