© Laurent Willenegger

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Jardin sauvage – Polar polaire

Chapitre 3 : Nocturne angoisse

Dans la nuit glaciale, un bruit sourd retentit. Il provient des combles de la maison. Quel visiteur a bien pu se glisser sous le toit à l'heure où tout semble endormi?

Dans la nuit glaciale, un bruit sourd retentit. Il provient des combles de la maison. Quel visiteur a bien pu se glisser sous le toit à l'heure où tout semble endormi?

La nuit s'était doucement fermée sur cette absence. La clarté des réverbères mêlée à celle de la lune peignait la neige de nuances bleues et jaunes. Cette luminosité inhabituelle freinait ma plongée dans le sommeil. Blottie dans l'amicale tiédeur de la couette, je poursuivais donc mes relectures, bravant l'avertissement de mon compagnon. J'accompagnais, concentrée, les pérégrinations du commissaire Adamsberg sur les bords de la Seine et dans son Béarn natal. Un bruit sourd au-dessus de ma tête me fit brutalement émerger de l’intrigue policière dans laquelle j’étais si délicieusement plongée. Plus curieuse qu'inquiète, je retenais mon souffle à l'affût d'un nouveau signe. Le silence semblait s'épaissir, juste traversé par la respiration régulière de mon compagnon endormi.

Alors que j'étais sur le point de conclure à une fausse alerte, un craquement de charpente ou de parquet résonna dans la chambrette, cette fois plus près de la fenêtre. Maintenant, j'en étais certaine, cela provenait des combles. Il n'y avait pas de place pour les fantômes dans la maison, mais une bestiole ? Je dégainai ma lampe torche et escaladai en chemise de nuit l'échelle poussiéreuse qui permettait de monter au grenier, en soulevant une trappe. Si Théophile s'était réveillé à ce moment-là, il se serait bien moqué de moi.

Le froid des combles m'accueillit, un baiser glacé sur tout le corps. Là, sur le plancher grossier où je venais de prendre pied, des traces imprimées dans la poussière ! On était passé par ici, à deux pas au-dessus de nos têtes. « On » ? Des petites marques entremêlées. Un rat, une souris ? Ou alors un loir, peut-être un lérot ? Sur une vieille caisse, je découvris une paire d'excréments noirs et friables. Des crottes de chauves-souris. Certainement les oreillards que j'avais surpris accrochés à une poutre, dans la chaleur étouffante du cœur de l'été. Ils devaient être bien loin à cette heure, profondément endormis dans quelque grotte ou crevasse d'arbre. A part ça, pas de signe de vie, pas d'odeur suspecte. Juste celle de la poussière sèche qui chatouillait mes narines dans le froid de ce grenier mal isolé.

Un courant me parcourut l’échine. Dérangée dans mon intimité, je n’arrivais pas à contrôler cette appréhension diffuse qui accompagne l’inconnu, le mystère non résolu. Je rageais intérieurement de ne pas être capable de la maîtriser. Tout cela pour une bestiole !

J'allais rejoindre la douceur des plumes quand une ombre fugace occulta la faible lumière qui tombait du vasistas. De surprise, je manquai un échelon. La torche me glissa des mains. Tâtonnant dans la pénombre à la recherche de l’interrupteur, je pestai contre ma maladresse et contre cette lampe de camelote dont les morceaux de plastique rouge parsemaient maintenant le carrelage. Théophile ronflait doucement, le pied gauche hors du duvet. Il n'avait rien entendu. Il lui en fallait plus pour émerger de son sommeil.

Jalouse de sa tranquillité, j’en arrivai à souhaiter une menace justifiant mes ridicules frayeurs : un voleur, un rôdeur, ou même un fantôme, un vrai. Peut-être mon visiteur était-il encore sur le toit ou dans les environs ? Il fallait que j’en aie le cœur net. Je rassemblai à la hâte les plus gros débris puis enfilai prestement un pantalon chaud, mes bottes fourrées et ma parka. Le bonnet vissé sur la tête, je laissai mes yeux s'habituer à la pénombre. La clarté de la lune inondait le devant de la maison. Sur le toit, je distinguai des irrégularités, comme des accrocs dans la couverture neigeuse. Traces ou imagination ? Impossible de le dire à cette distance, et de surcroît sans lampe de poche.

Les zones d'ombre au pied de la haie s'allongeaient curieusement. Leur tourner le dos me mettait mal à l'aise. Comme si quelqu'un m'observait à couvert. Mais l'éclairage blafard ne révélait qu'un innocent enchevêtrement de troncs et de tiges. Venant de ma droite, un son strident déchira mes oreilles. Une sorte de souffle puissant mêlé de plainte aiguë. Je sursautai à nouveau, sans immédiatement reconnaître ce cri sauvage. Soudainement éclairé par un éclat de lumière provenant de la fenêtre de la cuisine, un visage rond et pâle piqué de deux yeux noirs et perçants me fixa. Une chouette effraie se tenait là, perchée sur la cabane de jardin. C'était elle, mon visiteur du soir ! Je suivis du regard son envol feutré, autant penaude d'avoir eu peur que d'avoir dérangé cette divinité nocturne au regard aussi aiguisé que son cri. Bonne chasse, ma belle ! N'hésite pas à revenir nous voir !

— Tu viens te recoucher ou tu comptes passer la nuit ici, bâilla Théophile depuis la porte-fenêtre du salon, rajustant virilement son bas de pyjama. Il n'avait évidemment rien suivi de mes aventures nocturnes et devait penser que j'admirais les constellations de ce ciel d’hiver, ce qui m'arrivait parfois en cas d'insomnie.

La suite... au prochain épisode! L'enquête

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Couverture de La Salamandre n°207

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 207  Décembre 2011 - Janvier 2012, article initialement paru sous le titre "Nocturne angoisse"
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Dessins Nature

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