Les visiteurs et habitants du hêtre
Voraces ou paisibles, discrets ou sédentaires... ils sont nombreux à visiter le hêtre au fil des saisons.
Voraces ou paisibles, discrets ou sédentaires... ils sont nombreux à visiter le hêtre au fil des saisons.
Studio minus
En été, on voit parfois apparaître sur certaines feuilles de hêtre des excroissances en forme de petits citrons. Ces galles sont provoquées par la ponte d’une minuscule mouche appelée Mikiola fagi. La présence d’un œuf, puis d’une larve dans le tissu végétal induit le développement d’une espèce de petite maison creuse. En automne, la galle se détache et tombe par terre. La nymphe de la mouche passe l’hiver abritée à l’intérieur avant d’émerger au printemps suivant.
Lettres coquines
De loin, on dirait de simples taches blanc crème sur fond d’écorce grise. De près, voici Graphis scripta, un lichen crustacé caractéristique du hêtre et d’autres arbres à écorce lisse. Rapprochez-vous encore et vous verrez à la surface de cet être presque plat de curieuses lignes noires irrégulières, parfois divisées en trois ou quatre branches. Appelés lirelles, les organes reproducteurs de ce lichen dessinent comme un alphabet ancien évidemment illisible. Si on savait déchiffrer ces lettres sylvestres, sûr qu’elles nous raconteraient des histoires délicieusement croustillantes…
T comme hachette
Quand les bourgeons du hêtre frémissent, la hachette n’est pas loin. Ce papillon de nuit émerge en même temps que les feuilles de son arbre hôte. On le reconnaît à des ocelles noirs et bleus avec un T blanc en forme de petite hache sur chacune de ses ailes.
Problème chez les hachettes : Madame, couleurs ternes et profil bedonnant, vole exclusivement de nuit. Et Monsieur, ailes ocre flamboyant, petite taille et profil minceur, se promène uniquement en journée. Comment ces deux-là vont-ils se rencontrer ? Heureusement, perchée sur un rameau, elle émet des phéromones que lui localise grâce à des antennes en forme de larges peignes. Ouf !
Siffleur en canopée
Dans la petite tribu des pouillots, c’est le plus grand et le plus coloré avec sa poitrine jaune citron, son ventre blanc et ses longues ailes d’un vert presque fluorescent. Et pourtant, le pouillot siffleur est très difficile à voir. Ses teintes se confondent parmi les feuillages et l’oiseau fréquente surtout la canopée, le sommet de la forêt où il écume de petits insectes. Le pouillot siffleur est un habitant typique des hêtraies au sous-bois dégagé. Il cache son nid par terre, dans les feuilles mortes ou entre deux racines. Dommage que le long trille de son chant retentisse de plus en plus rarement en forêt. Les effectifs du joli siffleur sont en effet en chute libre comme c’est le cas pour la plupart des autres passereaux qui migrent au-delà du Sahara.
Orchidée hyper-connectée
Pour vivre sous des hêtres, il faut avoir des besoins en lumière modestes. Pas de problème pour la néottie nid d’oiseau, une orchidée sans chlorophylle capable de pousser dans une obscurité complète. D’abord, la néottie se développe avec très peu de ressources ou fleurit sous terre certaines années par mesure d’économie. Et surtout, cette plante connecte ses racines aux filaments d’un champignon qui vit lui-même en symbiose avec le hêtre. L’arbre fournit des sucres à ses deux partenaires. Le grand réseau racinaire du champignon complète l’approvisionnement de l’arbre comme de l’orchidée en eau et en sels minéraux. Et enfin la néottie profite des ressources de l’un comme de l’autre... semble-t-il sans réelle contrepartie.
Loirs en pole position
Les loirs gris aiment les forêts de hêtres et ces rongeurs arboricoles sont les premiers à avoir accès aux faînées abondantes. Dès le mois de juin, au fur et à mesure que les fruits mûrissent, ils décortiquent les faînes sur pied en rongeant l’une de leurs quatre faces épineuses. Cette abondance de nourriture permet une reproduction très importante en automne qui peut aboutir à des pullulations spectaculaires.
Partout les mulots !
En septembre, quand les faînes commencent à tomber par terre, les mulots entrent dans la danse. L’orgie va durer des mois. même sous la neige. En même temps, ces rongeurs forestiers se reproduisent à qui mieux mieux pour atteindre un pic de population au début du printemps. Sous les hêtres, on le voit, ça bouge de partout dans les feuilles mortes. Puis la population chute jusqu’à la prochaine aubaine…
Nordiques par millions
Un autre amateur de faînes rejoint le banquet en hiver. Le pinson du Nord est un passereau qui niche dans la taïga. Quand arrive la mauvaise saison, l’oiseau devient très sociable et forme de grandes troupes qui migrent vers le sud. On peut voir alors des bandes de pinsons du Nord qui écument les hêtraies. Parfois, comme l’hiver dernier dans le canton de Fribourg, il peut se former un immense dortoir comptant des millions d’individus. Chaque matin, tous s’envolent et se dispersent à des dizaines de kilomètres à la ronde. Ils cherchent des hêtres pas encore nettoyés de leurs fruits… avant de revenir se percher tous ensemble pour la nuit. Un spectacle incroyable !
La tactique Tengmalm
Une abondance de rongeurs entraîne une excellente reproduction chez tous les rapaces nocturnes forestiers, tout particulièrement chez la chouette de Tengmalm. Cet oiseau discret s’est adapté d’une manière originale à ces alternances d’abondance et de disette. Le mâle est très sédentaire. Chaque fin d’hiver, son chant flûté résonne dans une hêtraie-sapinière de moyenne montagne. La femelle en revanche est une opportuniste voyageuse. Elle peut parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres à la recherche d’une forêt riche en mulots. Dans ce cas, elle commence à élever une nichée avec un premier partenaire, puis déguerpit avant la fin du nourrissage pour fonder ailleurs une seconde famille avec un autre partenaire. Quand la saison est bonne, il faut produire un maximum de jeunes ! Et s’il n’y a pas grand-chose à manger ? Madame s’en va ailleurs. Et Monsieur survit en croquant de maigres musaraignes et quelques oiseaux.
Un chat dans la danse
L’abondance de rongeurs forestiers entraîne à son tour des heures fastes pour tous leurs prédateurs. Le discret chat sauvage se gave de mulots et délaisse pour quelque temps les prairies et les pâturages où on peut parfois le voir chasser des campagnols. Autrement dit, une année sans chat sauvage visible… c’est souvent une bonne année pour le félin qui n’a pas besoin de s’exposer à découvert.
Hêtre, premier choix
Ce que le pic noir préfère par-dessus tout, c’est un beau fût de hêtre. Peut-être l’absence de branches latérales lui offre-t-elle un dégagement apprécié. Dans le Jura en tout cas, c’est son arbre quasiment exclusif. Ailleurs, en l’absence de foyard de taille convenable, le pic noir peut s’installer dans un tronc d’épicéa ou de sapin blanc, plus rarement de pin, de mélèze ou d’érable. Si la cavité déprécie évidemment la valeur économique de son porteur, elle ne semble pas accélérer fondamentalement sa décrépitude.
Plutôt mort que vif
La mort naturelle d’un arbre est un processus qui dure longtemps, très longtemps. Les pics, mais aussi surtout de nombreux champignons et invertébrés y participent. Après des décennies de nettoyage intensif des forêts, beaucoup de ces décomposeurs sont menacés. La rosalie des Alpes par exemple est un coléoptère extrêmement spectaculaire. Sa larve se développe durant trois ou quatre ans dans un tronc crevotant ou mort mais encore dur et sec. La bête a besoin d’une grosse pièce de bois exposée au soleil… ce qui est plutôt rare en hêtraie.
Un rhino pour conclure
Petit à petit, les intempéries et les filaments des champignons ramollissent le bois. Alors, le tronc du hêtre pourrissant attire plusieurs sortes de coléoptères noirs qui pondent leurs œufs dans le bois vermoulu. Parmi ces cousins du grand lucane cerf-volant qui vit sur les chênes,le plus spectaculaire est l’étonnant rhinocéros. Chez cet animal au corps cylindrique, le mâle porte un appendice sur le front qui fait irrésistiblement penser au profil d’un gros mammifère cuirassé…
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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