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Lumières sur le blanc

Zoom sur 3 animaux qui se camouflent dans le blanc

Lagopède alpin, lièvre variable et hermine affrontent l'hiver blancs comme neige. Secrets et défis de trois maîtres du camouflage.

Lagopède alpin, lièvre variable et hermine affrontent l'hiver blancs comme neige. Secrets et défis de trois maîtres du camouflage.

Plutôt que de fuir ou de combattre, beaucoup d'animaux se cachent pour échapper aux prédateurs : le caméléon, le poulpe, la bécasse des bois ou le butor sont passés maîtres dans l'art de la dissimulation. Pour éviter d'être repérés, ils portent les mêmes couleurs que le milieu dans lequel ils vivent. Porter du blanc en hiver peut être un excellent choix… à condition qu'il y ait de la neige !

Devenir poudreuse

En Europe, trois animaux ont adopté cette stratégie. Comme d'autres mammifères et oiseaux, le lièvre variable, l'hermine et le lagopède alpin muent plusieurs fois par an. Ce qui est unique, c'est qu'ils en profitent pour adapter en continu leur couleur à celle de leur environnement. Brun-gris en été, tachetés au printemps et en automne, ils sont presque immaculés à la saison froide.
Loin du Grand Nord, lagopède alpin et lièvre variable vivent uniquement en haute montagne dans des milieux ouverts. Une livrée blanche permet d'échapper aux yeux de l'aigle royal, du hibou grand-duc ou du renard pendant un hiver interminable. La mue est déclenchée par le raccourcissement des jours et par la baisse des températures moyennes.

Camouflé jusqu'aux UV

Chez le lagopède alpin, appelé perdrix des neiges bien qu'il ne soit pas une perdrix, la mue automnale est partielle. Ainsi, les plumes des ailes et de la queue ne sont pas remplacées, au contraire des autres qui cèdent la place à des nouvelles entièrement blanches.
Les plumes filiformes qui entourent les pattes blanchissent aussi en se développant comme d'épaisses chaussettes anti-froid. A la mi-novembre, l'oiseau est enfin tout blanc. Il ne reste plus que la queue, le bec et les yeux qui demeurent noirs toute l'année. Cette doudoune de saison ne réfléchit pas les rayons ultraviolets que les rapaces parviennent à voir. Le lagopède serait ainsi invisible pour tous !

Chez le lièvre variable, surnommé blanchon, les poils gris et bruns de l'été ne tombent pas comme les plumes du lagopède, mais ils blanchissent. En même temps, afin de compléter l'isolation thermique, de nouveaux poils poussent aussi. On estime que cette combinaison de survie est deux fois plus épaisse et trois fois plus dense en hiver qu'en été !

Sécurité avant tout !

Lièvre variable et lagopède alpin semblent parfaitement « conscients » des limites de leur invisibilité. Lorsque le manteau neigeux est discontinu, un blanchon en pelage hivernal privilégie un gîte dans une zone enneigée… et l'inverse au printemps quand il a mué. De même, d'après Eric Dragesco, photographe animalier spécialisé sur la faune de montagne, « lorsque les lagos sont encore assez blancs dans des zones déneigées, ils se tiennent près des névés. Et inversement, lorsqu'ils sont en avance, ils se tiennent à proximité des zones herbeuses. » Idem en Norvège. Une étude a montré que, quand il est encore tout blanc, le lagopède des saules préfère se nourrir là où il y a de la neige… même si les végétaux sont moins nourrissants qu'ailleurs. Mieux vaut avoir le ventre un peu vide que de se faire manger soi-même.

