© Sylvain Leparoux

La dentellière du soleil

Elle tisse son piège invisible entre les herbes folles, puis attend sans plus bouger une seule patte. Face à face avec l’argiope fasciée, artiste de la friche.

Elle tisse son piège invisible entre les herbes folles, puis attend sans plus bouger une seule patte. Face à face avec l’argiope fasciée, artiste de la friche.

La fraîcheur de la nuit a recouvert les herbes de gouttelettes. Toutes ces miniperles de rosée trahissent les nombreux pièges de soie tendus pendant la nuit. Une splendide toile miroite au soleil levant. Quelle couturière a tissé cette construction géométrique ? Un épais zigzag blanc brodé en son centre ressemble à une signature. Cette décoration est considérée comme la marque de fabrique exclusive des argiopes… même si toutes n’en tissent pas forcément, et que d’autres espèces d’araignées en font aussi.

Répandue dans les friches, les prairies sèches ou humides mais ensoleillées, l’argiope fasciée vit sur sa toile accrochée la tête en bas. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle est là, au centre de son napperon de soie. Malgré les bandes noires, blanches et jaunes qui ornent son abdomen, cette grande araignée déguisée en frelon passe souvent inaperçue dans le désordre de tiges, de feuilles et de fleurs. Elle attend que la chaleur dégourdisse les insectes et qu’un imprudent tombe dans son piège collant.

Argiope fasciée sur sa toile entre les hautes herbes / © Sylvain Leparoux

Tous les matins, quelques heures avant l’aube, l’argiope fait le tour de son filet à papillons et rattrape les mailles filées… Face à une grosse déchirure provoquée la veille par un chardonneret peu élégant, la dentellière fait d’abord une pelote avec les fils endommagés et la recycle en l’avalant. Très coûteuse à produire, la soie vaut en effet de l’or.
Puis, en avançant comme une funambule, elle rapièce son œuvre avec des filaments de remplacement produits au fur et à mesure par ses filières. L’attrape-mouche est ainsi remis à neuf en quelques dizaines de minutes.
10 h 30. La chaleur brûle la friche qui chante, stridule et vrombit. Effrayé par l’arrivée d’un lézard vert, un criquet mélodieux bondit à l’aveugle pour sauver sa peau. Mais il termine subitement sa fuite dans le filet invisible de l’argiope. En se débattant dans tous les sens pour se libérer, l’orthoptère ne fait qu’emmêler davantage ses pattes et ses élytres…
Immobile sur son radar, l’argiope localise immédiatement l’impact grâce à des organes sophistiqués situés sur ses pattes. Rayon 29 - cellule 11 : touché ­coulé. Avec une agilité surprenante, l’araignée grimpe vers le malheureux criquet. Evidemment, pour éviter de se coincer dans sa propre toile, la funambule prend soin de ne poser les pattes que sur des fils non collants...

«L'attaque a été foudroyante, le malheureux criquet ayant par mégarde sauté dans la toile de l'argiope se retrouve prisonnier en quelques secondes.» / © Sylvain Leparoux
«Momifiée, la proie est vidée de sa substance au fur et à mesure des besoins physiologiques de l'araignée.» / © Sylvain Leparoux

Pour régler son compte à sa proie, celle que l’on appelle aussi épeire frelon sécrète de grandes quantités de fil pour emballer le criquet tout en le mordant à plusieurs reprises pour le paralyser avec son venin. Quand la proie, guêpe ou abeille, est potentiellement dangereuse, elle préfère l’immobiliser avant de la piquer lorsqu’elle est devenue inoffensive.

A l'avant de l'argiope: pédipalpes et chélicères constituées des mandibules et de crochets à venin / © Sylvain Leparoux

Brodée de soie, la victime est ensuite transportée au cœur de la toile. La table est mise… Mais le repas est interrompu par l’arrivée d’une araignée grêle aux stries pâles nettement plus petite que la propriétaire des lieux. Une épeire mâle ! La femelle hésite : manger ou s’accoupler ? Les deux peut-être... Il arrive en effet qu’en pleine copulation, l’argiope commence à entourer de fils son partenaire, puis qu’elle lui injecte du venin, puis qu’elle le dévore…

Argiope fasciée / © Sylvain Leparoux

Trois semaines plus tard, une nuit de septembre, la couturière tricote ses derniers travaux : les cocons. Ces deux ou trois petits ballons brunâtres contiennent chacun plusieurs centaines d’œufs. Accrochés dans la végétation, ils sont parfaitement camouflés par un isolant brun rappelant du vieux papier. Ainsi cachés et à l’abri du gel, les petits se développent pendant l’hiver. Au printemps, ils coloniseront jardins et prairies baignés de soleil en volant suspendus à un fil de soie.

