Frêne, grand corps malade
Parmi le peuple des arbres, le généreux frêne tient rarement la vedette. Alors qu’il souffre en silence, prenons de ses nouvelles.
Parmi le peuple des arbres, le généreux frêne tient rarement la vedette. Alors qu’il souffre en silence, prenons de ses nouvelles.
Primevères, paons-du-jour ou pinsons, tout le monde s’épanouit, dévoilant corolles, couleurs ou couplets. Avril bat son plein. Le bourdon butine, l’orvet oscille et le triton tressaille. Le cœur des haies et la frondaison des bosquets ont troqué leur nudité hivernale contre un dense feuillage. Le tendre habit de chlorophylle s’offre déjà à l’appétit de chenilles voraces. Mais à y regarder de plus près, certains arbres dégarnis, voire totalement dévêtus, se dissimulent avec peine dans l’effervescence verte. Ce sont les frênes, traditionnellement à la bourre pour fêter le printemps. Un zèle charmant qui masque pudiquement le malaise profond qui les touche. Je me souviens que tout a commencé dans les années 1990 lorsqu’une maladie touchant les frênes a été détectée en Pologne. Le champignon Chalara fraxinea – ou Hymenoscyphus fraxineus – n’a été identifié et désigné coupable qu’en 2006. Venu d’Asie, le parasite a certainement voyagé dans une cargaison de bois infecté, naviguant sous le pavillon de la mondialisation.
La chalarose – nom donné à cette pathologie – a rapidement progressé vers l’ouest. En 2008, elle est diagnostiquée en Haute-Saône, dans l’est de la France, ainsi que dans les cantons suisses de Bâle et Soleure. À une vitesse de 60 km/an, le mal se propage vers l’ouest et le sud. Aujourd’hui, avec une intensité inégale, l’ensemble de la zone de présence du frêne est concernée.
En cette fin avril, convenons-en, le drame n’est pas évident à remarquer. Je constate que des samares de l’année dernière, partiellement dégradées, jonchent la litière. Ces fruits ailés ont amusé des générations d’enfants de leurs virevoltes hélicoïdales. Les jeunes plants que certaines de ces graines voyageuses ont fait germer surgissent en tout lieu. À croire que rien ne peut entraver la vigueur légendaire du frêne. Là où ils ne sont ni broutés ni coupés, les arbres adolescents forment un bosquet ou un prélude de haie en quatre ou cinq années à peine. Dans le paysage qui s’offre au regard, Fraxinus est omniprésent, de la pelouse calcaire aux berges de la rivière en passant par les jardins, bords de route et pâtures.
Toc toc toc toc… Un pic épeiche se dévoue pour me rendre plus attentif. De son bec pointu et de ses mouvements décidés, il perfore l’écorce d’un tronc dépérissant. Pas de doute, ce frêne âgé d’à peine un demi-siècle est en train de tirer sa révérence, épuisé par une lutte trop précoce contre la mort.
Son plus proche voisin suit le même chemin. Il me semble que la quantité et la diversité de pics augmentent dans ce versant forestier depuis une décennie. Pics noir, épeichette, vert, mar et même cendré côtoient l’épeiche. Réjouissant ? Peut-être, oui. À moins que cela ne soit lié à l’état sanitaire global des arbres, chaque année plus malades ou assoiffés et donc davantage infestés d’insectes…
Dans certaines régions bien touchées par la chalarose, plus d’un tiers des frênes sont sérieusement attaqués. J’approche cette fois d’une jeune haie d’environ 10 ans d’âge…
Un lièvre détale sous les ricanements du torcol fourmilier, fraîchement revenu d’Afrique. Les jeunes arbres sont considérés comme les plus vulnérables. Des études ont estimé que, localement, 15 % d’entre eux ont survécu après huit années de présence de la maladie. Et seuls 1 à 3 % des survivants ne présentent pas de signes d’infection !
Quels sont ces symptômes justement ? Les spores du champignon exotique investissent les feuilles, les rameaux et plus rarement le collet – base évasée du tronc. Les nécroses qui en découlent conduisent à la mort de branches, à une perte de croissance et parfois au dépérissement de l’arbre entier.
Je distingue en effet des branches atrophiées ou desséchées, dépourvues de sombres bourgeons caractéristiques. Je devine également que la cime des plus grands arbres donnera peu de feuilles. Ce phénomène de houppiers dégarnis sera immanquable dans le paysage d’ici à quelques semaines. Gobemouches, guêpiers et autres chasseurs d’insectes profiteront de ses providentiels postes d’affût. L’été ne ment pas sur l’état de santé des frênes. Quand surviendront les orages d’août, souvent chargés de grêle et accompagnés de vents rageux, notre Fraxinus sera le premier à se déplumer.
Affaibli, l’arbre contaminé lâchera prématurément ses feuilles composées qui tourbillonneront alors dans les bourrasques. Pour les nombreux frênes en souffrance, le printemps commence tard et l’automne arrive tôt… Sur les plateaux d’altitude, certains ne portent leurs feuillages que deux mois et demi par an !
Et comme une menace peut en cacher une autre, un coléoptère venu d’Asie, l’agrile du frêne, est aux portes de l’Europe et se dirige lui aussi vers l’ouest. Ses larves ravageuses vivent sous l’écorce et se nourrissent des tissus vitaux de l’arbre. Le solide colosse aurait-il des pieds d’argile ? Je pense au manche de ma hache, taillé dans un vénérable frêne et qui paraît indestructible. Comment un champignon invisible ou un insecte minuscule peuvent-ils renverser un royaume tout entier ? Heureusement, les phénomènes de tolérance et de résilience qui s’opèrent naturellement dans les populations malades s’observent chez Fraxinus excelsior. De grands spécimens échappent donc ici ou là à la contamination et pourraient être sélectionnés. Dans le sud par exemple, où le parasite est freiné par le climat chaud. Un phénomène qui pourrait faire des canicules de plus en plus fréquentes des alliées contre le champignon. Le mal par le mal…
4 faits à connaître sur les frênes
Modéré
Le frêne commun est très répandu dans toute l’Europe, mais il évite les situations extrêmes. Le Grand Nord et les hauts sommets, ce n’est pas pour lui. Pas plus qu’avoir les pieds dans l’eau ou dans un sol desséché. En France, c’est la cinquième essence la plus abondante et en Suisse, le troisième feuillu. Lui et sa famille composée de 70 espèces ne se complaisent que dans la zone tempérée de l’hémisphère nord. En plus du commun Fraxinus excelsior, l’Europe compte deux autres indigènes plus localisés : le frêne à fleurs et le frêne oxyphylle.
Incontournable
Le frêne offre un bois exceptionnel aux humains depuis la nuit des temps. Matériau de choix pour les lances ou les châssis de charrette, il s’est ensuite distingué pour la fabrication des manches d’outils, des premiers skis et raquettes de tennis, des voitures et même des avions ! Malgré l’avènement du carbone ou de l’aluminium, il donne encore aux rames, barres d’agrès de gymnastique ou cannes de hockey une sensation rustique alliant solidité et souplesse. Sans parler du mobilier…
Mythique
Le frêne ne fait pas exception dans les relations sacrées que les humains et les arbres peuvent entretenir. Symbole de virilité, chasseur de serpents et de sorcières ou berceau dans plusieurs cultures, les légendes foisonnent à son sujet. L’une des plus illustres symboliques vient des mythes germaniques et scandinaves : le frêne Yggdrasil. L’arbre soutenu par trois immenses racines et dont les branches supportent neuf mondes, aurait donné naissance au premier des dieux, Odin.
Résistants
Alors que le coléoptère agrile du frêne est apparu à Moscou en 2023 et prend le même chemin que la chalarose, une équipe de recherche internationale dirigée par le WSL * redouble d’efforts pour lutter contre ces fléaux. Leurs travaux montrent que les arbres résistants au champignon le sont également davantage contre l’insecte. C’est la résistance croisée. Le coléoptère n’étant pas encore arrivé en Europe de l’Ouest, les pistes de lutte biologique ont encore le temps de se développer.
*Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (Suisse).
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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