© Guillaume Lemoine

Les fleurs du mal

Pollution peut-elle rimer avec biodiversité? Dans le nord de la France et en Belgique, la nature se décarcasse pour s'adapter à des sols toxiques.

Pollution peut-elle rimer avec biodiversité? Dans le nord de la France et en Belgique, la nature se décarcasse pour s'adapter à des sols toxiques.

La commune d'Auby, dans le département du Nord, abrite un univers d'une exceptionnelle rareté : les pelouses calaminaires. Ces étendues de végétation rase tiennent leur nom de la calamine, un minerai de zinc. D'ordinaire, ces pelouses apparaissent sur des affleurements naturels de métaux lourds. Dans le Parc Péru d'Auby, elles ont profité de l'activité minière de la région. Pendant 130 ans, des poussières de zinc, de plomb et de cadmium provenant d'une usine métallurgique se sont lentement déposées sur le sol.

Miracle métallo

« Depuis la fin du XIXe siècle, la végétation en place a décliné à cause de cette pollution, jusqu'à disparaître », raconte Guillaume Lemoine, écologue de l'Etablissement Public Foncier du Nord-Pas-de-Calais. Progressivement, une nouvelle flore s'est miraculeusement installée. Des plantes dites métallophytes sont apparues. Elles forment aujourd'hui une communauté floristique composée d'espèces peu nombreuses et extrêmement rares. On y trouve la pensée calaminaire, l'arabette de Haller, l'armérie de Haller et le silène enflé calaminaire. Ces fleurs ont toutes leur équivalent non calaminaire déjà adapté à des conditions de vie difficiles.
Par exemple, la pensée calaminaire est apparentée à la pensée de montagne, habituée à vivre en altitude. De même, l'armérie de Haller est proche de l'armérie maritime, qui résiste aux embruns salés. « Ces prédispositions à survivre en milieu difficile les ont rendues capables de s'adapter aux sols toxiques », en déduit Guillaume Lemoine.

Pensée calaminaire
Pensée calaminaire (Viola calaminaria) et arabette de Haller (Arabidopsis halleri) / © Benoît Renevey

Volonté de plomb

Pour la majorité des végétaux, un substrat pareil signe leur arrêt de mort. La parade consiste à stocker le zinc ou le plomb dans les racines ou dans les feuilles pour pouvoir continuer à vivre malgré la pollution. Certaines ne peuvent d'ailleurs pas subsister sur un sol sain! « La pensée calaminaire a besoin des métaux lourds. Sur un sol non pollué, elle ne supporte pas la compétition des autres espèces », précise Pascal Hauteclair, biologiste de l'association belge Natagora qui gère le site de l'Ile aux Corsaires, autre lieu remarquable où observer les métallophytes.

Silène enflé calaminaire (Silene vulgaris)
Silène enflé calaminaire (Silene vulgaris) / © Benoît Renevey

Non élucidé

Une question agite les scientifiques : comment ces plantes ont-elles colonisé le site d'Auby alors qu'on ne les trouve nulle part ailleurs dans la région ? Des études génétiques menées à l'Université de Lille 1 sur l'arabette de Haller ont permis de connaître très précisément leur origine : la province de Hartz en Allemagne. Et leur arrivée en France ? « Les graines ont-elles voyagé sur les bottes des ingénieurs ? Dans une livraison de minerai ? » s'interroge Guillaume Lemoine. Le mystère reste entier.
La pollution peut-elle être source de biodiversité ? « Ces pelouses sont de véritables éléments de patrimoine historique et naturel, mais cela ne justifie bien évidemment pas de polluer ! » prévient l'écologue. Et Pascal Hauteclair d'ajouter : « Il faut conserver ses sites exceptionnels et sensibiliser le public car ces plantes nous montrent la capacité de la nature à s'adapter aux pires situations. Sans oublier l'impact de l'homme sur l'environnement. Car saura-t-il, lui, s'adapter ? »

La coccinelle herbivore à 24 points
La coccinelle herbivore à 24 points profite des pelouses calaminaires. / © Gilbert Hayoz

Penchants toxiques

Les insectes profitent aussi de ces pelouses, soit parce qu'ils apprécient la végétation rase, soit en raison du lien qui les unit aux plantes calaminaires. Le petit nacré pond par exemple sur la pensée. Ses chenilles, résistantes aux métaux lourds, mangent les feuilles de la fleur. Ce papillon n'avait jamais été observé dans la région d'Auby avant l'arrivée de la plante. De même, la coccinelle herbivore à 24 points et la casside azurée, une punaise, vivent sur le silène enflé calaminaire. Méditerranéenne, la casside trouve en Belgique son habitat le plus septentrional grâce à la présence de ce type de pelouses.

Plus d'infos

Les pelouses calaminaires du parc Péru d'Auby

Visiter le site belge de l’Ile aux Corsaires

Couverture de La Salamandre n°210

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 210  Juin - Juillet 2012
Catégorie

Écologie

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