A la recherche du martin-pêcheur
Notre rédacteur Jean-Philippe Paul est parti à la recherche du martin-pêcheur sur sa rivière, la Loue, en Franche-Comté. Carnet de terrain.
Notre rédacteur Jean-Philippe Paul est parti à la recherche du martin-pêcheur sur sa rivière, la Loue, en Franche-Comté. Carnet de terrain.
23 mars, 18h12 Tout a commencé il y a quelques mois, un soir de mars. Lors d’un affût au castor, je suis interpellé par un cri strident venu de l’aval. Aussitôt, un oiseau étincelant se pose à quelques mètres. D’abord de face comme un fruit orangé, puis de dos comme un bijou turquoise. Son long bec noir guide son regard vers l’eau calme. D’un envol explosif, il file déjà, abandonnant une branche d’érable tremblante en lançant un triii puissant que je prends comme un salut ! Où va-t-il ? Qui est-il ? Combien sont-ils ? Je réalise que je connais peu cet illustre voisin. C’est décidé, je dois en savoir plus. La carte est posée, je délimite un terrain d’investigation en trois secteurs. Au total, environ 13 kilomètres de fil bleu qui serpentent dans les prairies, quelques îles stratégiques et de petits seuils rythmant le courant. Carnet, jumelles, sens en éveil, c’est parti !
22 mai, 6h15 En amont de l’île au castor, un martin-pêcheur se cache sous un saule. Enfin ! Car en avril, je n’ai croisé qu’une seule fois l’oiseau bleu sur cette partie aval. Le cœur de son territoire ne doit pas être par ici : les berges sont trop peu élevées et encombrées de végétation. Difficile d’y creuser un terrier. J’ai enfin le temps de le détailler. Ses couleurs sont ternes, avec une sorte de plastron sombre, des pattes fumées, un bec court, tout noir avec une pointe ivoire : un jeune de l’année ! Bonne nouvelle, la première nidification a réussi. Grâce au printemps précoce et à l’absence de crue. Mauvaise nouvelle, j’ai raté cet événement…
Ce nouveau venu semble assez maladroit à la pêche : aucune capture en une heure d’observation. Il faut dire que la rivière ici est lente et profonde. Après une escapade de quelques minutes vers l’amont, il redescend à grande vitesse poursuivi par un individu étincelant qui siffle tout ce qu’il peut. Un mâle adulte ! Notre adolescent serait donc retranché dans ce secteur défavorable contre son gré. Ses parents défendent probablement un meilleur territoire plus haut pour une seconde nichée. Allons voir.
22 mai, 8h06 Sous l’illon , nuées de caloptéryx splendides, ces libellules qui égaient mes longs affûts… avec le bal d’une rive à l’autre des loriots. Soudain, tiiit tiit, un martin-pêcheur passe comme une fusée, poisson au bec. Il se pose sur une petite branche, c’est un mâle vu son bec entièrement noir.
Sortie de nulle part mais tout aussi bruyante, une femelle le rejoint aussitôt. Commence alors un drôle de manège. Madame s’approche par petit pas de côté en quémandant. Monsieur recule d’autant. Ce jeu dure deux bonnes minutes d’allées et venues ailes frétillantes. Puis enfin, l’offrande a lieu en une seconde. Ce geste nuptial me confirme que les partenaires du couple sont bien en route pour une nouvelle aventure. La femelle file alors encore plus en amont, vers l’illon boisé.
23 mai, 13h25 Séance d’observation du bras gauche de la petite île. Un martin adulte remonte la rivière, poisson au bec. Serais-je trop bas ?
14h02
Un adulte descend cette fois, également avec un poisson au bec. Serais-je trop haut ? Je ne comprends plus rien. Hypothèse : le mâle nourrit des jeunes de la première nichée en même temps qu’il s’occupe d’une nouvelle. Voilà qui expliquerait ces allées et venues décousues pour l’enquêteur que je suis.
Heureusement, truites, goujons, chevaines et rats musqués ont animé ces instants d’attente. Premier bilan : un couple nicheur est installé sur ce tronçon aval de 5 km et il est occupé à assurer une descendance nombreuse. Les jours suivants, je réalise des observations similaires sur le tronçon juste en amont, d’une longueur équivalente. Là encore, les berges favorables sont rares et je ne parviens pas à trouver le terrier de ce second couple. Mon espoir repose sur le grand méandre situé encore plus haut.
2 juin, 17h20 Les chatons de saules saupoudrent une sorte de neige sur la rivière. Je distingue une multitude d’hirondelles de rivage en chasse au ras de l’herbe. Signe qu’il y a une colonie non loin de là et donc des berges érodées. Les hirondelles virevoltent et cette fois ce sont des cris de guêpiers qui soulignent le bruit de l’eau. Quelques minutes d’attente et triiit tiit , un martin-pêcheur mâle fait une apparition éclair. Il est temps de changer de rive et de découvrir le spectacle.
Une heure plus tard, je dénombre près de 85 terriers d’hirondelles, dont les deux tiers sont occupés, avec des jeunes visibles. Elles aussi ont profité du printemps sec.
Gru glou , le couple de guêpiers veille. Je descends encore un peu et distingue quelques vieilles cavités près d’un petit saule. L’une d’elles est décorée d’une trace de fientes alors que des mouches volent devant. Très bon indice. En effet, le nid réputé sale du si bel oiseau est débarrassé des déjections par simple gravité le long du couloir en pente.
17h40 Bingo ! Un martin-pêcheur arrive sans un cri et le bec vide dans la cavité. Il ne ressortira pas jusqu’à mon départ. J’en déduis qu’il couve.
3 juin, 6h49 Le mâle de martin-pêcheur sort du nid sans crier gare et se jette à l’eau pour se laver. Il repart aussitôt vers l’amont.
6h56 Tiiit la femelle arrive et se pose dans le saule bas près du nid. Après quelques secondes, elle file dans le terrier en silence. Je viens d’assister à un relais de couvaison et j’en observerai bien d’autres toutes les 30 à 60 minutes. Toujours précédés d’un plongeon hygiénique et de quelques secondes de communication sonore entre les partenaires.
11 juin, 6h11 Qui est ce martin-pêcheur qui vole sur place comme un colibri devant le nid ? Aussitôt, le mâle sort comme une balle en criant et poursuit l’intrus. Histoire de famille ! Encore un jeune de la nichée précédente qui vient quémander pendant la couvaison. Après cette altercation, je ne reverrai jamais ce Tanguy.
18 juin, 18h47 L’orage gronde. Le mâle sort du terrier et enchaîne deux plongeons en ricochet. Une minute plus tard, la femelle arrive dans le saule bas. Elle a un petit poisson dans le bec, tête vers l’avant. Elle va nourrir ! Elle entre… Et ne ressort pas pendant plusieurs dizaines de minutes. Les jeunes sont sûrement minuscules. Les adultes doivent encore rester sur eux pour les réchauffer. D’ailleurs, il n’y a pas de nouvelles fientes visibles au bord du nid. Voilà environ sept becs à nourrir durant les semaines à venir. A raison d’une quinzaine de petits poissons par jeune et par jour, ce début d’été s’annonce sacrément intense.
21 juin, 6h27 Le mâle arrive sans poisson. Il fait une halte sur le saule bas, puis rentre dans le terrier. Après 17 secondes, il sort à reculons, ce qui signifie qu’il n’a pas pu se retourner dans la chambre du nid. Explication aussitôt après : la femelle était déjà là et sort à son tour.
4 juillet, 9h10 Sous une pluie fine, le mâle arrive poisson au bec. Mini-pause sur le saule, puis il entre presque aussitôt dans le terrier. Après 7 secondes seulement, il sort à reculons et plonge pour se laver. Puis vroum à fond vers l’aval. En ce jour de bouclage du numéro de La Salamandre qui leur est dédié, c’est aussi l’effervescence chez les martins-pêcheurs.
Dans 10 jours, la petite famille va prendre son envol. Les poussins seront nourris par les adultes encore quelques jours. Ensuite, chacun sa vie.
Au final, j’ai localisé trois couples de martins-pêcheurs sur les 13 km de la rivière, une densité normale. Ils ont sans doute réussi à élever plus de 30 jeunes en quatre mois. Un renouveau bienvenu pour les populations locales du roi pêcheur décimées durant le froid polaire de février 2012. Certains jeunes vont bien sûr disparaître d’ici à la fin de l’été. La moitié paraît-il… Je compterai les territoires en fin d’automne puis durant l’hiver.
Et en mars prochain, c’est promis, j’irai de nouveau observer mes bleus voisins.
Vie en bleu pas rose
Pourquoi le martin-pêcheur est-il toujours aussi pressé ? Parce que sa vie est courte. Près de la moitié des jeunes ne vivent pas plus de deux semaines. La faim ou les prédateurs les emportent. Une fois adultes, ils n’ont qu’une chance sur quatre d’atteindre l’année suivante. Le froid, les accidents et la pollution abrègent la vie frénétique des martins. Finalement, c’est toujours une réelle chance de les observer près de chez nous.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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