Des souris et des hommes
A la campagne comme à la ville, la souris grise vit tout près de nous. Chronique d’une relation multimillénaire.
A la campagne comme à la ville, la souris grise vit tout près de nous. Chronique d’une relation multimillénaire.
En ce matin d’hiver, l’atmosphère confinée du souterrain rend encore plus angoissants les grincements stridents du métro. Dans cet antre sombre et sans véritable climat, une foule d’humains agités va et vient dans un étrange désordre. Sédentaires hyperactifs ou nomades qui s’ignorent ? Le savent-ils eux-mêmes ? Parmi ces silhouettes pressées ou perdues vit une créature minuscule et rusée : la souris grise. Personne ou presque ne la remarque, car ici personne ou presque ne remarque quoi que ce soit. On craint éventuellement l’irruption d’un rat, son grand cousin. Mais la petite souris… Le minuscule rongeur s’épanouit dans le métro comme partout où l’homme s’installe, n’usurpant pas son titre de *commensal**. Dites-vous bien que cette relation de proximité, pour ne pas dire intime, ne date pas d’hier. Du Levant néolithique aux mégalopoles du XXIe siècle, la souris facétieuse n’a eu de cesse de squatter les murs de son vieil ami bipède.
*Commensal adj.
En biologie, désigne un individu ou une espèce tirant bénéfice d’une relation avec un partenaire d’une autre espèce, sans que ce dernier n’y trouve ni avantage ni véritable inconvénient. La souris tout comme l’hirondelle rustique ou le lézard des murailles sont des animaux commensaux de l’homme. On les qualifie aussi d’anthropophiles.
Notre cohabitation avec les aïeux de Mickey Mouse remonterait à quinze mille ans. L’étude internationale qui a mis cette histoire au jour en 2017 a ainsi repoussé l’âge de notre relation avec la menue grignoteuse. Les zooarchéologues situaient jusqu’alors cet étroit voisinage aux débuts de l’agriculture, soit près de trois mille ans plus tard. C’est en étudiant les fossiles de Mus musculus domesticus – ainsi bien nommée – que les chercheurs ont constaté son rapprochement avec les chasseurs-cueilleurs natoufiens dans l’actuelle région d’Israël, du Liban et de la Syrie. Dès lors que ces ancêtres ont limité leurs déplacements, sans pour autant se sédentariser encore complètement, ils ont dû stocker quelques grains sauvages dans leurs habitations de fortune. Il n’en a pas fallu davantage pour que la souris grise commence à jouer au chat et à… qui vous savez avec ses hôtes.
Horreur !
Le grand cousin rat surmulot cristallise à lui seul la peur des rongeurs dans le monde. La musophobie – du latin mus, souris, et du grec phóbos, peur – est une phobie très répandue. Il faut dire que les maladies transmises par le rat d’égout ne sont pas anodines : peste, leptospirose, salmonellose, vers, teigne, hantavirus… Toutes les grandes villes ont un problème de rats. Paris lutte depuis des années contre une prolifération préoccupante et on estime à trois millions le nombre de ces rongeurs dans la capitale française. Des travaux révèlent parfois leur présence souterraine comme à Lausanne, où des hordes de Ratatouille ont fait surface en 2012.
Les scientifiques ont également découvert qu’en s’acoquinant avec cette souris, les hommes de l’époque ont eu un premier impact significatif sur la biodiversité qui les entourait. Comment ? En favorisant cette variété de rongeurs peu farouches et opportunistes, ils ont indirectement péjoré les populations d’une cousine sauvage pas du tout anthropophile : la souris à queue courte. A tel point que la proportion de dents fossilisées appartenant à l’une ou l’autre de ces deux concurrentes renseigne sur la présence ou non d’hommes semi-sédentaires dans une région donnée.
Lorsque le climat se refroidit ou s’assèche momentanément, contraignant les chasseurs-cueilleurs à redevenir mobiles, la souris à queue courte reprend systématiquement du poil de la bête. Ce principe se vérifie encore aujourd’hui autour des camps de Massaï, peuple semi-nomade du sud du Kenya. Là-bas, c’est la commensale souris épineuse de feu qui évince, le temps d’un campement, la farouche souris épineuse de Wilson. Une souris des villes et une souris des champs, c’est aujourd’hui encore ce que des biologistes piégeurs constatent dans les parcs et espaces verts parisiens. En plein air, parmi les feuilles mortes et les brins d’herbe, ils attrapent presque uniquement du mulot sylvestre. Même au cœur de la ville, en l’absence de maison toute proche, zéro souris. Notre colocataire ancestrale n’aurait que faire des arbres et des petites fleurs. Son paradis ? Un gîte sûr, sombre et foisonnant de cachettes à proximité de denrées alimentaires et autres réserves. Aux antipodes de toute forme de nature, les poubelles, ballasts et canalisations du métro font parfaitement l’affaire… Et en guise de gourmandise, une miette de cookie ou un vieux mégot.
En même temps que l’homme son allié, la souris grise dite domestique s’est elle aussi déconnectée de la verdure et de l’air pur. Ce petit être furtif qui vit parmi nous depuis la nuit des temps n’a pas fini de nous ressembler. Pas étonnant qu’il y a bientôt un siècle, le célèbre Walt Disney ait inventé son non moins illustre personnage de souris anthropomorphique. Pas surprenant non plus que les archéologues et anthropologues étudient le passé de ce rongeur pour comprendre l’évolution de nos modes de vie. Et puis, aujourd’hui encore, des biologistes persistent à autopsier la souris blanche en laboratoire pour mieux connaître les mystères de notre propre corps.
La souris inspire tant de sentiments ambivalents : dégoût pour ses crottes, cris et autres grignotages, frayeur quand elle surgit de nulle part dans la cuisine, mais aussi attachement imaginaire lorsqu’elle troque sous l’oreiller une dent de lait contre une pièce. Et que dire de la souris qui permet à des millions de geeks ou employés de bureau de cliquer toute la journée ? Finalement, même si la tapette, le chat vorace ou l’appât empoisonné sont souvent les seules choses que nous lui offrons, la souris entretient avec nous une relation ancienne et complexe qui n’est pas près de s’arrêter.
Clé des champs
La souris grise domestique ressemble beaucoup à son cousin le mulot. De taille inférieure, elle présente des oreilles réduites, une queue et des pattes arrière proportionnellement plus courtes. De plus, sa coloration gris-brun contraste moins avec sa face ventrale. Détail supplémentaire : contrairement au mulot, la souris n’est pas capable de pratiquer l’autotomie caudale, c’est-à-dire de perdre volontairement une partie de sa queue pour échapper à un prédateur.
Découvrez comme les reconnaitre dans ntore miniguide Les micromammifères.
Certains croquis de Tsunéhiko Kuwabara sont issus du livre De lignes en ligne (Ed. Eyrolles)
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
Catégorie
Vos commentaires
Ces produits pourraient vous intéresser
Poursuivez votre découverte
La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille
Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous
Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature
Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur
Pour commenter sans créer de compte, il vous suffit de cliquer dans la case « nom » puis de cocher la case « je préfère publier en tant qu’invité ».