© Maeva Arnold

L’if, un arbre à la longévité exceptionnelle

L’if fascine les hommes depuis des siècles. Découvrons les multiples facettes de ce conifère unique en son genre.

L’if fascine les hommes depuis des siècles. Découvrons les multiples facettes de ce conifère unique en son genre.

L’hiver toque à la porte, le soleil se lève tardivement, ses rayons se fraient un chemin entre les branches des arbres dénudés. Leur course universelle se termine sur un tapis givré, recouvert de branches et de feuilles de hêtre décorées de dentelles glacées. Sur le talus pentu sont dispersées quelques galettes de neige. Chaque pas crisse sur ce tapis hivernal. On aperçoit entre les sapins blancs et les épicéas la silhouette vert sombre du héros du matin, un bel arbre de 3 m de hauteur, à l’écorce écailleuse, un if. Les ifs ne font pas leur âge. Avec cette taille, il a au moins soufflé ses 50 premières bougies, quelle forme !

Difficile d’imaginer que cette même espèce puisse se transformer en haie taillée à l’équerre, comme chez le voisin. Mais restons en forêt, et faisons plus ample connaissance avec cet arbre qui a accumulé plus d’une spécialité sous son écorce. Vu sa toxicité, commençons tout d’abord par le dévorer… du regard.

L'if, un arbre toxique à la longévité exceptionnelle
© Maeva Arnold

Mutation pointue

Dans les parcs et les jardins, on trouve des ifs à l’allure de cyprès, très élancés, compacts et pointus. Cette variété, nommée if fastigié, serait le fruit d’une mutation naturelle d’un individu découvert en 1760 en Irlande. Tous les ifs fastigiés actuels seraient des descendants de ce dernier.

A hauteur des yeux, le tronc ressemble à un puzzle aux couleurs pastel, avec des écailles fines et irrégulières qui se décollent du bas vers le haut. Des vert tendre, des roses, des violets et des ocres se côtoient comme sur une palette d’artiste. Cette écorce typique de l’if est un critère idéal pour le différencier à coup sûr de ses voisins résineux.

Un battement d’ailes et voilà qu’une mésange bleue s’accroche à l’une de ses écailles, il n’y a apparemment rien à se mettre sous le bec. La visite des branches supérieures semble plus fructueuse. L’oiseau y trouve des amas d’aiguilles regroupées en cône, ce sont des galles en artichaut (Taxomyia taxi) qui contiennent des petites larves à déguster. Son manège continue, elle fait du coup ripaille tout en déparasitant l’if. En revanche, les belles baies ne sont d’aucun intérêt pour la mésange même si ce manteau rubescent pulpeux nommé arille est bien la seule partie de la plante qui puisse être mangée sans risque de trépasser. Si l’arille est écrasé, il formera des filaments gluants. Le faux fruit a également été surnommé la morve. Cette dénomination n’ouvre pas forcément l’appétit mais peu importe, sa chair ravit de nombreux merles, grives, fauvettes et écureuils qui, après avoir fait bombance, joueront leur rôle de disséminateur.

Faux fruits

L’if, avec ses aiguilles, ressemble à un résineux, mais sous son écorce ne coule pas une seule goutte de résine et il n’y a pas la pointe d’un cône sur ses branches. C’est un arbre dioïque dont les pieds femelles vont porter les faux fruits. La pulpe nommée arille n’enveloppe pas complètement la graine et la formation de cette dernière se développe à partir d’une autre souche de tissus que les fruits rouges des feuillus. Sa classification dans les gymnospermes (qui provient du grec gumnospermos, semence nue) comme les pins et sapins est donc appropriée.

L'if, un arbre toxique à la longévité exceptionnelle
© Maeva Arnold

En contrebas, un chevreuil déguerpit à toute vitesse. Il vient de décapiter d’un coup de dent un jeune if. A côté de lui, un comparse plus chanceux encerclé d’une grille a survécu. Une liberté perdue pour une croissance en toute sécurité, hors d’atteinte de l’abroutissement des chevreuils qui raffolent de son feuillage et dont ils supportent très bien la toxicité.

