La Grande Cariçaie entre sangliers et canards
Les réserves de la Grande Cariçaie abritent une multitude d’oiseaux menacés. Et aussi des sangliers qui prospèrent dans cette zone marécageuse au sud du lac de Neuchâtel.
Les réserves de la Grande Cariçaie abritent une multitude d’oiseaux menacés. Et aussi des sangliers qui prospèrent dans cette zone marécageuse au sud du lac de Neuchâtel.
La terre gelée craque sous la semelle, le froid est piquant. Arrivés au bord de l’eau, une petite brise venue du nord nous gifle le visage. Mais le temps est radieux, les habits bien chauds et le thermos rempli de thé. « Regarde, ils sont passés récemment ! », me lance Pierre. Au bord du chemin qui longe la forêt alluviale d’Yvonand, les sangliers ont retourné le sol, tout près des habitations. Pierre Henrioux, surveillant de la faune entre Yverdon-les-Bains et Cudrefin, sur territoire vaudois, connaît parfaitement les habitudes de ces animaux. « C’est typique, explique-t-il. Le jour, ils se reposent dans les réserves, loin de tout dérangement. La nuit venue, ils gagnent les cultures où ils s’alimentent en y causant des dégâts. »
Canards à gogo
La zone résidentielle de Crevel dépassée, le sentier conduit vers la rive. Progressant en silence, nous percevons un étrange murmure s’élevant du lac. Là, dans une crique abritée, des milliers de canards se prélassent au calme. Le spectacle est saisissant. Fuligules milouins et morillons, nettes rousses et foulques macroules composent l’essentiel de ce grand rassemblement.
Venus surtout des pays nordiques, ces hivernants trouvent sur les hauts-fonds de la Grande Cariçaie, protégée depuis 1991, une nourriture abondante et la tranquillité nécessaire. « La réserve d’oiseaux d’eau et de migrateurs d’importance internationale d’Yvonand accueille chaque hiver près de 15 000 canards plongeurs », précise Pierre. Corollaire de cette protection, les effectifs de sangliers se sont accrus. On estime qu’une centaine d’individus vivent aujourd’hui sur cette zone marécageuse valdo-fribourgeoise qui s’étend sur toute la rive sud du lac de Neuchâtel. Leur présence dérange certains habitants, car elle occasionne des dommages agricoles dépassant les 100 000 francs par an.
Des trax au cœur de la Grande Cariçaie
Après Cheyres, notre itinéraire chatouille le pied des falaises de molasse. Au-dessus de nos têtes, un groupe de tarins jouent de leur bec pour extraire délicatement les minuscules graines des aulnes glutineux. Un moteur gronde au loin. « Des machines de chantier creusent un étang afin de revitaliser le marais », me rassure mon compagnon de balade. Depuis la naissance de la Grande Cariçaie à la suite de la première correction des eaux du Jura il y a 150 ans, le milieu a fortement évolué. Des étangs se sont fermés, des prairies humides se sont boisées. En créant de nouveaux plans d’eau, en limitant l’emprise de la forêt sur les milieux ouverts, on favorise les espèces sensibles et exigeantes et la biodiversité augmente.
Une gestion sur le fil du rasoir
Le sentier zigzague entre forêts et zones humides. Sous Forel, les abords des chemins ont été mis en lumière. Quelques buissons en profitent. Bourdaines, églantiers, troènes et genévriers portent de beaux fruits mûris au soleil. Le réaménagement de banquettes herbeuses devrait faciliter le déplacement de la petite faune des prairies qui rechigne à traverser une forêt compacte.
Un affût adossé à un arbre domine une clairière où quelques poignées de maïs ont été dispersées. « C’est l’un des miradors d’où se pratique la chasse au sanglier », indique Pierre. Un plan de gestion de l’espèce a été adopté par les cantons de Vaud et de Fribourg en 2011. « Cette régulation est nécessaire, mais elle ne doit en aucun cas prétériter les espèces pour lesquelles les réserves ont été conçues », souligne le surveillant de la faune. Les battues trop invasives ne sont plus pratiquées, sauf exception. La chasse à l’affût avec un agrainage modeste le plus loin possible du marais est privilégiée. Elle est encadrée par un suivi des effets sur les oiseaux. Avant de prendre le bus, nous nous rendons sur la jetée du port de Chevroux. Quelques canards s’ébattent à l’horizon. Plus près de nous, un couple de harles huppés fait sa toilette. L’image est idyllique, fruit d’un délicat équilibre entre sauvegarde d’un site naturel unique et nécessités économiques d’une région. Un défi à relever au quotidien !
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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