© Sandro Campardo

Cet article fait partie du dossier

L’invincible étourneau

L’étourneau et le tarier des prés, l’un prospère l’autre disparaît

Devant le bouleversement total de nos paysages, l'un a magistralement tiré son épingle du jeu tandis que l'autre est en train de disparaître. Destins croisés avec l'ornithologue Laurent Vallotton entre l'étourneau, superstar de l'adaptation, et le tarier des prés, héros tragique du nouveau film de La Salamandre.

Devant le bouleversement total de nos paysages, l'un a magistralement tiré son épingle du jeu tandis que l'autre est en train de disparaître. Destins croisés avec l'ornithologue Laurent Vallotton entre l'étourneau, superstar de l'adaptation, et le tarier des prés, héros tragique du nouveau film de La Salamandre.

Laurent Vallotton, vous avez compulsé pendant huit ans toutes les données disponibles pour écrire avec Lionel Maumary « Les Oiseaux de Suisse ». Quel regard portez-vous sur l'étourneau, l'une des 419 espèces décrites dans votre ouvrage ?

Cet oiseau a connu une extraordinaire réussite durant le XXe siècle, mais il est peut-être à la veille d'un revers de fortune. Souvent, les spécialistes accordent peu d'attention aux espèces dites banales. Dans de nombreuses régions d'Europe, les effectifs de moineaux sont par exemple en chute libre. Il a fallu beaucoup de temps pour qu'on prenne conscience de l'ampleur du phénomène. Pour ce qui est de l' étourneau, on sait qu'il a fortement décliné ces 30 dernières années en Scandinavie. En Suisse orientale, la population nicheuse a chuté de 15% en 20 ans. Et en France, les effectifs des grands dortoirs postnuptiaux diminuent.

Ce tassement des effectifs s'explique-t-il par les persécutions dont l'espèce fait l'objet ?

Probablement pas. L'impact des moyens de lutte est très local. Le vrai problème est ailleurs. La banalisation du paysage associée à l'emploi généralisé des pesticides entraîne depuis 40 ans une chute vertigineuse des populations d'insectes. L'étourneau est avant tout un insectivore, surtout durant la période critique de l'élevage des jeunes. Après tant d'autres oiseaux mis en difficulté, il a fini lui aussi par être rattrapé par cette réalité terrible. Cette nécessité de proies le différencie fondamentalement de la corneille ou du goéland. Eux peuvent pulluler en se nourrissant presque exclusivement de nos poubelles. Lui pas !

La baisse des populations d'étourneau pourrait s'accentuer, mais l'espèce s'en sortira sûrement. C'est un dur à cuire. Il a un tempérament de gagnant !

Vous parlez de tempérament. La psychologie d'une espèce peut-elle expliquer son succès ou son déclin ?

Je constate simplement que parmi les oiseaux il y a des éternels timides, des hyperspécialisés totalement désarmés face aux dérangements provoqués par l'espèce humaine. Craintive, la cigogne noire vit retirée au cœur des forêts alors que sa cousine la cigogne blanche tire profit de la présence humaine. Le grand coq de bruyère est menacé de disparition, et les dérangements humains en sont en partie la cause. Les espèces agressives, grégaires, familières paraissent pouvoir développer plus facilement des stratégies alternatives en cas de difficulté.

Photo tarier des prés
Le tarier des prés est en train de disparaître. Les facteurs de son déclin sont multiples: c'est un oiseau exclusivement lié aux prairies fleuries, un milieu qui perd en qualité et en surface; ce migrateur transsaharien affronte les dangers du voyage, il possède un régime strictement insectivore et niche au sol. / © Markus Varesvuo

Le tarier des prés est la vedette du film « Le bonheur était dans le pré ». Que lui arrive-t-il ?

C'est justement un spécialiste lié aux prairies fleuries. Il a tiré grand bénéfice des déboisements d'origine humaine, du développement du bocage et de l'agriculture traditionnelle à travers toute l'Europe. Comme l'étourneau d'ailleurs ! Mais aujourd'hui, le monde change vite. L'étourneau réagit en colonisant les villes et les parcs. Le tarier des prés subit. A son retour d'Afrique, ce migrateur est confronté chaque année un peu plus au rétrécissement et à la disparition des prairies d'autrefois. Ou alors, là où elles existent encore, elles sont fauchées toujours plus tôt.

Cet élégant passereau niche par terre. Il accomplit le prodige de pondre ses œufs et d'élever ses jeunes en un tout petit mois. Mais ce mois vital, on ne le lui accorde plus. En conséquence, les effectifs du tarier des prés ont chuté de 90% en 50 ans en Suisse comme en France. Ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est le maintien de ses derniers bastions en moyenne montagne.

Photo étourneau sansonnet
L'étourneau doit son succès à divers facteurs: hypersociable, il est migrateur ou sédentaire selon les conditions, niche à l'abri dans une cavité et possède un large spectre alimentaire, bien que son régime soit avant tout insectivore (ce qui pourrait être un facteur de déclin). / © Laurie Campbell

L'étourneau serait-il plus fort, plus intelligent ?

Il est en tout cas aussi rusé que les corvidés. Pour le reste, je trouve qu'un oiseau extrêmement spécialisé et discret mérite tout autant d'admiration que lui. Prenez la bécasse par exemple. Son intelligence à elle, c'est de croire jusqu'au dernier moment en son camouflage et de rester tapie sur sa nichée sans bouger.
Pour en revenir au tarier des prés, s'il avait le tempérament d'un étourneau, il se serait peut-être adapté aux champs de colza. Mais il est trop fin, trop subtil. Mille détails sont nécessaires à sa survie et il ne les retrouve nulle part. C'est cette subtilité qui fait sa valeur et qui me parle sans doute plus que les talents tapageurs d'un opportuniste.

La disparition du tarier des prés semble vous toucher profondément...

C'est vrai. L'ornithologie est à la fois ma passion et mon métier. Quand on s'intéresse aux oiseaux, il faut commencer par les reconnaître. Pour bien les identifier, je m'identifie à eux, je me mets à leur place pour imaginer exactement où les trouver. Si j'étais un tarier, j'irais me mettre dans ce talus, là-bas, ou plutôt sur ce replat fleuri ? Avec l'étourneau, le jeu est moins drôle parce qu'il peut être partout.
Se poser ce genre de question pour des espèces spécialisées est un exercice passionnant. C'est cette conscience des besoins de l'oiseau qui me rend tellement sensible aux modifications du paysage. Pour le tarier des prés, une prairie fauchée précocement, c'est une cité dévastée alors que pour la plupart d'entre nous, ce n'est que de l'herbe coupée. Si je suis une pie-grièche, je vivrai la disparition d'une haie entre deux champs comme une terrible catastrophe.

La banalisation du paysage, un fait récent ? L'observation des oiseaux nous dit tout autre chose. Avec un peu de sensibilité, la dureté du changement apparaît comme une évidence, et ce depuis des décennies.

Image tirée du film sur le déclin du tarier des prés
Image tirée du film sur le déclin du tarier des prés Le bonheur était dans le pré / © Thomas Wüthrich

Ce changement profond du territoire affecte-t-il d'autres espèces ?

Evidemment ! En même temps que le tarier des prés s'éteignent de nombreuses autres espèces liées aux prairies, aux vergers à hautes tiges ou au bocage. Où sont passés les pies-grièches à poitrine rose, les pies-grièches à tête rousse, les hiboux petits ducs, les chouettes chevêches, les huppes, les cailles, les perdrix, les râles des genêts qui chantaient partout dans les campagnes voilà quelques dizaines d'années ? Tous disparus, ou sur le point de l'être.

C'est déprimant. Ce phénomène peut-il encore s'inverser ?

Je le pense. L'évolution récente d'une partie des agriculteurs vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement pourrait inverser la tendance. Il suffit de peu de chose pour que certaines espèces reviennent.

Image tirée du film sur le déclin du tarier des prés
Image tirée du film sur le déclin du tarier des prés Le bonheur était dans le pré / © Thomas Wüthrich

A ce sujet, le film Le bonheur était dans le pré, de Thomas Wüthrich, tombe à pic. Son propos traduit extrêmement bien la complexité du problème. Le témoignage des paysans de montagne m'a particulièrement touché. Il n'y a pas les bons oiseaux d'un côté et les méchants agriculteurs de l'autre. Eux aussi sont en situation difficile et leur prise de conscience sincère est d'autant plus remarquable. Je suis persuadé que ce changement apparemment infime contribuera à sauver le magnifique tarier des prés.

Pour commander, le DVD Le bonheur était dans le pré de Thomas Wüthrich, rendez-vous ici.

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L’invincible étourneau

Couverture de La Salamandre n°205

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 205  Août - Septembre 2011, article initialement paru sous le titre "Le sansonnet et le tarier des prés"
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