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Lâcher de pygargues au bord du Léman: le projet qui divise les ornithologues

En Haute-Savoie, un projet de lâcher de pygargues à queue blanche au bord du lac Léman divise au sein de la communauté ornithologique. Entretien avec Laurent Vallotton, ornithologue et adjoint scientifique au Muséum d'histoire naturelle de Genève.

En Haute-Savoie, un projet de lâcher de pygargues à queue blanche au bord du lac Léman divise au sein de la communauté ornithologique. Entretien avec Laurent Vallotton, ornithologue et adjoint scientifique au Muséum d'histoire naturelle de Genève.

En septembre 2025, le parc zoologique Les Aigles du Léman a relâché deux jeunes pygargues dont nous vous avions raconté l’histoire dans cet article. Issus d’un sauvetage dans la nature en Moselle, ils avaient pu intégrer le programme de lâchers de pygargues à queue blanche mené par le parc, dont l’objectif est de voir de nouveaux couples de cette espèce s’installer dans le bassin lémanique. Bien que porté par l’idée de favoriser ce rapace largement détruit en Europe par le passé, le projet divise parmi la communauté ornithologique. Pour Laurent Vallotton, ornithologue et adjoint scientifique au Muséum d’histoire naturelle de Genève, l’esprit du projet est basé sur des hypothèses fragiles et non démontrées.

Quelle est l’origine de la polémique autour du programme de lâchers de pygargues à queue blanche mené par Les Aigles du Léman ?

Cette polémique s’est formée autour de l’utilisation du mot “réintroduction” pour qualifier le programme. Or, les preuves d’une présence ancienne du pygargue à queue blanche sur le bassin lémanique sont discutables, et donc, à mon avis, pas suffisantes pour que l’on puisse parler de “réintroduction”.

Êtes-vous opposé au projet pour autant ?

Il y a deux catégories d’opposants à ce programme : ceux qui sont contre la réintroduction ou l’introduction, quelle qu’elle soit. Pour ma part, je n’ai pas d’opposition de principe à l’idée de faire des lâchers et des réintroductions. La question est plutôt de savoir si l’affirmation de la présence historique est vraie. Je conteste la notion de réintroduction, car je remets en question le fait que l’espèce ait déjà niché dans le bassin lémanique, que ce soit à proximité, ni même dans un rayon relativement grand à l’échelle franco-suisse. La réécriture de l’histoire est la seule chose qui me chagrine : à chaque article dans les journaux, on mentionne une nidification en 1892 en Haute-Savoie, dans la forêt de Ripaille. Or, les observations liées à cette donnée ont déjà été mises en doute, et je me base justement sur la fragilité des données exploitées pour contester l’aspect historique.

Quels peuvent être les risques d’introduire une espèce dans un endroit où elle n’a jamais niché ?

Cela peut par exemple poser des problèmes légaux : s’il s’agit d’une espèce envahissante, on pourra vous accuser de modifier l’environnement d’une manière inadéquate. Le pygargue à queue blanche n’est pas une espèce envahissante mais il pourrait poser des problèmes compliqués à régler s’il se mettait, par exemple, à attaquer des colonies d’oiseaux rares, comme des sternes. Si cette histoire de nidification historique non avérée ressort, il faudrait alors que les personnes à l’origine du programme soient en mesure de répondre. Néanmoins, tout cela ne me paraît pas insurmontable, et je ne suis pas forcément contre l’idée de voir des pygargues dans cette région. Par ailleurs, on n’en est pas encore là, mais un certain manque de prudence pourrait aussi discréditer des personnes et des institutions de protection de la nature qui ont soutenu le projet en parcourant les arguments promoteurs de manière enthousiaste, mais peut-être un peu rapide.

Lors d’une conférence pour la Société d’études ornithologique française, vous expliquiez que le pygargue à queue blanche a disparu dans différents pays. Les causes étaient-elles naturelles, ou humaines ?

Il est clair que ce rapace a été directement persécuté par les humains. On l’a chassé, on lui a pris ses œufs… Piètre chasseur et trop lourd pour être porté à bout de bras, il n’était pas utilisable en tant que compagnon de chasse, contrairement à l’aigle royal ou à l’autour. Le pygargue était considéré comme nuisible, étant piscivore et faisant donc concurrence aux pêcheurs. Le braconnage de ce rapace continue aujourd’hui : cela a pu être mis en évidence grâce à la pose de balises, l’un des aspects intéressants du programme de lâchers. Même si l’on peut ajouter que dans le cas des aigles de Sciez, étant donné leur familiarité en tant qu’oiseaux issus d’élevages, leur braconnage n’est pas forcément représentatif de ce qui se passerait avec des oiseaux sauvages. Il y a également eu des causes plus ou moins indirectes, comme la déforestation, puisque l’un des facteurs principaux de leur nidification est la présence de grands arbres.

Cette pression historique pourrait-elle appuyer le projet de lâchers ?

Évidemment, cette persécution est un élément à considérer, mais la régression du pygargue due aux pressions humaines diverses ne doit pas masquer le fait qu’aujourd’hui, il y a un retour naturel de cette espèce. Elle recolonise la Suède, la Norvège, et vient même jusqu’en France. Il arrive en effet que l’aire de répartition de certaines espèces se modifie, et qu’elles apparaissent y compris dans des endroits où elles n’étaient pas avant.

L’arrivée naturelle des pygargues en France ne pourrait-elle pas être un argument en faveur du programme ?

En réalité, on pourrait dire que c’est justement une bonne raison de ne pas faire de lâchers, parce que ça n’est pas une priorité. Cela dit, ce genre de projet a beaucoup d’aspects positifs, notamment en termes de sensibilisation. Cela pourrait par exemple attirer l’attention sur la préservation des zones humides, dans lesquelles chassent ces rapaces, sur la protection des grands arbres qui accueillent leurs nids, ou encore sur la mise en conformité des pylônes électriques et des câbles aériens contre les risques d’électrocution. Des arguments qui, malheureusement, sont pas ou peu mis en avant.

Couverture de La Salamandre n°291

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 291  Décembre 2025 - Janvier 2026
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