© Neil Villard

Lynx, le fantôme qui rôde

Sa passion pour les prédateurs l’a tout naturellement amené sur la piste du lynx. Depuis quatre hivers, Neil Villard attendait le discret félin dans l’espoir d’une rencontre.

Sa passion pour les prédateurs l’a tout naturellement amené sur la piste du lynx. Depuis quatre hivers, Neil Villard attendait le discret félin dans l’espoir d’une rencontre.

Même sur les crêtes jurassiennes, c’est bientôt le printemps. Les jours sont passés aussi vite que la neige a fondu. La probabilité de photographier le maître des lieux s’amenuise jour après jour. Mais je garde espoir en rêvant à l’image improbable, celle que je n’aurai quasiment aucune chance de réaliser. Ce sont ces pensées folles qui me poussent à braver le froid chaque matin avant l’aurore pour attendre le lynx.

Il est peut-être là, derrière cet épicéa ?

Trois pleines lunes se sont déjà levées cette année depuis le début de mes veilles. A force de passer au même endroit, un petit sentier s’est creusé jusqu’à mon affût. Une fois installé, j’attends. Aux premières lueurs du jour, peu à peu la forêt se dessine dans l’ombre. Alors mon rituel commence. Je passe en revue toutes les pierres, les souches ou les troncs couchés qui apparaissent devant moi. Il est peut-être là, derrière cet épicéa ?
Tous les jours se ressemblent. Seule la météo change. Si parfois le temps paraît long, parfois il semble s’évanouir. Au fil des mois, je commence à ressentir l’environnement d’une manière différente. Tout m’est si familier que la moindre perturbation me met inconsciemment en alerte. Un renard passe furtivement dans les feuilles mortes, mon cœur s’emballe.

Mais ce n’est que le vent ou mon imagination qui les fait danser.

A la tombée de la nuit, les foyards brillent comme de grandes colonnes argentées. Certains hêtres, les plus petits, ont gardé leurs feuilles sèches tout l’hiver. Leur parure cuivrée rappelle le pelage du lynx. Dès que je soupçonne un mouvement dans les arbustes, je vérifie à travers mes jumelles. Mais ce n’est que le vent ou mon imagination qui les fait danser. 6 h, une nouvelle journée commence. Sans bruit ni lumière, je me glisse dans ma cachette. En face de moi, je devine de petits points noirs sous les rochers… les chamois sont là. J’apprécie leur présence. Leurs yeux noirs m’aident à surveiller les bois. Après tout ce temps passé en leur compagnie, je reconnais les jeunes de l’année, les mâles solitaires qui viennent parfois se mêler au groupe ou les femelles qui gardent à tour de rôle les cabris. Parfois, je les entends siffler, le poil hérissé. Ils regardent tous dans la même direction. Je contrôle alors minutieuse­ment chaque ombre aux jumelles. Mais évidemment, pauvre humain, je ne vois rien. Pourtant il est probablement là, assis dans la forêt à les guetter. A me guetter.

Le fantôme est là !

Un cri brise soudain la monotonie de la matinée. L’estomac crispé, je scrute frénétiquement le paysage. Rien ! Les feulements du lynx reprennent, la tension monte. Puis un silence terrible. Pendant un quart d’heure interminable, l’angoisse de l’avoir raté me submerge. Et tout à coup, la parure cuivrée des petits hêtres prend vie et se détache de la lisière comme arrachée par une forte rafale. Mais il n’y a pas de vent. Le fantôme est là !
Le lynx trotte le pas léger droit sur mon affût. Il passe sur ma droite, monte sur un petit promontoire et s’assied. A 20 mètres. Le félin regarde brièvement dans ma direction, puis scrute l’horizon, comme si je n’existais pas. Et moi, je viens de vivre un des moments les plus intenses de ma vie.

Propos recueillis par Alessandro Staehli

Aiguille dans une botte de foin

Le domaine vital d’un lynx adulte est extrêmement vaste. Dans le Jura suisse, des études télémétriques ont révélé que les mâles occupent entre 260 et 290 km2… soit l’équivalent de 35 000 terrains de foot couverts de forêts. Le noyau central, où le félin passe le plus clair de son temps, a une surface d’environ 100 km2. Voilà pourquoi son observation est si difficile.
L’hiver est la meilleure période pour tenter sa chance. La neige permet de détecter son passage. Et puis, entre janvier et mars, le prédateur est en rut. Restons sur les chemins pour éviter tout dérangement de la faune sauvage et tendons l’oreille. Avec un peu de chance, on pourra entendre feuler le grand chat.

Garde-faune moustachu

Haut sur ses grosses pattes, robuste et muni d’une courte queue, le lynx boréal est un animal impressionnant. La femelle pèse 17 à 20 kg et le mâle jusqu’à 26 kg : le double voire le triple d’un renard. Le grand félin est spécialisé dans la capture des chamois et des chevreuils. Ils en mange entre 50 et 60 par an et régule ainsi naturellement les populations d’ongulés sauvages.

Neil Villard sur la piste du lynx
Neil Villard

Neil Villard

  • 1984 Naissance à Neuchâtel
  • 2004 CFC de forestier-bûcheron
  • 2007 Laborant en biologie à l’Université de Neuchâtel
  • 2012 Observe son 1er lynx
  • 2014 Première photo de lynx
Couverture de La Salamandre n°233

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 233  Avril - Mai 2016, article initialement paru sous le titre "Un fantôme rôde…"

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