Coup de chaud en perspective

Fin octobre. Malgré la date tardive, il n'y a pas encore de neige sur ce lapié à 2500 m d'altitude. Le plumage presque hivernal de ces lagopèdes alpins joue à leur désavantage. Au lieu d'être camouflés, les oiseaux blancs sont dangereusement visibles. / © Jean-François Desmet

Parfaitement adapté à des conditions extrêmes, le lagopède est très vulnérable aux changements climatiques. A 16°C déjà, il commence à haleter et souffre de la chaleur. La répartition de Lagopus muta serait directement limitée par son incapacité à dissiper la chaleur excessive. La population helvétique de l'oiseau aurait chuté de 30% en 10 ans avec la hausse des températures moyennes. Une étude de la Station ornithologique suisse prédit la poursuite rapide de ce déclin avec la disparition des deux tiers des habitats favorables d'ici à 2070. En France, le scénario est sensiblement le même.
Le réchauffement entraîne aussi la diminution de la durée de l'enneigement. La mue étant contrôlée avant tout par la durée du jour, lagopèdes et lièvres risquent de se retrouver de plus en plus souvent en décalage chromatique avec leur habitat. Ils deviendront alors des proies faciles.

Dans les régions polaires, certains lièvres gardent toujours leur pelage d'hiver. A l'inverse, en Irlande, d'autres restent bruns toute l'année ou ne muent que partiellement. Il y a peut-être une certaine plasticité possible. C'est en tout cas prouvé chez l'hermine. En plaine ou dans le Jura lors de certains hivers doux, on observe parfois des individus partiellement ou totalement bruns. Mais quand des hermines de haute montagne sont déplacées en plaine, elles acquièrent malgré tout une fourrure blanche immaculée…
A défaut de ralentir le réchauffement, on ne peut que souhaiter que la plasticité génétique de ces trois espèces leur permette de limiter les dégâts.

Le détail qui tue

Que se passe-t-il dans la tête d'un prédateur à la recherche d'une proie ? Les signaux visuels sont finement analysés : couleurs, luminosité, angles, lignes, textures… Le cerveau a une grille d'analyse très sensible pour déceler toute anomalie qui révélerait la présence d'une cible potentielle. Celle-ci a fortement intérêt à se camoufler en réduisant toute incohérence avec l'environnement. Question de vie ou de mort.

Hermine en pelage hivernal / © Vincent Munier

Blancs sur l'eau

Grande aigrette, cygne tuberculé, goéland leucophée… Ces oiseaux vivent dans des milieux où la neige est rare… mais ils sont pourtant blancs et donc très visibles. Sans doute n'ont-ils pas beaucoup de prédateurs naturels. En revanche, à l'heure de la pêche, un plumage blanc est un excellent moyen de se confondre avec la lumière du ciel. Chez les aigrettes par exemple, cela doit favoriser les prises. La couleur blanche serait aussi un signal utile pour attirer des congénères vers des sources de nourriture. Une mouette qui mange un bout de pain en attire vite d'autres…

Aigrette garzette à la pêche / © Vincent Munier

Sauvé par ses pois

Dernière étonnante leçon de camouflage à base de blanc. En plaine, le chevreuil utilise cette couleur pour se cacher, mais seulement pendant quelques semaines. Hypervulnérable aux prédateurs, le faon possède des taches blanches qui le rendent pratiquement invisible quand il se tient immobile dans la végétation. Puis, à six semaines, il perd ses taches et change immédiatement de stratégie. En cas d'attaque, il lui faudra désormais courir. Et vite !

Faons / © Benoît Renevey

Preuve par l'aquarium

En 1934, Francis Bertody Sumner fait pour la première fois la démonstration du rôle anti-prédateur du camouflage. Pour ce faire, il présente des formes claires et des formes sombres du poisson Gambusia à des manchots des Galapagos dans deux aquariums différents, l'un éclairé, l'autre dans l'obscurité. En présence de lumière, ce sont majoritairement des poissons clairs qui échappent aux oiseaux pêcheurs… et inversement des individus sombres dans l'obscurité. Cqfd !

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Couverture de La Salamandre n°220

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 220  Février - Mars 2014, article initialement paru sous le titre "Invisible"
Catégorie

Sciences

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