Cocons d'argiope fasciée / © Sylvain Leparoux
Argiope fasciée en train de tisser sa toile / © Sylvain Leparoux

Confiance en soie

La soie des araignées est un matériau flexible et ultrarésistant. D’après La Hulotte , le fil employé par l’argiope pour tendre le cadre de sa toile serait deux fois plus résistant et quatre fois plus élastique qu’un câble d’acier de taille comparable. Avant de se rompre sous son propre poids, il devrait mesurer environ 75 km de long. Composée de protéines, la soie est synthétisée par plusieurs glandes localisées dans l’abdomen. D’abord liquide, elle se solidifie en sortant des filières. Chaque araignée en produit plusieurs types différents : fil de construction, fil collant muni de gouttelettes de glu, fil pour emballer les proies ou encore pour tisser le cocon des œufs.

Argiope fasciée devant le stabilimentum qu'elle a tissé sur sa toile. / © Sylvain Leparoux

Casse-tête stable

Stabilimentum : son nom latin suggère une fonction de stabilisateur. Faux ! Aujourd’hui encore, la vraie fonction du zigzag sur les toiles d’argiope fait débat. Plusieurs arachnologues le considèrent comme un signal visuel. Selon les uns, il attire les proies. Pour d’autres, il contribue au camouflage du filet de capture. La soie constituant le stabilimentum est du même type que celle utilisée pour enrober les proies. Il est aussi possible que le mystérieux motif résulte simplement d’un surplus de soie à l’heure de l’emballage. D’ailleurs, ces décorations sont d’autant plus développées que les proies sont petites.

«Le petit mâle refait une tentative d'approche après y avoir déjà laissé une patte!» / © Sylvain Leparoux

Croque-monsieur

Cannibale, l’argiope fasciée finit souvent par dévorer son conjoint pendant ou après l’accouplement. Parfois, il arrive que celui-ci s’échappe de la toile en perdant une ou plusieurs pattes. N’ayant pas souvent droit à une seconde chance, le mâle casse assez fréquemment son palpe copulateur dans l’orifice génital de la femelle. Ce comportement rallonge la durée de l’acte et diminue ses chances de survie. Mais en contrepartie, la pause de ce bouchon augmente la probabilité de la paternité. Face à cet obstacle sur le ventre de la femelle, d’autres partenaires potentiels prendront la fuite avant de se faire avoir.

Smoothie de sauterelle

Les araignées, c’est le monde à l’envers. Non seulement la plupart d’entre elles vivent la tête en bas, mais en plus elles digèrent… avant d’avoir mangé. Après avoir paralysé sa victime par une morsure, l’argiope frelon régurgite des sucs digestifs et les injecte dans la blessure. Ensuite, elle suce les tissus partiellement digérés de sa proie avec son jabot en forme de paille. Parfois, l’exosquelette vide reste en place sur la toile comme un trophée de guerre.

Argiope fasciée en plein festin / © Sylvain Leparoux

Plaire ou déplaire ?

Les couleurs vives et contrastées des guêpes ou des frelons mettent en garde les oiseaux et autres prédateurs : attention, toxique ! Est-ce également le cas de l’argiope ? Peut-être… Mais une étude récente suggère que les bandes colorées sur son abdomen ont un effet inverse sur les insectes : la coloration fonctionnerait comme un piège visuel irrésistible. Papillons, abeilles et compagnie sont en effet attirés de manière innée par des couleurs vives et contrastées. Pour vérifier cette hypothèse, des scientifiques ont noirci l’abdomen de certains spécimens… Résultat, les individus maquillés attirent moins de proies. Lisez aussi nos 3 conseils pour observer l’épeire fasciée.

Découvrez 3 conseils pour observer l'argiope fasciée.

Couverture de La Salamandre n°235

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 235  août - septembre 2016
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Dessins Nature

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