© Sylvain Leparoux

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Le vent se lève

Cinq histoires d’oiseaux poussés par les tempêtes jusqu’en Bretagne

Tous les vents mènent en Bretagne. C’est ce que laisse penser la réputation de cette pointe de terre, pour l’observation d’oiseaux égarés venus des quatre coins du globe. L’écrivaine ornithologue élise Rousseau se souvient de cinq rencontres extraordinaires sur les îles et le littoral de sa région natale.

Tous les vents mènent en Bretagne. C’est ce que laisse penser la réputation de cette pointe de terre, pour l’observation d’oiseaux égarés venus des quatre coins du globe. L’écrivaine ornithologue élise Rousseau se souvient de cinq rencontres extraordinaires sur les îles et le littoral de sa région natale.

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Douarnenez - (Finistère), 30 décembre.

Je suis séduite par cette petite mouette qui volette au-dessus de l’eau grise et calme du port. Comme un miroir, l’océan clair reflète la silhouette aux longues ailes pointues de la mouette de Ross. Originaire du Haut-Arctique, cette espèce très exceptionnelle en Europe de l’Ouest a probablement été poussée par de l’air polaire, associé à des dépressions de secteur nord ou nord-ouest venues d’Islande et du Groenland. Celle que l’on appelle aussi mouette rosée doit trouver l’eau de la baie bien douce et l’air relativement tempéré, elle qui est habituée à vivre dans une des régions les plus glaciales de la planète. Les promeneurs qui la croisent ne soupçonnent pas que l’oiseau a sûrement vu des bélugas bien avant le moindre Homo sapiens !

Les amateurs d’oiseaux rares, eux, sont en effervescence : ils s’agglutinent le long du quai – tas informe de vestes, jumelles, longues-vues, appareils photo cliquetants, nez rouges et bonnets – pour observer l’oiseau dans ses allers-retours endiablés entre les bateaux. Combien ce vent polaire réchauffe leur cœur ! Car il est toujours grisant pour un naturaliste ­d’observer une espèce nouvelle, venue de loin. Et certains animaux sont juste mythiques. La beauté du jour en fait indéniablement partie. Elle est tout simplement adorable, menue, aérienne, avec son bec bien noir, sa poitrine rosée, ses courtes pattes, sa queue légèrement pointue. Telle une messagère venue nous raconter un peu des terres arctiques, des aurores boréales, des icebergs, de la truffe des ours polaires ou de ces étranges narvals qui nagent sous les glaces… Peut-être est-ce cela que j’aime tant chez ces voyageurs des vents : l’offrande d’un ailleurs si souvent rêvé, le rappel de l’existence de mondes lointains, où tout est si différent…

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Ouessant - (Finistère), 23 octobre.

Le regard noir et brillant du rougegorge, des couleurs de plumage proches du rougegorge, le physique rondelet du rougegorge… Mais ce n’est pas un rougegorge. Plus élancé que l’ami du jardinier, ce jeune robin à flancs roux porte sa rousseur là où son nom l’indique. Mais sa coquetterie principale reste le bleu de sa queue. C’est la première fois de ma vie que je vais à Ouessant, île chérie des amoureux d’oiseaux, et la première fois que j’observe ce passereau parfois nommé rossignol à flancs roux. Il faut dire qu’il est originaire de Sibérie, quelque part au bout du monde... Nous sommes cachés au fond d’un de ces buissons ouessantins enchevêtrés et humides, appelés stangs, dans lesquels quelques générations d’ornithologues ont tracé des sentiers boueux.

L’arrivée d’égarés sibériens chez nous se fait en général à la faveur d’un anticyclone puissant, centré sur la Russie,
générant des vents d’est sur sa partie méridionale. Quelques pouillots, grives et autres locustelles se laissent ­emporter et se retrouvent à la pointe ouest de l’Europe, bien loin de leur taïga d’origine. Si la visite accidentelle de ce joli insecti­vore ravit les cocheurs – nom donné aux observateurs collectionneurs d’espèces nouvelles – traditionnellement présents sur l’île à cette saison, il exaspère le rougegorge territorial qui s’applique à chasser l’intrus de son buisson. Qu’en pense le robin ? Mystère… Celui-ci ne semble pas épuisé, comme cela arrive parfois aux boules de plumes égarées. Retournera-t-il un jour chez lui ? Longtemps, les ornithologues ont pensé que ces aventuriers perdus mouraient rapidement, finissant parfois dans l’océan ­Atlantique. Mais l’utilisation moderne de GPS miniatures montre que certains sont capables de tels retours.

Cependant, les vents ne sont pas les seuls responsables de ces égarements. Des mécanismes génétiques peuvent également entrer en jeu : de jeunes oiseaux mal ­programmés entament leur premier voyage dans une direction opposée à celle qui devrait les mener dans les quartiers d’hivernage de leur espèce. Et hop, direction la côte Atlantique plutôt que celle du Pacifique. Même si les chances sont minimes, j’ai envie de croire que ce gracieux robin a un avenir dans sa grande forêt natale…

Meneham - (Finistère), 28 décembre.