La régénération naturelle de l’if est souvent contrariée par la dent des ongulés sauvages. Il faudra à cette pousse plus de dix ans pour que sa taille le mette à l’abri des dents broyeuses. Cet arbre est en effet un champion de la lenteur. Prendre le rythme d’une tortue dans la course que se livrent les arbres vers la lumière n’est pas sans risque. La plupart des espèces végétales misent sur une croissance express en début de vie afin d’éviter que les autres ne leur fassent de l’ombre. L’if est lent au départ, investit d’abord dans un bon système racinaire mais une fois implanté, il vivra longtemps… très longtemps.

Découvrez d'autres champions de la longévité dans notre dossier complet.

L'if, un arbre toxique à la longévité exceptionnelle
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Stratégie militaire

Au Moyen-Âge, posséder une forêt d’ifs revenait à posséder un arsenal à portée de main. L’if fut surexploité et pillé pour la fabrication d’arcs, car son bois est à la fois souple et résistant. Il a été éradiqué d’Angleterre et est actuellement rare dans l’ouest et le nord de la France. En Allemagne, il est même classé comme espèce protégée. Les forêts suisses semblent avoir été épargnées par cette surexploitation.

Avant de rentrer, montons encore un peu en forêt pour atteindre un véritable ancêtre. Accrochez-vous, ça va grimper. Nous ne sommes pas les seuls à venir lui tenir compagnie, une petite escadrille de mésanges à longue queue fait déjà halte sur l’if vénérable. Quel contraste entre ces délicates boules de plumes et ce vieil arbre imposant de 4 m de diamètre ! Ses racines ondulant à la surface et d‘autres non visibles s’enfoncent dans les entrailles de la terre pour le stabiliser. Grâce à lui et ses frères, les sols pentus sont fortement consolidés. L’aïeul au tronc torsadé et cannelé est là, fièrement dressé depuis plus d’un millénaire. Il est tellement vieux que son cœur s’est décomposé et laisse place à un cylindre vide entouré d’écorce. Il a perdu les cernes de son enfance mais restera éternellement jeune car, à l’intérieur de ses entrailles creuses, de nouveaux troncs naissent.

Ces rejets sont fréquents chez les feuillus mais atypiques pour un conifère. Sa surface se rajeunit également en continu, de jeunes branches portant des aiguilles souples et fines croissent à même l’écorce. Si elles se font trop brouter, elles formeront alors un duvet vert sur le tronc et modèleront le bois sous l’écorce comme une peau de crocodile.

L’if vous attend. A vous d’aller le chercher et l’observer sous toutes ses tailles, sous tous ses âges, à côté de chez vous ou en forêt.

L'if, un arbre toxique à la longévité exceptionnelle
© Maeva Arnold

Arbre paradoxal

La taxine de l’if a un effet toxique puissant. Au Moyen Age, les ifs ont été systématiquement coupés aux abords des chemins pour protéger les chevaux d’un empoisonnement. Le jus des aiguilles a également été utilisé pour provoquer des avortements. Entre 1958 et 1979, la découverte des taxanes a été à l’origine d’un médicament anticancéreux et antileucémique puissant. Cependant, il faut l’écorce de six à dix ifs du Pacifique âgés de 100 ans pour soigner une seule personne. En 1983, des chercheurs ont retrouvé les taxanes dans les aiguilles de l’if européen. Une découverte qui va sûrement éviter la disparition des ifs du Pacifique.

Complétez votre découverte de l'if sur le terrain avec nos trois activités.

Couverture de La Salamandre n°255

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 255  Décembre 2019 - Janvier 2020, article initialement paru sous le titre "If le ténébreux"
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Dessins Nature

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