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Anguilles, requins, grenouilles: le bilan de la CoP20 CITES en 7 espèces

Les États du monde se sont réunis jusqu’au 5 décembre pour réguler le commerce mondial des espèces sauvages. Une CoP20 CITES jalonnée de surprises, de réussites, mais aussi d’échecs pour Arnaud Horellou, membre de la délégation française.

Les États du monde se sont réunis jusqu’au 5 décembre pour réguler le commerce mondial des espèces sauvages. Une CoP20 CITES jalonnée de surprises, de réussites, mais aussi d’échecs pour Arnaud Horellou, membre de la délégation française.

« En général, la conférence se déroule dans un esprit plutôt festif, de kermesse. Là, c’était lourd, plombé. J’ai senti une forme de méfiance, de défiance. » Ces mots, forts, sont d’Arnaud Horellou, de retour en France quelques jours après la fin de la CoP20 CITES, organisée du 24 novembre au 5 décembre à Samarcande, en Ouzbékistan. Tous les trois ans, cette Conférence des parties (CoP) réunit les 185 États signataires de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Beaucoup d’acronymes pour désigner, donc, une réunion dont l’objectif est simple: réguler le commerce international afin qu’il ne soit jamais la cause de l’extinction d’une espèce, animale ou végétale.

C’était la COP des votes à bulletins secrets.

Côté face, ces dix jours de discussion ont abouti, à entendre la secrétaire générale de la CITES Yvonne Higuero, à un bilan « remarquable » avec, notamment, 78 nouvelles espèces protégées. Côté pile, Arnaud Horellou, responsable pour l'Autorité scientifique française de la CITES au Muséum national d'Histoire naturelle, déplore des dynamiques inédites. « En général, la conférence fonctionne par alliances. Là, nous avons atteint des sommets en termes de lobbyisme, avec des pressions de la part des États sur les scientifiques. C’était d’ailleurs la COP des votes à bulletins secrets. » Réussites - parce qu’il y en a eu - et échecs: celui qui a vécu à Samarcande sa 4e COP tire le bilan des discussions, en focalisant son regard sur six espèces emblématiques de cette édition.


Le requin-baleine est désormais protégé à l'annexe I.
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Les raies et requins, le grand succès de la CoP20 CITES

Au total, 70 espèces de raies et de requins ont obtenu un renforcement de leur statut de protection. Certaines espèces sont entrées en annexe I, comme le diable de mer de Méditerranée, d’autres en annexe II.

« Sur tout ce qui concerne les poissons cartilagineux, cette COP a été un succès à 100%! Il y a d’abord certains dossiers emblématiques, comme les requins longimane, les raies manta ou les requins-baleines, qui ont été classés en annexe I. C’est un succès, mais aussi un constat d’échec: cela signifie que les mesures de gestion des populations mise en place dans le cadre de l’annexe II n’ont pas suffi. La protection est à peu près similaire pour les raies-guitares ou les raies wedgefish, qui accèdent à l’annexe II, mais avec des quotas de pêche autorisée réduits à zéro pour les populations sauvages. Pour les autres espèces, comme les requins-chagrins, les requins-ha ou émissoles, une obligation de gestion et de suivi est désormais mise en place. J’espère que l’effet sur les populations sera plus important pour ces espèces que pour celles passées en annexe I cette année. »

Lire aussi: notre dossier sur les raies


La grenouille verte Pelophylax ridibundus est très appréciée en France.
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La grenouille verte, consommation contrôlée

Très appréciée des consommateurs français, la grenouille verte a fait son entrée à l’annexe II, sur proposition de l’Union européenne.

