© Claire Felloni

Rêverie sous les tilleuls

Derrière ses airs nobles, le tilleul respire la douceur. Parmi les derniers arbres à fleurir, il offre des bouquets couleur miel au parfum incomparable.

Derrière ses airs nobles, le tilleul respire la douceur. Parmi les derniers arbres à fleurir, il offre des bouquets couleur miel au parfum incomparable.

Un air de fin d’année scolaire flotte entre les allées de tilleuls du grand parc. Sous le feuillage épais qui filtre le soleil caniculaire, quelques élèves en sueur révisent pour les dernières épreuves avant les congés d’été. Coiffés de nids d’oiseaux, parés d’un vert tilleul des plus raffinés, les arbres plantés en rangs impeccables ont traversé les époques et connu l’accélération du temps : les flâneries en calèches du XVIIIe siècle ont laissé place aux trottinettes électriques des gens pressés. Mais les arbres géants portent toujours l’indémodable fragrance Tilia N°5 pour fêter le solstice d’été. Un parfum suave qui embaume l’air bien au-delà des balustrades et des massifs de pivoines.
Tantôt cosmique tantôt guérisseur, le tilleul est aussi un symbole de liberté et d’amour, peut-être en raison de ses feuilles en forme de cœur. On avait coutume de le planter au centre du village, de danser sous sa frondaison ou d’y rendre la justice. Il était très populaire pour ses multiples usages. Aujourd’hui, de nombreuses régions vénèrent leur tilleul multicentenaire. Un doyen atteindrait même 2000 ans. C’est dire ses lettres de noblesse…

Paon du jour
Paon du jour / © Claire Felloni

Sauvage apprivoisé

Le tilleul vit à l’état sauvage disséminé dans les forêts de feuillus, notamment sur les terrasses alluviales, les éboulis et les fonds de vallons. Espèce de demi-lumière, il se plaît sur des sols frais et fertiles : le tilleul à petites feuilles, répandu à basse altitude, supporte deux mois d’inondation. Son cousin à grandes feuilles, plus montagnard, survit à de grandes sécheresses en perdant ses feuilles, puis en débourrant à nouveau quand l’eau revient. Ces essences indigènes sont fréquemment plantées dans les parcs et le long des avenues, sous la forme de leur hybride naturel le tilleul intermédiaire ou d’autres cultivars.

Galle cornue du tilleul
Galle cornue du tilleul / © Claire Felloni

Splonk ! Un tronc essuie stoïquement un dernier coup de ballon : enfants et parents désertent le parc à mesure que l’air du soir s’adoucit. Enfin, le jardinier des lieux s’approche d’un des arbres à l’écorce parcourue de minuscules gendarmes rouge et noir. Il cueille une feuille et la laisse fondre dans sa bouche, songeur. Par quel magie ce vénérable, chaque année plus ridé, produit-il une verdure toujours aussi tendre ?
Au-dessus de sa tête, d’autres petites bêtes s’alimentent dans la frondaison, blotties dans des loges spéciales. Ce sont des Eriophyes tiliae. Tout en sirotant la surface foliaire, ces acariens microscopiques libèrent des substances chimiques qui provoquent une multiplication des cellules végétales, jusqu’à former des excroissances à l’allure de bonshommes rouges : la galle cornue. Mais rassurons-nous : l’arbre résiste très bien aux maladies, parfois au prix de verrues disgracieuses…
En levant les yeux, le jardinier contemple le dôme végétal qui semble émettre de la lumière tant il est chargé de fleurs. Syrphes, papillons et abeilles visitent frénétiquement les corolles jaunâtres dont la sécrétion de nectar, intense mais brève, est favorisée par un temps chaud et moite. Les colonies de pucerons recouvrent les limbes de leur miellat poisseux, un résidu de sève digérée. Cette confiserie appréciée des abeilles est ramenée à la ruche pour la fabrication du célébrissime miel de tilleul.

Verveine ou tilleul ?

Véritable panacée, le tilleul est célèbre pour sa tisane de fleurs, aromatique et apaisante. Mucilages, tanins, gommes, vitamines : ce cocktail antispasmodique et diurétique soutient en cas de troubles nerveux, insomnies, migraines, refroidissements, vertiges… En 1957, une année à grippe, on a infusé dans l’Hexagone 500 tonnes de fleurs, soit 20 % de plus que la moyenne ! D’un arbre à l’autre, la saveur des fleurs serait sensiblement différente. Des variétés sont sélectionnées notamment pour la résistance des branches aux échelles des cueilleurs.

Dessin d'un tilleul
© Claire Felloni

Cousin du cacaoyer

Au XVIIe siècle, on a tenté de faire un succédané de cacao avec les graines du tilleul, sans grand succès. Présage d’une actualité scientifique ? Une mise à jour de la classification génétique a rangé le genre Tilia dans la grande famille des malvacées, aux côtés de la mauve, du baobab, du cotonnier ou… du cacaoyer. Malvacée remonte au grec ancien malákhē, mou, qui ferait référence aux mucilages que produisent ces plantes. Chez les tilleuls, ce sont l’écorce et les feuilles qui contiennent cette substance visqueuse et émolliante, extraite par décoction pour soigner les brûlures ou les diarrhées.

Sphynx du tilleul
Sphynx du tilleul / © Claire Felloni

Une bourrasque soudaine arrache le jardiner à ses rêveries parfumées. Et des feuilles de leurs rameaux. Quelques fruits prennent aussi leur envol. Les petites capsules portent au bout d’un pédicelle un ruban diaphane. Cette bractée les fait tournoyer dans une valse joyeuse pour s’héliporter juste au-delà du tilleul parental. Les plantules pourront ainsi bénéficier des soins de l’arbre-mère, qui leur transmettra des nutriments par racines interposées.
Il est temps de fermer le parc après avoir nettoyé l’allée en balayant les débris végétaux. Des coups de balai énergiques… Un peu superflus. La litière de tilleul, dite améliorante, est hautement biodégradable. Sans qu’il y ait besoin de lever le petit doigt, elle aura disparu avant l’arrivée de l’hiver en produisant un humus doux d’une qualité irréprochable qui fertilisera le sol. Déjà un fin croissant de lune se découpe sur le firmament. Des noctambules aux ailes en dentelle s’activent : des sphinx du tilleul ! Incapables de se nourrir, ces papillons nocturnes mettent toute leur énergie à se reproduire. Bientôt, leurs chenilles feront bombance dans le feuillage des Tilia.
La nuit achève d’effacer la géométrie du parc. Fini les cérémonies. Les plantes forment un tout, vaste et sauvage, respirant en cadence. Ne s’offre plus aux sens que la fragrance douce mais puissante de ces géants aux cœurs tendres.

Liens solides

Le tilleul est un tendre dont le bois, léger et homogène, se laisse facilement travailler par les sculpteurs, les tourneurs ou les fabricants d’instruments de musique. Les cernes de bois les plus récents, commercialisés sous le nom d’aubier de tilleul, se popularisent comme draineur de toxines. La tille, son écorce interne ou liber, est riche en cellules très solides et géantes, longues de 2 à 4 mm. Un matériau de premier choix pour les cordelettes, cordages ou tissages, utilisé sans doute depuis les temps préhistoriques et encore produit par tonnes au XXe siècle.

Les couleurs du tilleul
© Claire Felloni

Nos conseils

Connaître les Tilia

C’est principalement par les feuilles qu’on identifie les tilleuls. Chez le tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) elles sont souples, les nervures de dessous couvertes de duvet blanc, et atteignent 15 cm de large. Son cousin le tilleul à petites feuilles (Tilia cordata) les a rigides, larges de 3 à 8 cm, et parsemées de poils roux sur le revers.

S’initier à la phyto

Avez-vous tenté la cure de fleurs de tilleul pour vous libérer des somnifères ? 10 à 20 g de fleurs séchées par litre d’eau, trois tasses par jour, dont une au coucher. Troubles articulaires ou migraine ? Tentez l’aubier en décoction : 40 g/l, bouilli à petit feu jusqu’à réduction d’un quart. A siroter dans la journée.

Vivre la préhistoire

Participez à des stages d’archéologie expérimentale. Parmi les gestes premiers, vous ferez peut-être des cordelettes de tilleul. Ecorce prélevée en lanières, séchée, liber séparé, mis à rouir dans de l’eau durant des mois, fibres séparées, cardées et enfin tressées. Quelle aventure !

Couverture de La Salamandre n°246

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 246  juin - juillet 2018
Catégorie

Dessins Nature

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