Monsieur Tardigrades
Pour conclure, reportage à Munich chez Martin Mach. Ce chimiste pétillant est l'auteur d’une extraordinaire et incontournable Gazette des tardigrades.
Pour conclure, reportage à Munich chez Martin Mach. Ce chimiste pétillant est l'auteur d’une extraordinaire et incontournable Gazette des tardigrades.
Qui s'intéresse aux tardigrades finit tôt ou tard par tomber sur le site internet de Martin Mach. Une fois par mois, l'auteur de tardigrades.com met en ligne un épisode à la fois drôle, richement documenté et truffé de photos et de vidéos stupéfiantes. L’enthousiasme qui s’en dégage donne furieusement envie de rencontrer l’auteur de cette chronique. Après quelques e-mails et un téléphone décisif, l’affaire est entendue.
Quelques semaines plus tard, La Salamandre débarque donc chez Martin Mach à Munich. Elle découvre que ce chimiste consacre depuis dix ans ses loisirs à ces animaux presque invisibles. L’homme nous accueille tout sourire à la gare, puis nous conduit chez lui, dans un appartement spacieux qu’il partage avec sa femme et leurs deux filles.
« Parfois, j'ai l’impression qu’il me regarde. »
Voici la rédaction du célèbre Bärtierchen-Journal la pièce déborde de loupes binoculaires, de micro-scopes, d’appareils photo et de caméras. Tout ce qu’il faut pour un voyage microscopique à la Jules Verne.
Quand on scrute l’infiniment petit, on s’attend à ne voir que des vers et des microbes. Erreur ! Avec les tardigrades, Martin Mach a rencontré des animaux au mode de vie aussi fascinant que celui des grosses bêtes. « En trouver un, c’est faire une rencontre à laquelle on ne s’attend pas à pareille échelle. La géométrie parfaite d’une algue diatomée est fascinante, mais lui, c’est un cochon d’Inde en miniature ! Il a des pattes, un visage, des yeux. Parfois, j’ai l’impression qu’il me regarde. » Le scientifique se reprend : « Simple illusion bien sûr. N’empêche que c’est troublant. »
« Est-ce qu’ils peuvent vivre dans les jeans ? »
Malgré ses multiples expériences, Martin Mach peine à cerner la psychologie de ses protégés. Finalement, c’est peut-être notre propre psyché que ces bestioles reflètent. Beaucoup d’e-mails reçus par Monsieur Tardigrades témoignent des sentiments contrastés qu’un ver à pattes d’ours peut nous inspirer. Essentiellement de la fascination devant ses mouvements expressifs et ses deux yeux « J’en suis tombé amoureuse, que faire ? » « Peut-on en adopter ? », mais aussi du dégoût, voire de la paranoïa. « Comment me débarrasser des tardigrades qui habitent dans mon corps ? » « Est-ce qu’ils peuvent vivre dans les jeans ? » « Ces extraterrestres nous veulent-ils du mal ? »
Assez philosophé. Pause bière et bretzel. Puis Martin Mach descend à la cave chercher quelques vélos tendrement bricolés, une autre passion. « Des tardigrades, il y en a devant la maison, entre les pavés. Mais roulons plutôt jusqu’au bord de la rivière. Là-bas, certaines mousses abritent une faune particulièrement riche. »
« Evitez les mousses qui sentent le champignon. »
Quelques coups de pédales plus tard, nous sommes au bord de l’Isar. Cet affluent du Danube dessine un cordon de verdure à travers la ville. D’importants travaux barrent l’accès au lieu de récolte préféré de Martin Mach. « C’est pour la bonne cause : ils sont en train de renaturer les rives. » On s’arrête un peu plus bas, face à la Lukaskirche. Un vieux mur surplombe la rivière. « Je pense que c’est aux troncs et aux branches charriés par l’Isar depuis les Alpes que nous devons la forte diversité en tardigrades de ce secteur. Aux espèces locales s’ajoute en effet la faune montagnarde. »
Notre guide sort de sa veste un tuyau flexible terminé par une curieuse pince. Celle-ci lui permet d’arracher sans tomber à l’eau des fragments de mousse situés au soleil, juste au-dessus des flots. Les tardigrades muscicoles fuient en effet une humidité constante qui favorise le développement de leurs parasites. Rien de tel qu’un petit coup de sécheresse pour faire le ménage ! Un comble pour un animal aquatique. En résumé, « évitez les mousses qui sentent le champignon. Elles sont d’un moindre intérêt. »
De retour à la maison, nos prélèvements sont délicatement humectés. Martin Mach avait vu juste. Au bout de quelques heures, ils révèlent une quantité inhabituelle de petits habitants translucides. Mais ce n’est pas tout ! L’intarissable passionné nous présente ensuite à l’écran ses plus belles photos et vidéos. Il lui a fallu trois ans de laborieux essais pour arriver à quelque chose de présentable. Mais le jeu en valait la chandelle. Car voici sous nos yeux médusés le monde des tardigrades comme si on y était. Des éclosions. Des réveils. Des rencontres. Merci, Herr Tardigrad !
Globe-trotters
Comment expliquer qu’on retrouve certains tardigrades aussi bien dans les glaces du Groenland que dans celles de l’Antarctique ? Ou que des espèces découvertes dans une forêt italienne prospèrent également dans un humus du Tennessee ? Ce n’est pas en parcourant à la marche quelques centimètres à l’heure que certaines de ces bêtes minuscules sont devenues cosmopolites.
En revanche, portés par le vent ou par les courants marins, leurs œufs et leurs tonnelets peuvent parcourir de très grandes distances. Il est d’ailleurs probable que leurs formes de résistance soient une adaptation non seulement à des conditions de vie changeantes, mais aussi à une dispersion bien hasardeuse. Pouvoir attendre barricadé une occasion de s’installer augmente les chances de survie.
Et puis, il y a le coup de pouce involontaire de l'homme. Avec ses avions et ses navires, il décuple de manière significative les possibilités d’excursions.
Dans sa Gazette, Martin Mach raconte une amusante expérience à laquelle il s’est livré. Par internet, le Bavarois a commandé aux îles Canaries un set de mousses et de lichens vendu comme décoration pour les fêtes de fin d’année. Il a ensuite réhydraté le contenu de son paquet pour y découvrir une riche faune de tardigrades. Parmi eux, certaines espèces exotiques encore jamais vues en Allemagne.
Comment la Gazette des tardigrades est-elle née?
Tout commence quand, tout jeune encore, Martin Mach a décidé de livrer des journaux pendant toute une année pour gagner les 400 marks nécessaires à l’achat de son premier microscope. Le garçon économe n’avait que 13 ans. « C’était surtout l’objet qui me fascinait. Si j’ai commencé à observer, c’est simplement parce qu’il était inimaginable de ne pas utiliser un appareil aussi cher. » Bientôt, le voici explorateur en gouttes d’eau. Il enchaîne les découvertes et se passionne pour les algues, les rotifères, les daphnies. Dans son livre de chevet qui présente de manière détaillée tous les micro-organismes, les tardigrades n’ont droit qu’à une malheureuse page.
A l’heure de choisir un métier, on déconseille à Martin Mach la biologie jugée pauvre en débouchés. Le jeune homme entreprend alors des études de chimie. Depuis une dizaine d’années, il réalise expertises et recherches pour le Land de Bavière, à l’office des rénovations historiques.
En 1999, à 43 ans, le virus le reprend. Martin Mach a envie de développer un sujet sur internet, de créer un espace créatif sans rapport avec son activité professionnelle. Il cherche un thème insolite, surprenant, et tombe par hasard sur un livre entier consacré aux Bärtierchen , les oursons d’eau. Le sujet lui plaît, les bestioles apparaissent dans ses échantillons, et les observations s’enchaînent.
La Gazette des tardigrades, complétée depuis lors chaque mois, compte aujourd’hui plus de 100 épisodes rédigés avec rigueur et humour en allemand et en anglais. Ses photos et ses films font le tour du monde. Même la BBC s’intéresse à ses prises de vue. Quant à l’abondant courrier reçu par e-mail, il témoigne d’un engouement planétaire.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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