Faire simplement du tourisme n’est jamais garanti pour un ornitho. Alors que nous visitons, en décembre, le petit village de pêcheurs de Meneham, dans un chaos de roches, une hirondelle tourbillonnant rapidement au-dessus de la plage attire notre attention… Elle ne cesse de faire le même tour, chassant les insectes le long du front de mer, filant comme une fusée, zigzaguant et revenant tout aussi vite. Nuque rousse, reflets bleus, croupion clair… C’est une ­hirondelle rousseline, un oiseau originaire du sud et qui devrait être au Sahel à cette date ! ? Si l’espèce est régulière dans le Midi de la France au printemps, l’arrivée d’oiseaux en automne dans le nord-ouest de notre pays, voire en Angleterre, se fait à la faveur de remontées d’air chaud en provenance d’Afrique du Nord ou de Méditerranée.

Nous la contemplons longtemps. Légère, fuselée, elle joue du moindre souffle d’air, maîtrisant parfaitement son vol agile, être du ciel et des vents, tandis que nous restons cloués au sol. Les touristes passent devant elle avec indifférence, ne soupçonnant rien de l’imprévu de sa présence, ne sachant pas même qui elle est, et personne autour de nous ne peut imaginer notre bonheur ému. Par d’autres vents, l’oiseau repartira, demain peut-être, dans quelques jours. Et nous ne saurons plus jamais rien de lui.

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Île de Sein - (Finistère), 24 octobre.

Une bartramie des champs ! À l’annonce de cet oiseau américain, beaucoup de porteurs de jumelles présents sur l’île affluent vers le lieu de la ­découverte. Comme beaucoup d’espèces dites néarctiques – originaires d’Amérique du Nord –, ce limicole aux allures de chevalier est arrivé en Europe à la faveur de dépressions ou de queues de cyclones tropicaux qui cueillent les oiseaux sur les côtes est-américaines et les transportent à grande vitesse jusque dans l’est de l’Atlantique, c’est-à-dire chez nous. J’avais déjà pu ­découvrir une bartramie il y a quelques années, sur l’île ­d’Ouessant, mais l’oiseau était alors assez tranquille, marchant dans l’herbe d’une petite prairie marécageuse à la recherche ­d’insectes dont elle se nourrit. Sur Sein, notre bartramie est cette fois beaucoup plus exubérante et active, se promenant sur la route côtière et se perchant même sur le toit d’une maison !

Comme ­Ouessant, l’île de Sein, petit joyau au large de la pointe du Raz, est réputée à l’automne, mais aussi occasionnellement au printemps, pour la survenue d’oiseaux poussés par les masses d’air en tous genres. L’avantage des îles, c’est qu’elles agissent pour les oiseaux en errance comme une sorte de bouée de sauvetage en plein océan, un endroit où enfin se poser. Par ailleurs, la petite superficie des îles permet aux coureurs d’oiseaux de quadriller ces territoires restreints et de les trouver plus facilement que sur le littoral ou dans les terres, où ils se dispersent davantage.

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Mor Braz - (Morbihan), 19 septembre.

Une clameur retenue, un frisson d’exaltation, une bouffée d’enthousiasme parcourt le petit bateau ballottant au large, où sont entassés quelques guetteurs d’oiseaux. Nous étions partis naviguer dans la mer du Morbihan, le Mor Braz, pour contempler les puffins des Baléares, les mouettes de Sabine, les grands dauphins et les marsouins qui peuplent ces eaux du large. Et voici que parmi une petite troupe d’océanites tempêtes, nous découvrons un très rare océanite de Wilson. J’essaie péniblement de le photographier, au gré des vagues qui font tanguer l’appareil, tandis que l’oiseau virevolte comme un papillon au-dessus de l’eau. « Regarde ses longues pattes ! », me murmure un coéquipier derrière moi. Moment de magie, de poésie, avec ce petit oiseau noir qui pirouette sur les eaux étincelantes du reflet du soleil, petite ombre des océans qui vient réjouir nos envies de voyages dans les mers du Sud. Les larmes ne sont pas loin, tant la joie de découvrir ce minuscule pétrel est à la fois espérée et inattendue.

L’arrivée de cette espèce d’oiseau pélagique – de haute mer –, originaire de la région antarctique, se fait en été, au gré du plancton qui remonte vers le nord, poussé par des courants marins complexes, eux aussi en partie liés aux vents. Le réchauffement climatique favorise cette remontée, et ces océanites des antipodes s’aventurent au-delà de la zone tropicale et de plus en plus vers le nord, atteignant désormais les latitudes européennes.

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Le vent se lève

Couverture de La Salamandre n°290

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 290  Octobre - Novembre 2025, article initialement paru sous le titre "Poids plume déboussolés"
Catégorie

Écologie

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