Grippe aviaire : «Des grues tombent du ciel en plein vol»
En cet automne 2025, la grippe aviaire provoque des milliers de morts chez les grues cendrées, en pleine migration vers le sud. Faut-il s'inquiéter pour la survie de la population qui survole l'Europe de l'Ouest ? On a interrogé Alain Salvi, président du Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine, un lieu de halte majeur pour les grues.
En cet automne 2025, la grippe aviaire provoque des milliers de morts chez les grues cendrées, en pleine migration vers le sud. Faut-il s'inquiéter pour la survie de la population qui survole l'Europe de l'Ouest ? On a interrogé Alain Salvi, président du Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine, un lieu de halte majeur pour les grues.
Depuis le début de l'automne, l'influenza aviaire a fait son retour en Europe de l'Ouest. Apparu sur le continent en 2006, le virus du H5N1, plus connu sous le nom de grippe aviaire, fait régulièrement des hécatombes chez les oiseaux d'élevage, mais aussi sauvages. Si plusieurs élevages de volailles ont déjà été touchés depuis le début du mois d'octobre en France et en Allemagne, ce sont surtout les grues cendrées qui sont en première ligne face au nouveau variant du H5N1.
Pour la première fois depuis l'apparition de la maladie, les grues cendrées qui empruntent le corridor de migration de l'Europe de l'Ouest sont touchées. Et c'est une hécatombe. Sur les rives du lac du Der, dans l'est de la France, des milliers de cadavres de grues ont déjà été recensés. Alain Salvi, président du Conservatoire d'espaces naturels de Lorraine, nous fait part de ses observations sur place.
En ce début novembre, sait-on combien de grues cendrées sont mortes de la grippe aviaire dans l'est de la France ?
Alain Salvi : On retrouve des cadavres de grues non seulement au lac du Der, mais également dans des étangs pas très loin du lac et ailleurs en Lorraine. Les chiffres sont purement indicatifs, car on dénombre seulement les oiseaux qu’on a retrouvés. Et beaucoup tombent dans les roselières ou les forêts et on ne les verra jamais.
En Lorraine, on a eu 500 cadavres sur un étang dont le Conservatoire d'espaces naturels est propriétaire. Sur le département de la Meuse, les interventions chiffrent plus de 1000 cadavres. Des grues qui tombent du ciel en plein vol ont même été observées. Au lac du Der, le lieu le plus prisé par les grues, c'est pire avec entre 4000 et 5000 animaux morts. Je suis sur le terrain aujourd'hui (lundi 3 novembre, N.D.L.R.). Il semble que l’épidémie s’est un peu calmée. Mais, est-ce que ça s’est calmé car le premier pic de la migration est terminé ? Ou bien l'épidémie décline-t-elle vraiment ? Le second pic, le plus important, de la migration des grues, se tient traditionnellement à la mi-novembre. On en saura plus à ce moment-là sur la dynamique du virus.
D'où est arrivé le virus ?
Il est venu d’Allemagne. Un collègue allemand nous a appelés un matin pour nous alerter et le lendemain les premiers cadavres de grues étaient signalés en Lorraine. L'épidémie vient du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, un Land du nord du pays. Mes homologues allemands suspectent une transmission via un élevage intensif de volaille, même si rien n'est certain. Du fumier contaminé aurait été épandu sur des terrains où vont planer ensuite les grues. En Thuringe, un autre Land dans le centre de l'Allemagne, 1000-1500 grues ont aussi été retrouvées mortes. C’est donc assez généralisé sur l'Allemagne de l’Est. Et puis c’est arrivé chez nous.
Lire aussi : Du nid au ciel, les premiers mois périlleux des bébés grues
Aviez-vous déjà vu des épisodes de grippe aviaire chez les grues ?
En 2021, il y a eu une épidémie très importante. Mais on avait été peu touché en Lorraine avec seulement quelques dizaines de cas. Il y avait cependant eu davantage de mortalité chez les cygnes tuberculés. Mais au même moment, sur l’autre voie de migration qui descend par Israël, les grues ont été frappées par une mortalité très importante avec de 8 à 10 000 individus morts de la grippe aviaire. C'était sur le site de la vallée de la Houla dans le nord d’Israël.
Dans cette région, ils effarouchent les grues des cultures et les nourrissent sur des espaces protégés. Donc, elles sont côte à côte par dizaines de milliers, en train de manger de la nourriture déposée par les humains. J'y ai été et c'est vraiment impressionnant. Des guides promènent les visiteurs dans des petits tracteurs qui roulent au milieu des grues. D’un point de vue touristique, c’est super. Mais sur le plan sanitaire, cela participe à la contamination des oiseaux.
Cette épidémie chez les grues menace-t-elle la survie de la population qui migre au-dessus de l'Europe de l'Ouest ?
Non. On a une population de 400 000 individus sur la voie de migration qui passe par l'Europe de l’Ouest. Donc, s'il y a entre 10 et 20 000 victimes, c'est une perte qui sera vite reconstituée. Mais il y a d’autres facteurs qui pourraient influer sur leur démographie. En Allemagne, il est de plus en plus compliqué pour les parents d’amener les jeunes à l’envol. Il y a une belle concentration d'oiseaux nicheurs, mais les conditions alimentaires et climatiques rendent plus difficile le nourrissage des jeunes et donc la productivité de la reproduction est vraiment en baisse.
Ces facteurs combinés pourraient avoir des effets notables d'ici 5-10 ans, mais la population est tout de même assez immense. La grippe aviaire m’inquiète plus pour d’autres espèces de grues qui sont plus rares avec des effectifs de 10-15 000 individus. La grue du Japon, présente sur île d'Hokkaido, pourrait sévèrement souffrir si le virus y arrive. La grue à cou blanc, qui vit également au Japon, pourrait également décliner fortement en cas d'épidémie de grippe aviaire parmi sa population.
On est aussi un peu inquiet en Lorraine, mais concernant un autre oiseau. Des couples de pygargues à queue blanche, qui ne sont que 3 ou 4 couples reproducteurs dans la région, viennent manger sur des cadavres de grue. Le virus H5N1 est assez fragile, mais il peut tout de même survivre quelques jours en extérieur donc on a peur que ces couples de pygargues en pâtissent.
Catégorie
Ces produits pourraient vous intéresser
Poursuivez votre découverte
La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille
Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous
Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature
Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur