La précieuse friche des terrils
Dans le Nord-Pas-de-Calais se dressent des montagnes pas comme les autres. Nées de l'exploitation du charbon, les terrils sont le terrain d'étude et de découverte favori du biologiste et guide nature Bruno Derolez.
Dans le Nord-Pas-de-Calais se dressent des montagnes pas comme les autres. Nées de l'exploitation du charbon, les terrils sont le terrain d'étude et de découverte favori du biologiste et guide nature Bruno Derolez.
Un sommet battu par les vents. Un sol noir et mouvant. Du haut des terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle, qui culminent à 147 m de hauteur, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais s'étend à perte de vue. Côté sud : la rocade minière de l'A21, le carreau de fosse du 11/19, dont le nom est lié au numéro des puits de mine. Et les corons de briques rouges de la ville de Lens. Côté nord, quelques pyramides noires et des dos-d'âne échevelés ponctuent un horizon blanc laiteux. « Chacun de ces terrils est une oasis inespérée pour la faune et la flore sauvages » , assure notre guide Bruno Derolez, biologiste et animateur au Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement Chaîne des Terrils.
Déchets industriels
Sous nos pieds, l'amoncellement de schistes noirs est en effet pris d'assaut par une végétation conquérante. C'est ici que, pendant près d'un siècle de labeur, les mineurs ont entassé les déchets de la mine : des roches dites « stériles », constituées à plus de 95% de schistes, mais aussi de bouts de ferraille et de poutres de soutènement. Après le tri du charbon en surface, les roches sans valeur étaient acheminées dans des berlines en périphérie de la mine. Un système de treuil permettait de les déverser au sommet du terril, qui prenait une forme conique. « Les terrils les plus anciens sont plats, car les berlines étaient tirées par des chevaux ou des hommes. On avait aussi plus de place à disposition » , précise Bruno Derolez.
Après la fermeture des derniers puits de mine, dans les années 1980, les terrils avaient mauvaise presse. On s'est dépêché de gommer du paysage ces sombres témoins d'un passé douloureux. « Les schistes ont servi de soubassement aux autoroutes du nord de la France, mais ont aussi remblayé la plupart des marais de la région » , déplore le biologiste. Réunis dès 1988 au sein de l'association « La Chaîne des Terrils », les naturalistes locaux sont les premiers à avoir pris la défense des montagnes noires. Peu à peu, ils sont parvenus à les réhabiliter dans les esprits.
Aujourd'hui, près de 200 terrils d'intérêt paysager ont été répertoriés dans le bassin minier franco-belge. Rehaussées au rang de monuments historiques, candidates au patrimoine mondial de l'Unesco, ces friches industrielles sont devenues des zones de loisir, des lieux de balade et des refuges pour de nombreuses espèces sauvages menacées.
Bac à schlamm
En guise de confirmation, un criquet à ailes bleues s'envole brusquement devant nous, tandis qu'une rousserolle chante à tue-tête dans la roselière lovée au pied du terril. Un marais dans ce désert minéral ? « C'est un bac à schlamm : on faisait couler dans une dépression les boues issues du lavage du charbon ou des schistes. Le schlamm pouvait être valorisé après évaporation de l'eau » , explique Bruno Derolez. Trente ans après son abandon, ce milieu humide fait le bonheur du crapaud calamite, des oiseaux des marais et des migrateurs en route vers le Sud.
Du Nord et du Sud
Mais la spécialité du terril reste avant tout végétale. Les espèces pionnières thermophiles ont trouvé ici un nouveau terrain d'aventure, comme le pavot cornu, une plante normalement inféodée aux levées de galets du littoral. « Le microclimat qui règne sur les terrils favorise aussi l'implantation d'espèces méditerranéennes, très originales pour la région. Dans certaines zones en combustion spontanée, on trouve par exemple du pourpier potager et de la digitaire sanguine », souligne notre guide. Moins appréciées, des plantes invasives originaires d'Amérique du Nord ou d'Afrique du Sud s'en donnent aussi à cœur joie.
Si les crassiers du 11/19 paraissent encore très nus, d'autres sont déjà complètement boisés. Ces différences sont liées à l'âge du terril mais aussi à son substrat : en terrain acide, le bouleau verruqueux s'implante en effet plus vite que les herbacées. Comme tout terrain à l'abandon, la friche minière évolue vers la forêt, mais les naturalistes s'emploient à contrarier cette dynamique naturelle en ouvrant des clairières ou en faisant pâturer des chèvres. La préservation d'espèces rares et originales est à ce prix.
Pour vous la friche c'est...
Une couleur ? Le jaune, pour le millepertuis, le réséda, l'onagre et le pavot cornu.
Une odeur ? Celle du dittriche fétide, une plante méditerranéenne qui pousse dans les zones en combustion. Lorsqu'on y marche, elle dégage un parfum que j'aime.
Un bruit ? Le chant du pouillot véloce, un oiseau qui niche dans les buissons au pied des terrils. A mes débuts comme guide nature, ses deux tons résonnaient dans ma tête jusque tard dans la nuit.
Une saison ? L'été, quand les criquets et les sauterelles stridulent dans tous les coins. C'est un groupe d'insectes que j'ai du plaisir à identifier.
Un élément ? La terre bien sûr. C'est d'elle qu'est né le mot terril.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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