© Émeline Pujolas

Le serpent qui atteint des sommets

Sur la montagne de Lure, en Haute-Provence, le Conservatoire d’espaces naturels restaure des pâturages pour sauver la rarissime vipère d’Orsini.

Sur la montagne de Lure, en Haute-Provence, le Conservatoire d’espaces naturels restaure des pâturages pour sauver la rarissime vipère d’Orsini.

Le sommet de la montagne de Lure est encore blanc de neige en ce début mars. Plus bas, le long des crêtes, les pelouses d’altitude sortent à peine de leur sommeil hivernal, réveillées par les premiers rayons de soleil… et une curieuse agitation. Une dizaine d’adolescents du lycée agricole Carme-jane (Alpes-de-Haute-Provence) coupent de jeunes hêtres qui colonisent les pâturages. Ces ouvriers d’un jour amassent de grands tas de bois et de feuilles rousses. Objectif : maintenir ces espaces ouverts pour préserver la vipère d’Orsini, le plus petit serpent de France.

Salamandre 288 Chantier restauration - Oscar Hadj-Bachir (1)
La montagne de Lure / © Oscar Hadj-Bachir

Le rare reptile a la particularité de se nourrir presque uniquement de criquets et sauterelles. Outre sa nourriture, il trouve dans ces étendues des lieux ensoleillés pour se réchauffer. Pour s’abriter, cette vipère a besoin de genévriers, de vieilles souches ou encore d’affleurements rocheux.

« L’avancée de la forêt est une des principales menaces pour cette vipère. La régression des activités pastorales et le réchauffement climatique permettent aux arbres de gagner peu à peu les pâturages d’altitude et les morcellent », explique Oscar Hadj-Bachir, herpétologue au Conservatoire d’espaces naturels Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), qui anime le plan national d’actions sur cette espèce.

Une montagnarde

Particulièrement rare et menacée, la vipère d’Orsini est classée en danger sur la liste rouge des reptiles de France. Avec ses 30-50 cm et sa coloration cryptique – un zigzag sombre sur fond gris-beige –, ce petit prédateur solitaire est d’une grande discrétion. Rares sont ceux qui l’aperçoivent. En France, cette vipère habite uniquement les Alpes du Sud, entre 1 100 et 2 250 m d’altitude. La montagne de Lure abrite l’une des 13 populations connues à ce jour. Celles-ci sont isolées les unes des autres, sans aucun brassage génétique. Certaines ne comptent que quelques dizaines d’individus et déclinent de manière alarmante, au point de risquer l’extinction dans un avenir proche. Des stations historiques ont d’ailleurs déjà disparu.

Salamandre 288 Vipère d'Orsini - Emeline Pujolas (1)
Le Conservatoire d’espaces naturels Provence-Alpes-Côte d’Azur est souvent amené à sensibiliser les photographes peu scrupuleux qui délogent la vipère d’Orsini avec des gants ou des crochets pour réaliser des images à leur goût. La photographie ci-dessus a été obtenue de façon éthique. / © Émeline Pujolas

Pour sauver ce reptile, un programme européen LIFE (2006-2011), puis deux plans nationaux d’actions (en 2012-2016 et 2020-2030) ont permis de prendre une série de mesures : inventaires et amélioration des connaissances sur l’espèce, conservation de son habitat et… sensibilisation du public, une mission jamais simple quand on parle de serpents.

À l’image du chantier du jour, les coupes visant à restaurer et entretenir les pelouses d’altitude sont l’une des actions les plus concrètes. Sur certains sites, la vipère a recolonisé des espaces ainsi réouverts et ses effectifs semblent se stabiliser. Encourageant !

Juste milieu

Mais d’autres menaces entrent en jeu. Alors que l’absence de pâturage nuit à l’habitat de la vipère, le surpâturage est également néfaste. Sur la montagne de Lure, des éleveurs ont donc bénéficié de mesures agroenvironnementales et climatiques. Cet outil de la politique agricole commune européenne les finance pour adapter leurs pratiques.

« L’éleveur s’engage à maintenir une pression de pâturage ajustée à son troupeau pour conserver une certaine hauteur d’herbe favorable à la vipère », explique Nance Baïsset, animateur du site Natura 2000 au parc naturel régional du Lubéron. Ailleurs, l’arrivée des troupeaux sur les estives est retardée à mi-juillet afin que les criquets et sauterelles aient le temps de se développer dans les pelouses.

La vipère d’Orsini pâtit aussi des aménagements et de la fréquentation touristique. Alors que l’ancienne station de ski se reconvertit dans des activités quatre saisons, un nouveau bâtiment a été construit, suite à une dérogation, sur une station de vipères pourtant protégée. Des mesures de compensation sont envisagées. Les dérangements liés à la randonnée, au VTT ou au hors-piste motorisé ont aussi des impacts sur la santé et la reproduction des reptiles.

Enfin, avec l’élévation progressive des températures, la niche écologique de la vipère se déplace en altitude où elle est naturellement limitée par… le sommet de la montagne !

Pour aller plus loin...

  • Pas de panique

Vipere Revue Salamandre 252
Revue Salamandre n° 252

La vipère d’Orsini n’est ni agressive, ni dangereuse pour l’humain : son venin, particulièrement virulent pour les insectes qu’elle chasse, l’est bien moins pour les mammifères. Une trentaine de morsures ont été documentées en France, toutes aux dépens de spécialistes qui ont manipulé le serpent maladroitement. Aucune hospitalisation n’a été nécessaire. Les symptômes, comparables à ceux d’une piqûre de guêpe, se limitent à une douleur localisée et un œdème léger, parfois accompagnés d’une accélération du rythme cardiaque. La morsure est quatre fois moins toxique que celle de la vipère aspic. En cas d’incident, quelle que soit l’espèce, il est conseillé d’ôter les bijoux qui pourraient entraver un œdème et d’appeler les secours. En attendant, il ne faut pas faire de garrot, ni s’agiter, ni chercher à aspirer le venin.

Retrouvez en ligne la carte de répartition et le portrait des différentes vipères de nos régions parus dans notre dossier Vipère, la pacifique (Revue Salamandre n° 252).

  • Un demi-siècle !

Depuis 1975, le Conservatoire d’espaces naturels Provence-Alpes-Côte d’Azur œuvre pour la préservation des milieux naturels de PACA. Cette année revêt une importance spéciale pour l’association qui célèbre 50 ans d’engagement en faveur de la biodiversité.

À cette occasion, le CEN PACA organise Nature en sCENe : conférences, sorties nature, ateliers interactifs… et un concours photo spécial beauté et fragilité de la biodiversité, en mai et juin, dont la Salamandre est partenaire !

Concours photo - 50 hommages au sauvage
Couverture de La Salamandre n°288

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 288  Juin - Juillet 2025
Catégorie

Écologie

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