« C’est moi qui ai porté ce dossier… La France est le plus gros consommateur de grenouilles en Europe, avec l’équivalent de 200 millions d’individus par année. On les retrouve congelées dans les supermarchés ou en buffet dans les restaurants asiatiques. Nous nous sommes concentrés sur quatre espèces de grenouilles vertes, du genre pelophylax. Trois d’entre elles, souvent venues de Turquie et d’Albanie, sont celles que nous consommons le plus, alors que la dernière, Pelophylax lessonae, très ressemblante, vit chez nous. Ces espèces se reproduisent beaucoup, elles sont donc résilientes. La question qui se pose est de savoir si le commerce de ces grenouilles est soutenable pour les espèces. Avec le classement à l’annexe II et le règlement d’application de l’UE, la Turquie, qui a soutenu la proposition, et l’Albanie devront se plier aux règles européennes pour pouvoir exporter leurs grenouilles chez nous. Nous allons les aider à rendre la gestion des populations plus soutenable. Pour le consommateur, ce nouveau statut ne devrait pas provoquer de grands changements. »


L'anguille européenne restera la seule anguille classée à l'annexe II.
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L’anguille victime du lobbyisme

Les plus de 40’000 espèces protégées par la CITES sont classées selon l’importance de la menace qui pèse sur elles, de l’annexe I, qui interdit tout commerce, à l’annexe III (voir encadré en bas). L’anguille européenne figure, elle, dans l’annexe II. La proposition de l’Union européenne et du Panama était d’y ajouter l’anguille japonaise et l’anguille américaine. Résultat: refus.

«L’anguille européenne est en état de conservation dramatique. Malgré l’interdiction de sa pêche, on la retrouve régulièrement en Asie, mélangée à deux autres espèces, en mauvais état elles aussi: l’anguille japonaise et l’anguille américaine. Comme ces anguilles sont commercialisées à l’état de civelles, de larves, elles se ressemblent toutes. Nous avons donc proposé de toutes les protéger. Sauf que les anguilles sont culturellement très importantes en Asie du Sud-Est, notamment au Japon. En proposant cette inscription des trois espèces à l’annexe II, l’Union européenne a franchi une ligne rouge pour ces pays. Nous avons assisté sur ce point à un lobbyisme jamais vu, à visage découvert, de la part du Japon, avec des moyens financiers et humains énormes. On les a vus faire pendant huit mois, contacter chaque pays pour le convaincre. Ils nous ont même contactés! Et ils ont gagné. »

Lire aussi: premier épisode de notre enquête sur l'anguille européenne et son commerce


Les concombres de mer de type Actinopyga ne seront pas davantage protégés.
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Le concombre de mer, aussi indispensable que méprisé

Deux propositions concernaient les concombres de mer. Le classement d’Holothuria lessoni à l’annexe II n’a pas fait débat. Au contraire de celui, toujours à l’annexe II, de six espèces du genre Actinopyga. Cette proposition européenne a été refusée grâce, encore, à une fronde menée par le Japon.

« Nous avions vu venir le Japon sur l’anguille, mais pas du tout sur le concombre de mer. Plus j’y réfléchis, plus je me dis que nous avons été naïfs, nous aurions dû nous dire que toutes les espèces présentes au Japon seraient dans leur viseur. Le pays pêche ces concombres et les exporte en Chine et au Vietnam. Mais s’il n’y avait pas eu l’anguille, je ne pense pas qu’ils se seraient battus si fort. Ils avaient envie de punir l’Union européenne, pour qu’elle ne revienne pas de sitôt avec la question de l’anguille. Il faut replacer le concombre de mer dans l’écosystème marin. Il agit comme un gros vers de terre, en dégradant les matières organiques mortes. Ce travail est capital pour rendre cette matière à nouveau disponible pour les algues et le phytoplancton, qui produit plus de 90% de l’oxygène terrestre. Mais les stocks de concombres de mer s’effondrent… »

Lire aussi: notre infographie sur le commerce du vivant


Le pernambouc est l'emblème du Brésil.
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Le pernambouc et la libre circulation des musiciens

Endémique des forêts atlantiques du Brésil, cet arbre, utilisé pour la fabrication des archets haut de gamme, a failli être classé en annexe I, avant d’être maintenu en annexe II, avec une protection renforcée.

