Sur la plage, ne pas marcher sur les œufs de ce petit oiseau

Christophe Pérelle arpente les plages de sable du Calvados à la recherche du fragile gravelot à collier interrompu.

Christophe Pérelle arpente les plages de sable du Calvados à la recherche du fragile gravelot à collier interrompu.

christopheperelle

Photographe naturaliste originaire de Normandie, Christophe est passionné par la faune et la flore de sa région natale. Dès son enfance, il profite de sorties en famille, en forêt, pour écouter le brame du cerf, ou dans les marais salants, à l’affût des avocettes. Ces expériences ont nourri son goût pour la photographie naturaliste, qu’il considère comme un moyen de sensibilisation auprès du public et des générations futures.
Son site : @perelle.christophe

« En ce début d’après-midi chaud et ensoleillé, je remonte la plage à la recherche de gravelots à collier interrompu et je me poste assis sur le sable, au pied du petit cordon dunaire. Comme moi, beaucoup de monde semble avoir eu envie de profiter du beau temps pour prendre un bain de soleil. La veille au soir, j’avais prospecté ce nouveau secteur où j’ai pu observer un couple de ces oiseaux limicoles, sans néanmoins pouvoir localiser le nid.
Je scrute le haut de la plage aux jumelles, mais aucune silhouette en vue… Je distingue finalement un mâle en train de se nourrir sur une laisse de mer. Pas de trace de la femelle, elle doit couver. J’entame alors un balayage minutieux de la zone. Au bout d’une dizaine de minutes, je localise enfin la couveuse, bien posée sur ses œufs.

Gravelot à collier interrompu femelle couvant ses œufs
Gravelot à collier interrompu femelle couvant ses œufs

Soudain, elle se met debout et part en courant. Je lève les yeux et je comprends son comportement en apercevant des promeneurs qui se dirigent vers le nid. Ils posent leurs sacs et étendent leurs serviettes à quelques centimètres des œufs. Je vais à leur rencontre pour leur demander de se déplacer, afin que la femelle puisse revenir couver. Le nid, une simple cuvette creusée dans le sable, comporte trois tout petits œufs qui ont échappé aux regards des promeneurs. Je profite de ce moment pour les sensibiliser aux problématiques que rencontre cet oiseau qui niche sur nos plages. L’activité humaine est d’ailleurs une des raisons majeures d’échec des couvées.

Balisage d’un nid
Balisage d’un nid
Mesure des œufs

Nous nous éloignons, la femelle revient très rapidement à la case départ. Je reste à proximité de la zone pour surveiller et appeler James Jean-Baptiste, un ami ornithologue qui mène un programme d’étude de l’espèce. À son arrivée, l’absence de la femelle lui permet de procéder à la mesure des œufs, leur pesée, le relevé du point GPS du nid et la date de découverte.

Sur les 1 500 couples présents en France, 20 % se retrouvent chaque printemps ici, en Normandie. J’en profite pour réaliser des images pour les rapports annuels scientifiques. Plus tard, James posera des piquets, une cage de protection contre les prédateurs et des panneaux informatifs pour le public.

Famille de plagistes

Le gravelot à collier interrompu ne niche pas en Suisse, mais il a deux cousins : le grand gravelot et le petit gravelot. Dans la famille, c’est le cadet dont l’état de conservation est préoccupant sur les plages suisses. Ses effectifs ont décliné à l’époque des grandes corrections fluviales. Depuis les années 1970, sa démographie remonte grâce à l’apparition de nouveaux sites de nidification artificiels dans des gravières et chantiers de construction. Des actions de protection et de revitalisation des cours d’eau naturels ont également joué en faveur du petit limicole. On compte environ 120 couples nicheurs à ce jour.
Il est de tout de même en danger sur la liste rouge suisse. Il n’est pas menacé à l’échelle de la France.

Au fil des années, j’ai parcouru les plages au lever et au coucher du soleil afin de mettre cet oiseau en valeur dans les lumières douces que j’affectionne. L’un des moments les plus marquants s’est déroulé une année quand j’allais vérifier si des œufs avaient éclos. Ce soir-là, en arrivant, je remarque que l’adulte n’est plus au nid pour couver et aucun oiseau n’est visible autour de la cage de protection. Il n’y a plus d’œufs dans la cuvette, les poussins sont donc nés et vont être très difficiles à repérer, car leur plumage est couleur sable. J’aperçois alors une femelle. Je ne la quitte pas des yeux, pensant qu’elle va rejoindre ses poussins. Mais elle part se nourrir sur l’estran. Plus loin, un mâle reste proche d’un tas d’algues sur la laisse de mer. Il bouge peu. Je le surveille alors avec attention aux jumelles et distingue deux petites têtes sortir de son plumage. Puis, un troisième poussin apparaît dans les algues.

Gravelot à collier interrompu femelle couvant ses œufs
Poussin de gravelot à collier interrompu

Le meilleur moyen de photographier les limicoles est de s’allonger au sol. Je me recouvre d’un filet beige pour casser ma forme de bipède et pose mon télé-objectif au ras du sable afin d’obtenir de belles zones de flou. Je passe alors ma soirée à les observer et les photographier jusqu’au coucher du soleil, bercé de belles teintes allant du jaune orangé jusqu’au rose-violet. Ce soir-là, je ne ferai aucune image de la femelle avec les jeunes. J’apprendrai plus tard, grâce à James, que c’est le mâle qui élève les poussins pendant que la femelle cherche un nouveau partenaire pour une seconde couvée. »

Sorti du sable

Le gravelot à collier interrompu fait les frais de la fréquentation humaine sur les plages. Classé comme vulnérable sur la liste rouge française, il bénéficie d’une opération spéciale « Attention, on marche sur des œufs » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). L’association cartographie les zones de nidification et mène des actions de surveillance et de sensibilisation auprès du public. Couplée avec une signalisation des nids, la mise en place d’enclos semble porter ses fruits. Depuis 2020, le succès de reproduction s’élève à 86 % pour les nids protégés, contre 30 % pour les autres.

perelle-revue salamandre 288
Gravelot à collier interrompu et deux poussins, Hermanville-sur-mer (Normandie), 15 juin 2021, 21 h 40.

Photographies de Christophe Pérelle.

Couverture de La Salamandre n°288

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 288  Juin - Juillet 2025, article initialement paru sous le titre "Ne pas marcher sur des œufs"

Ces produits pourraient vous intéresser

Une vie pour la nature

19.90 €

Agir pour la nature – Balcons et terrasses

19.90 €

Le grand livre de la nature

69.00 €

Les plantes sauvages

49.00 €

Découvrir tous nos produits

Poursuivez votre découverte

La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille

Découvrir la revue

Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous

8-12
ans
Découvrir le magazine

Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature

4-7
ans
Découvrir le magazine

Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique

Salamandre newsletter
Nos images sont protégées par un copyright,
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur