Avec les phoques sur les bords de la Manche
Ils apparaissent comme par enchantement sur le sable, lorsque la mer se retire. Les phoques deviennent alors l’attraction locale.
Ils apparaissent comme par enchantement sur le sable, lorsque la mer se retire. Les phoques deviennent alors l’attraction locale.
Anglais, Flamands, Ch’tis… une foule polyglotte se presse sur la digue de la baie d’Authie, dans le nord de la France. « Excuse me, do you see the seals ? » Répondant avec un accent sans équivoque que oui, je vois les phoques, je tends mes jumelles à cette famille d’outre-Manche.
Je leur indique un amas sombre et informe, étalé sur le seul banc de sable exondé, à presque 1 km de distance. Le regard bleu de la fillette peine à cacher sa déception. Ce désarroi universel naît des promesses non tenues de certains panneaux touristiques… Il faut dire que la marée basse est prévue dans un peu plus de cinq heures, à 22 h 29. Il fera nuit. D’ici là, certains phoques se rapprocheront et le mieux, en attendant, est de guetter une tête émergeant ici ou là, comme une bouée entre deux apnées de pêche.
« Là-bas, c’en est un ! », lance un jeune papa à son fils en pointant du doigt une tache sombre, ballottée par les vagues. Lorsque le jeune goéland marin s’envole, le gamin rétorque d’un ton agacé : « Mais non, c’est une mouette ! » Alors que trente minutes se sont écoulées, je remarque que la plage a gagné quelques mètres. La mer descend vite. Patience…

Je plonge mon œil droit dans la longue-vue et tente de dénombrer le groupe qui se repose au loin. J’estime à près de 200 bêtes l’effectif allongé au milieu de la baie. Je devine une diversité de tailles et de couleurs. Moi qui voulais m’exercer à l’identification des phoques gris et des veaux-marins, c’est raté à cette distance. La baie d’Authie est probablement le meilleur endroit pour voir ensemble les deux espèces de phoques européennes vivant sous nos latitudes. J’ai déjà virtuellement pris rendez-vous avec la marée basse demain matin, alors ce soir, je profite de l’ambiance. Le soleil voilé glisse irrémédiablement vers l’horizon de la Manche, et les badauds se font de plus en plus rares. Huîtriers, courlis, tadornes de Belon et spatules arrivent au fur et à mesure que le sable gagne sur l’eau. Les pêcheurs à pied et à la ligne s’aventurent progressivement sur une fine digue désormais hors des flots. Non loin, un phoque les guette. Il pêche lui aussi et je m’amuse à mesurer ses apnées. Trente-neuf secondes. Mouais, facile. Une minute et dix secondes. Idem. Trois minutes et seize secondes. Pas mal ! Neuf minutes et six secondes ! Chapeau bas… Je lirai ensuite que les apnées de dix minutes sont monnaie courante lorsque les phoques se déplacent ou pêchent. Elles atteignent une demi-heure au repos ! Je ne les verrai pas plus près ce soir, je quitte la baie sous les ricanements des nombreux goélands argentés et les effluves de la friterie ambulante.

Le lendemain matin, pas de foule et peu de soleil. Le crachin brumise les 1 200 ha de sable désormais révélés. Les phoques sont là, beaucoup plus proches que la veille, vautrés sous une lumière douce. Je m’intéresse d’abord à un groupe de 22 veaux-marins. Je les reconnais à leur frimousse de chat sans oreille, avec de grands yeux, un front net est un petit museau entouré de longues vibrisses. Je suis stupéfié par la diversité des patterns de leur pelage et je les recense sur mon carnet : marbré, caramel, sable, argenté, plomb, or, dalmatien, tiramisu, vanille, léopard, chocolat blanc et même, à la faveur de subtils reflets… pistache ! Je vérifie la théorie lue dans les livres. En effet, leurs narines forment un V. Cela leur confère un joli nez en cœur. Trois individus sont nettement plus petits. Des jeunes de trois ou quatre mois ? Chez cette espèce, les naissances ont en effet lieu en fin de printemps et début d’été. La vue d’un bébé phoque convoque l’imaginaire collectif. La banquise, les massacres, les débuts de l’activisme environnemental. Et ce sentiment universel auquel il est difficile d’échapper : ils sont trop mignons !

Et les phoques gris, alors ? À l’œil nu, je devine que les cinq grosses masses grises couchées à 200 m sur la droite appartiennent sûrement à cette espèce. La longue-vue braquée, je remarque alors leur long museau, leur front plat, et cette fois-ci un faciès de cheval ou de chien triste sans oreilles. Passé ces égarements anthropomorphiques somme toute très commodes, je note les narines parallèles, une taille nettement plus imposante ainsi qu’une certaine homogénéité côté couleurs – car ce sont sûrement tous des mâles, gris sombre avec des taches claires diffuses – qui justifie leur nom. Quatre autres individus arrivent à la nage dans un chenal resté en eau. Leur vitesse est stupéfiante et le bruit des vagues qu’ils génèrent s’entend de loin. L’oisiveté déconcertante qui les caractérise sur le sable tranche avec leur prestance dans l’élément liquide. Pas de jeunes parmi eux. C’est normal, chez le phoque gris, les naissances ont lieu en fin d’année. Soudain, des grognements gutturaux et puissants résonnent.
Je cherche aux jumelles la scène qui pourrait expliquer cette humeur. Deux veaux-marins sont en altercation. L’un d’eux sur le sable, gueule ouverte et canines au grand jour, grattant le sable avec ses membres antérieurs, palmés et griffus. L’autre tentant de sortir de l’eau pour rejoindre la terre ferme. Je ne m’aventure pas davantage à comprendre ce qui se joue.
Cette fois, ce sont des aboiements qui percent l’air marin. Des quadrupèdes attachés à des bipèdes débarquent au fur et à mesure que la matinée avance. Pour les pinnipèdes – terme signifiant pieds ailés regroupant les morses, otaries et phoques –, il s’agit désormais de se reposer encore quelques heures sans être dérangés…
4 faits à connaître
Duo de phoques
Deux espèces de pinnipèdes sont visibles sur le littoral français, de l’Atlantique à la mer du Nord, en passant par la Manche. Le phoque gris vit de la Bretagne jusqu’à la frontière belge et comptait 1 452 individus en fin d’été 2023. Pour le veau marin, concentré plus au nord à partir de la baie du Mont-Saint-Michel, ce chiffre a atteint 1 479 individus à la même période. Après avoir failli disparaître, les deux espèces sont en progression constante, suite à un retour naturel depuis d’autres colonies européennes.
Décalage
Les naissances ont lieu entre octobre et janvier chez le phoque gris. On en a recensé 130 en 2023, dont 92 aux Sept-Îles (Côtes-d’Armor). Chez les veaux-marins, les mères mettent bas entre mai et juillet et le premier site de France reste la baie de Somme, avec 177 naissances en 2023 sur les 304 dénombrées sur le territoire métropolitain. La mue du pelage est également décalée : fin d’été pour le veau-marin, fin d’hiver pour le phoque gris.
Du simple au double
Le veau-marin mesure entre 1,4 et 2 m de long et les femelles sont les plus petites. Ces dernières pèsent parfois seulement 45 kg, alors que les gros mâles atteignent 125 kg. Les mensurations du phoque gris varient, selon le sexe également, de 2 à 3 m de long pour 170 à 300 kg !
Plage en partage
Que ce soit pour la mise bas, l’allaitement – notamment pour le veau-marin –, le repos journalier ou la mue saisonnière du pelage, la vie paisible sur le sable est vitale pour les phoques. Le dérangement par les humains et les chiens est une menace bien identifiée, parfois mortelle. La plupart des sites occupés en France sensibilisent sur les bonnes pratiques à adopter et fournissent des numéros d’urgence pour signaler un animal en détresse.
Pour aller plus loin...
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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