« Le pernambouc, paubrasilia echinata, est l’arbre qui a donné son nom au Brésil, l’arbre qui figure sur son drapeau. C’est dire son importance pour le pays. On estime qu’il en existe encore 10’000 spécimens sauvages, contre 400’000 par le passé. Cet arbre est inscrit à l’annexe II et interdit de coupe au Brésil depuis 2007, mais un commerce illégal persiste. Le pays souhaitait cette fois l’intégrer à l’annexe I. Tout le monde à la COP était d’accord qu’il fallait mieux protéger cet arbre. Le débat s’est porté sur la manière. L’annexe I aurait empêché les musiciens qui possèdent des archets en pernambouc de passer les frontières avec leur instrument. Elle aurait aussi créé un mécanisme d’inflation sur le trafic illégal, dans une situation où la demande en archets ne baisse pas. Nous avons assisté sur ce dossier à un comportement excessivement responsable du Brésil. L’un des signaux politiques les plus beaux que j’ai vus lors de cette COP. Alors qu’il pouvait obtenir un classement en annexe I, le pays a accepté de continuer à discuter pour trouver la meilleure solution possible pour tout le monde. Au final, le pernambouc reste à l’annexe II, mais le Brésil a pu y ajouter ses règles, plus restrictives. Est-ce que ça fonctionnera? L’avenir nous le dira, mais tous les pays sont bien conscients que s’ils ne jouent pas le jeu, le Brésil obtiendra l’annexe I la prochaine fois. »


80% des girafes vivent actuellement en Afrique australe.
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La girafe, entre captivité et troubles d'identité

Une délégation de pays d’Afrique australe a demandé à sortir les girafes provenant de leurs pays des annexes de la CITES. Une demande rejetée: la girafe reste donc en annexe II.

« En Afrique, deux modes de gestion des girafes cohabitent. En Afrique centrale et de l’Ouest, les animaux circulent dans de grands espaces naturels, presque sans intervention humaine. En Afrique australe par contre, les animaux sont clôturés dans de grands parcs privés défendus avec des moyens sans commune mesure. Résultat: actuellement, plus de 80% des girafes vivent en Afrique australe. Les pays concernés voulaient donc désinscrire leurs populations de l’annexe II, via une liste d’exceptions. Mais ce système aurait été très difficile à gérer. D’autant plus qu’il y a actuellement un débat sur le nombre d’espèces différentes de girafe. On a d’abord dit neuf, puis une seule, et désormais quatre. Il faut savoir que les girafes sont commercialisées sous deux formes: des trophées de chasse ou des fémurs, utilisés pour fabriquer des manches de couteau. Dans le premier cas, des analyses simples permettent de définir de quelle population provient la girafe vendue, ce qui est important au moment d’octroyer ou non un permis d’export. Pas dans le deuxième cas. La CITES a donc refusé la demande de déclassement et demandé aux pays qui la proposaient de réfléchir à une séparation génétique plutôt que nationale. »

Annexes I, II, III: de quoi on parle?

Au total, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) protège plus de 40’000 espèces végétales et animales. Pour ce faire, elle les classe en trois catégories, trois annexes, selon le degré de menace qui pèse sur elles.

Annexe I: C’est la plus restrictive des annexes, celle qui réunit les espèces menacées d’extinction. Le commerce international de ces espèces est strictement interdit, sauf en de rares exceptions, pour des raisons scientifiques par exemple.

Annexe II: Ici sont réunies les espèces qui ne sont pas forcément menacées d’extinction, mais qui pourraient le devenir si leur commerce n’était pas contrôlé. Le commerce international de ces espèces reste possible, mais nécessite une autorisation d’exportation.

Annexe III: Les espèces classées à l’annexe III le sont sur demande d’un pays qui réglemente déjà son commerce et sollicite ainsi l’aide des autres pays membres de la CITES pour mieux l’encadrer. Là aussi, le commerce de ces espèces n’est autorisé que sur présentation de divers documents officiels.

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