Agriculteurs et biologistes se mobilisent au secours du bruant proyer
Dans la région d’Orbe (VD), ornithologues et monde paysan travaillent main dans la main pour sauver un passereau au bord de l’extinction.
Dans la région d’Orbe (VD), ornithologues et monde paysan travaillent main dans la main pour sauver un passereau au bord de l’extinction.
« Quel luxe, c’est la grasse mat’ aujourd’hui. » Robin Séchaud jubile. Le tableau de bord de sa voiture affiche 7 h 23. « D’habitude, on se lève aux aurores pour observer les oiseaux. » Le responsable de la nouvelle antenne régionale de la Station ornithologique suisse à Yverdon-les-Bains se parque sur un plateau agricole au-dessus de la plaine de l’Orbe. Au moment de saluer ses collègues, un chant trahit la présence d’un bruant proyer. Les longues-vues se braquent face à un champ. Le petit oiseau strié est perché sur une herbe au-dessus de la mer de céréales. Son nid est caché au sol, tissé entre les tiges.
« En Suisse, l’espèce est au bord de l’extinction, avec seulement 80 à 110 couples selon le dernier inventaire national, concentrés dans de rares régions comme le Seeland et la Champagne genevoise, expose Robin. En 2023, un nouveau noyau de population a été découvert ici avec une quarantaine de territoires. C’est pour le pérenniser qu’est né un projet de conservation que l’on mène dans la région d’Orbe, avec le soutien du canton de Vaud. »
Le discret volatile mobilise trois personnes depuis avril pour suivre sa nidification durant quatre ans. « Cette espèce a le don de disparaître quand on la quitte des yeux. On passe parfois quatre heures sur le même individu sans comprendre où est son nid, témoigne Benjamin Rothenbühler, responsable du suivi de terrain. D’abord, on localise les mâles chanteurs à l’oreille, puis on scrute la zone. À force de visites régulières, on identifie leurs territoires, parfois mouvants. Quand les femelles les rejoignent, leurs allées et venues avec des herbes nous permettent de détecter les nids. » Un cri d’alarme l’interrompt. Sous nos yeux, le bruant échappe à l’attaque d’un épervier, regagne son poste de chant et vocalise de plus belle.
Face caméra
« Pour mieux le protéger, il faut investiguer sur sa biologie, le régime alimentaire des poussins ou la date de leur premier envol », détaille Ludovic Bradley, qui étudie ces questions durant son travail de master en biologie, à l’Université de Neuchâtel. Pour récolter des informations, l’étudiant navigue avec précaution entre les céréales, guidé par ses compères au talkie-walkie, afin de poser de petites caméras à une trentaine de centimètres des nids. Le dérangement est bref et le dispositif permettra de générer des dizaines de milliers de photos à analyser. S’il reste encore beaucoup à découvrir, une chose est sûre : le bruant proyer disparaît en raison de l’intensification des pratiques agricoles. Ses nids sont notamment à la merci des faucheuses. « L’an passé, on a tenté de les localiser et de les protéger. Une petite dizaine a été sauvée, mais c’était un investissement de fou », explique Robin. Le projet se concentre désormais sur des mesures à long terme se passant d’une intervention coûteuse en ressources humaines : le renforcement d’habitats attractifs et sécurisés.
“Dans la région, le monde agricole fait un super boulot
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Éden retrouvé
Nous reprenons la route pour rejoindre une colline chantante au-dessus d’Arnex-sur-Orbe. Cette mosaïque de prairies, haies et bosquets est adoptée par notre discrète perle rare, qui recherche de tels milieux structurés combinant des postes de chant élevés et des zones ouvertes pour nicher. Ludovic Longchamp, coordinateur du projet, explique que ce coin de paradis n’est pas le fruit du hasard. « Dans la région, le monde agricole fait un super boulot, avec près de 25 % de la surface en promotion de la biodiversité. Un réseau agroécologique s’est même constitué. » Ses membres ont mis en place diverses mesures avec les conseils d’une biologiste : jachères, pâturages extensifs, plantation de fruitiers, fauche après le 15 juin ou encore absence de celle-ci sur 10 % de la surface.
« Pour toucher des subventions, ces mesures sont obligatoires. Alors, les exploitants sont ravis d’être accompagnés pour que leurs efforts aient un réel impact. Surtout quand ils savent que leurs parcelles abritent plusieurs couples d’un oiseau au bord de l’extinction, s’enthousiasme Ludovic Longchamp. Tout l’enjeu est d’améliorer nos connaissances pour viser des surfaces de promotion de la biodiversité de bonne qualité et placées aux bons endroits. » Durant nos discussions, les ornithologues aux aguets s’interrompent souvent, attirés par une fauvette grisette ici ou une pie-grièche écorcheur là-bas. « Grâce à un suivi d’une quarantaine d’espèces sur 15 km2, on constate que ces aménagements sont bénéfiques à d’autres oiseaux aussi », se réjouissent les biologistes.
Sentinelle du paysage
Très lié aux milieux agricoles de plaine, le bruant proyer a souffert du remembrement au siècle dernier. L’abattage de millions de fruitiers, la disparition du bocage et le renforcement des intrants agricoles ont réduit drastiquement ses habitats et sa nourriture. Nichant tard, de mai à août, il est également victime des fauches. Aujourd’hui, il fait partie des 50 espèces d’oiseaux prioritaires pour une conservation ciblée en Suisse.
Il parvient encore à se reproduire dans les prairies et buissons présents sur les talus de chemin de fer ou les surfaces de promotion de la biodiversité. Une partie des effectifs bénéficie probablement d’afflux en provenance de France et d’Espagne, où les populations sont encore riches, malgré une tendance inquiétante à la baisse.
Coup de Coupole
Les surfaces de promotion de la biodiversité (SPB) doivent constituer 7 % des terres agricoles pour l’octroi de subventions. Malheureusement, cet objectif quantitatif, bien que contraignant, n’est pas suffisant pour enrayer le déclin de nombreuses espèces. En 2023, le Conseil fédéral a promis des mesures qualitatives en faveur de la biodiversité. Parmi elles, l’obligation de placer 3,5 % des SPB à l’intérieur des champs cultivés sous forme de jachères, ourlets ou bandes culturales extensives. Cette donnée est capitale pour des oiseaux comme le bruant proyer ou l’alouette des champs qui recherchent les zones dégagées, éloignées des zones forestières. Mais cet été, le Parlement a renoncé à ses promesses. Reste un espoir pour l’avifaune avec l’initiative biodiversité, dont les résultats tomberont au moment de la parution de ce numéro.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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