Entre chasse et rut… on a vu deux fois le lynx dans le Jura
Disparu de Suisse au 19e siècle, le lynx boréal a été réintroduit il y a 51 ans dans l’arc jurassien. Aujourd’hui, le félin est redevenu le roi de la forêt. Récit de deux rencontres récentes avec le fauve.
Disparu de Suisse au 19e siècle, le lynx boréal a été réintroduit il y a 51 ans dans l’arc jurassien. Aujourd’hui, le félin est redevenu le roi de la forêt. Récit de deux rencontres récentes avec le fauve.
Environ 80 lynx peuplent le Jura suisse. Un chiffre en hausse, mais le félin n’en reste pas moins immensément discret. Lors d’une rencontre, il est cependant possible de l’observer de manière prolongée, à condition de garder ses distances pour ne pas gêner et de bien connaître l’environnement et les habitudes du félin. Ce printemps, deux naturalistes de la Salamandre ont ainsi assisté à des scènes de vie incroyables dans les montagnes du Jura.
Un festin dans la nuit
À la toute fin du mois de mars, une connaissance prévient Julien Perrot, le fondateur de la Revue Salamandre, que la carcasse d’un chevreuil tué par un lynx a été retrouvée à 1200 m d’altitude dans le Jura bernois. Le lendemain de la découverte, Julien se rend sur place avec Corinne, sa femme. Mais à l’endroit indiqué, la dépouille a disparu. “On voit une trace de la traînée de la carcasse avec plein de poils accrochés dans l’herbe puis dans les feuilles mortes. Avec Corinne, nous sillonnons entre les arbres sans rien trouver, aucun indice. On se sépare pour chercher séparément et tout d’un coup à 10 m devant moi… un lynx !”, raconte le fondateur de la Salamandre. Le fauve s’en va ensuite tranquillement et impossible de le retrouver jusqu’à la tombée du jour. Julien décide alors de rester seul sur place pour une nuit qu’il n’est pas près d’oublier…
À lire aussi : Pour rester viable, la population de lynx a besoin de nouveaux lâchers
“J’installe ma housse d’affût très près d’où j’ai vu le lynx. Il commence à faire très sombre. Tout d’un coup, j’entends feuler, grogner, je lève ma caméra thermique et je vois une forme blanche qui passe derrière moi vers les arbres. Je réalise que la dépouille du chevreuil est tout près de là où j’ai laissé mon matériel de bivouac. Le lynx se dirige alors vers la carcasse. J’entends les os qui craquent, il mange et soudain… j’aperçois un deuxième lynx. Je les observe longtemps, les deux ensemble. Le froid et la fatigue finissent par me rattraper et je décide de les laisser tranquille…”

Un épisode de séduction
L’autre observation se situe à la même période, à la fin mars, qui marque la période du rut chez les lynx. C’est Alessandro Staehli, éditeur à la Salamandre et photographe naturaliste, que l’on suit en forêt, toujours dans le Jura bernois. Ce jour-là, il monte à vélo puis à pied avec son matériel photo. Il espère secrètement surprendre les félins en plein épisode de séduction, tout en sachant que ses chances sont faibles, très faibles…
“Je réalise qu’il s’agit d’une femelle avec ses deux petits de l’année précédente
„
“Au détour du chemin, je tombe nez à nez avec un chamois. D’abord curieux, l’animal quitte ensuite le chemin et descend bruyamment dans la pente. C’est alors que j’aperçois une forme accroupie 60-70 m devant moi, au bord du sentier. Coup de jumelles : un lynx ! Il bâille, enchaîne un brin de toilette, puis se lève et abandonne la piste. Je me mets à l’affût dans les feuilles mortes. Dix minutes après, le lynx se matérialise dans le sous-bois et marche devant moi… talonné par un deuxième individu ! Un troisième lynx avec les sens totalement en éveil les suit d’un pas mesuré. Je réalise qu’il s’agit d’une femelle avec ses deux petits de l’année précédente”.
Le spectacle est déjà merveilleux pour Alessandro Staehli. Pourtant, il y a encore une surprise à venir. “Cent mètres plus bas dans la forêt, je vois un quatrième lynx très tacheté monter résolu vers la petite famille. C’est le rut, et il s’agit très probablement d’un mâle ! La femelle le repère aussitôt et fonce sur lui suivie par l’un des jeunes. Une demi-heure après la course-poursuite, les quatre lynx reviennent sur le chemin, ensemble. La gueule entrouverte, le mâle s’approche de la femelle qui le tolère tout en restant sur ses gardes. Puis ils repartent tous. À l’heure où je retrouve mon vélo, la nuit tombe et la forêt est déchirée par les feulements plaintifs des félins. Inoubliable !”
Trois questions à… Luc Legrand, biologiste pour la fondation Kora, qui suit les grands prédateurs en Suisse
Le lynx a été réintroduit il y a 51 ans en Suisse. L’espèce a-t-elle encore besoin d’un coup de pouce des humains pour sa survie ?
Je prendrais le problème dans l’autre sens. Ce sont les activités humaines qui font toujours peser un risque sur la viabilité de la population de lynx. Les plus grands problèmes pour le félin sont reliés à l’humain. La première cause de mortalité, ce sont les collisions avec des véhicules. Ensuite, il y a le braconnage avec des animaux tirés illégalement et la fragmentation de l’habitat. On est dans une région dominée par l’homme avec des voies ferrées, des canaux, des bâtiments, des routes et ça empêche les mouvements du lynx.
De quoi à besoin le lynx pour s’implanter sur un nouveau territoire ?
Sa proie favorite, c’est le chevreuil, donc il faut des proies. Il a aussi besoin d’abris pour se reposer. Au début, on pensait qu’il ne trouverait refuge qu’au fond des forêts obscures: mais dans des petits bois du Plateau on s’est rendu compte que ça peut marcher, car le lynx peut facilement se déplacer pour chasser. Mais le Plateau est un habitat dangereux : c’est comme s’il y avait une autoroute entre notre chambre à coucher et la cuisine. Et quand on traverse tous les jours, on finit par tomber dans un piège.
Dans le Jura la population de lynx continue à croître doucement, mais elle est menacée par la consanguinité. Pourquoi ?
Le lynx a été réintroduit en Suisse il y a un peu plus de 50 ans. Les individus d’origine ont été prélevés en Europe de l’est. Maintenant, tous les lynx qu' on a en Suisse descendent de cette même lignée qui a été réintroduite. Les lynx du Jura, comme ceux des Alpes suisses, sont dans la même situation que des poissons dans un aquarium. Ils sont coupés des autres populations en Europe. S'ils continuent à se reproduire toujours entre eux, ça ne marchera
Catégorie
Ces produits pourraient vous intéresser
Poursuivez votre découverte
La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille
Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous
Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature
Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur