© Jean Chevallier

Sanglier, à l’affût d’un animal mal aimé

Gibier ravageur ou monstre effrayant, le sanglier n’a pas vraiment la cote. Le naturaliste, lui, pose un regard plus apaisé sur l’animal.

Gibier ravageur ou monstre effrayant, le sanglier n’a pas vraiment la cote. Le naturaliste, lui, pose un regard plus apaisé sur l’animal.

Des traces, il en laisse beaucoup le sanglier. Avec son pas lourd et ses pattes courtes. Quand une troupe entière défile sur un passage, le sol est piétiné sans discrétion. Ses déplacements répétés créent des coulées en tous sens dans les sous-bois, les champs ou les roselières. On les prendrait pour des petits sentiers si elles ne plongeaient pas sous des troncs couchés ou au plus profond des ronciers.

Sanglier, à l’affût d'un animal mal aimé
© Jean Chevallier

Je vois rarement cette bête seule. Plus souvent une compagnie de mères avec leurs marcassins, accompagnés de quelques grands fils, avant que ceux-ci ne soient écartés du groupe. Un craquement de branche ou un grognement précède généralement leur arrivée. Alors que je crois les voir enfin, ils se font soudainement silencieux. Enfuis ? Ou simplement arrêtés pour sonder les alentours ? Gro-gro… un rot bruyant sonne l’alerte générale, puis toute la troupe file.

Vieux solitaire

Le mot sanglier apparaît au Moyen Age avec les termes sengler et senglier. L’origine vient du latin singularis, qui signifie seul. Bien que ce qualificatif désigne d’abord les mâles solitaires, il est étendu ensuite à l’espèce entière. Sanglière, qui nommait la femelle au XVIIIe siècle, a été remplacé par laie, issu de lehe dans la langue des Francs.

Sanglier, à l’affût d'un animal mal aimé
© Jean Chevallier

Heureusement, parfois, la chance est de mon côté. Ce matin, le vent est dans le bon sens. Mes propres bruits d’approche sont couverts par les leurs… Les bêtes noires toutes proches grognent en sourdine, remuent les feuilles tout en se déplaçant, les dernières repassant devant les premières. Les jeunes, rouquins, arborent une belle crête sombre, tandis que les plus gros tirent sur le gris. Vues de près, leurs oreilles me paraissent immenses. L’œil, petit, ne traduit pas un regard bien vif et l’on devine que la longue truffe est l’outil principal de détection.
Un soufflement bref trahit l’inquiétude d’un des leurs. Après une petite attente pour éventer le danger, les laies meneuses décident de s’éloigner par précaution. Un peu plus loin, la compagnie traverse une allée forestière en file indienne. Je compte une dizaine de jeunes et cinq adultes ou subadultes. Peut-être une ou deux portées avec les mères et leurs filles de 1 an ?

Sanglier, à l’affût d'un animal mal aimé
© Jean Chevallier

Il est partout, le sanglier. Pour le peintre naturaliste, les occasions d’une observation ne sont pas rares. De la montagne, tant qu’il y a des buissons, jusqu’à la mer, où il visite parfois les plages sous l’œil ébahi des vacanciers. J’ai pu le rencontrer dans le maquis méditerranéen, mais aussi au cœur des roselières des étangs de plaine. Il y trouve le fouillis végétal qu’il affectionne pour se cacher et se reposer en journée. Il aime l’eau et, comme tous les cochons, ce sauvage adore se vautrer dans la boue. Les souilles sont d’ailleurs nombreuses en forêt. Ce bon nageur peut coloniser la moindre île lacustre ou même maritime.

Sanglier, à l’affût d'un animal mal aimé
© Jean Chevallier

Aux origines

Le sanglier aurait colonisé l’Europe il y a un million d’années depuis l’Asie du Sud-Est. Dans cette région du monde, sur l’île de Sulawesi (Indonésie), une représentation de sanglier datant de 45 000 ans serait la plus ancienne peinture rupestre connue.

Bien sûr, ce mammifère se montre le plus souvent en forêt, où il adore les parcelles en régénération envahies de ronces. La nuit, mais aussi le jour dans les endroits peu fréquentés par l’humain, il quitte ses impénétrables abris pour patrouiller en milieu plus ouvert : cultures, prairies, futaies ou landes.

Les sangliers mangent de tout. Aujourd’hui, je les vois déterrer des vers de terre et des bulbes. Mais ces animaux sont capables de brouter des plantes aquatiques dans les étangs et de glaner le maïs ou le blé tendre des cultures. La bête peut croquer des insectes, des œufs, des petits mammifères… vivants ou morts.

Sanglier, à l’affût d'un animal mal aimé
© Jean Chevallier

Le sanglier n’a guère de prédateurs. A part les loups en meute. Et comme Sus scrofa peut se reproduire presque toute l’année, ses populations dépendent surtout de la pression exercée par la chasse. A ce sujet, la tendance est au maintien de densités élevées, au mépris de l’objectif affiché par le milieu cynégétique et de l’équilibre avec les milieux naturels et agricoles. Leur abondance incontrôlable entraîne trop souvent leur traque jusque dans les réserves naturelles, ou en dehors des périodes de chasse habituelles… On devine que certains amateurs de viande et de sensations fortes trouvent un intérêt à ce cercle vicieux.

Ce soir, loin de l’acharnement que l’animal subit malgré lui, je profite du clair de lune. Ce sont les conditions que je préfère pour guetter le sanglier. Effacés l’œil porcin, la truffe sale et l’intérieur de l’oreille rosâtre. Juste une silhouette taillée à la hache, les épaules en bosse surmontées d’une longue crête. Une colonne de formes sombres de différentes tailles sort de la lisière. Sur le premier animal, le plus gros, je détaille la hure, cette tête proéminente et triangulaire qui porte des défenses parfois visibles. La compagnie s’est rapprochée et laboure la prairie. Elle retourne les mottes sur des mètres carrés en quelques minutes seulement. J’imagine la robustesse de ce groin et la force déployée pour creuser un sillon de 20 cm dans le sol partiellement gelé !

Sanglier, à l’affût d'un animal mal aimé
© Jean Chevallier

Spirale infernale

L’explosion des populations a entraîné une envolée des tableaux de chasse. De 35 000 dans les années 1970, le nombre de s­angliers tués en France est passé à 800 000 en 2020. Soit 23 fois plus en l’espace d’un demi-siècle. En Suisse, l’évolution est encore plus forte puisque seuls 60 individus avaient été tirés dans le pays en 1970, contre 15 728 en 2021 – soit 262 fois plus !

Soudain, deux bêtes noires en conflit déchirent le silence de la nuit par des grognements impressionnants. Je décide de les approcher, à la faveur d’une petite route en contrebas de la pâture où ils s’activent. Me voici au plus près, virtuellement protégé d’une charge par la clôture. Je pense que ce danger n’existe qu’avec des animaux blessés, stressés ou issus d’élevages. Cette nuit, je n’avancerai pas plus.
Je laisse le groupe s’éloigner dans la brume naissante et je finis de dessiner sous la lune.

Couverture de La Salamandre n°278

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 278  octobre - novembre 2023, article initialement paru sous le titre "A l’affût de la bête noire"
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Dessins Nature

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