© Benoît Perrotin

Le figuier et la fauvette

Par cette chaleur, la fauvette s'abrite à l’ombre du figuier. Un étrange dialogue se noue autour de ses fruits savoureux dans une fable moderne du changement climatique.

Par cette chaleur, la fauvette s'abrite à l’ombre du figuier. Un étrange dialogue se noue autour de ses fruits savoureux dans une fable moderne du changement climatique.

Début août, en plein cagnard sur la place du village. Contre la façade de l’ancien lavoir, un large tronc gris éléphant déploie mille mains vertes devant la pierre brûlante. L’arbre vénérable fait face au Midi, là où toutes les âmes semblent avoir filé pour les vacances. Enfin presque toutes les âmes, car la sienne est ancrée ici, bien au nord des Alpes, depuis plus d’un siècle. Enraciné fièrement – mais de plus en plus étroitement – entre l’ancien repère des lavandières et le nouveau trottoir, le figuier ne quitte jamais du regard le Sud de ses ancêtres. Le silence serait absolu sans ce bruissement de feuilles dans la frondaison. Par moments, un tèk sonore retentit au cœur du bourg, amplifié par la réverbération minérale. Son auteur est une boule de plumes grisâtre casquée d’une ombre permanente : la fauvette à tête noire.

Et si l’oiseau et l’arbre unissaient leur solitude pour un bavardage imaginaire ? Asseyons-nous discrètement sur un banc et tendons l’oreille…

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C'est le nombre approximatif d'espèces de figuiers connues à travers le monde, essentiellement sous les tropiques. Ces plantes de la famille des moracées peuvent prendre la forme d’arbres, d’arbustes ou de lianes. Notre figuier porteur de fruits savoureux est Ficus carica, le seul à peupler le pourtour méditerranéen. Quant au fameux ficus commun en appartement, c’est bien l’un de ses cousins.

Le figuier et la fauvette, fable moderne du réchauffement climatique
© Benoît Perrotin

Cache-sexe

C’est bien une feuille du figuier qu’Adam et Eve utilisent pour dissimuler leur nudité dans la Genèse biblique, après avoir consommé la pomme, fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’usage de la feuille de vigne pour couvrir le sexe dans les représentations de corps dénudés ne date que de la Renaissance.

« Sais-tu à quoi me fait penser ton cri explosif ? questionne le figuier de but en blanc.
La fauvette, accablée par les 30 °C qui freinent toute velléité, est surprise par cette interpellation. Engourdie dans sa torpeur, elle reste muette. Le végétal enchaîne alors :
C’est une parfaite imitation des chocs de billes que j’entendais lorsque j’étais arbrisseau. Les enfants en culotte courte claquaient leurs agates avec entrain après l’école, en évitant les crottins de cheval. A l’époque, la rue était pavée et les rires fusaient… J’avais trois tilleuls comme voisins, en lieu et place du parking actuel, renchérit le figuier, un brin mélancolique.

Beau souvenir, souligne l’oiseau au plumage sobre. Tu sembles bien seul et d’humeur nostalgique…
A cette saison, j’ai le mal du pays. Une terre que je n’ai jamais vraiment connue, mais que je sens couler dans mes racines, mon tronc et jusque dans mes branches les plus fines. Je viens de Méditerranée. Là-bas, mes frères poussent partout et mes compères amandiers et oliviers chantent le soleil.
Que fais-tu ici ? poursuit la fauvette.
On m’a planté là, alors que j’étais tout minot. Tu sais je suis moins frileux que j’en ai l’air et les gens d’ici ont eu envie de se dépayser et de profiter de mes fruits, comme toi !
Oui et à ce propos ils sont délicieux, concède le volatile avec gêne. Sais-tu que je voyage chaque année au pays de tes ancêtres ? Je repars dans quelques semaines, c’est pour cela que je prends des forces avec tes figues charnues.

Tiens donc, que me racontes-tu là ?
Je suis migrateur. Trop fragile et gourmand pour supporter la disette hivernale dans cette région, je mets les voiles chaque automne avec mes camarades vers la Provence ou l’Espagne, parfois même le Maroc ! Là-bas, je rencontre nombre de tes semblables, épanouis au milieu des chèvres et des ânes. Et puis en mars, je reviens.
J’ai germé en Andalousie, justement. La terre y est parsemée de cactus importés du Mexique. Les hommes les appellent abusivement figuiers de Barbarie.

Ne sois pas triste, j’ai une bonne nouvelle pour toi. Ne sens-tu pas chaque année le climat devenir de plus en plus chaud, à l’image de cette journée caniculaire ?
En effet, tu as raison, admet l’arbre pensif.
Mes compagnons voyagent de moins en moins loin. Cette année, ils tenteront de s’arrêter en vallée du Rhône. Un jour je ne partirai plus du tout et je passerai l’hiver ici avec toi ! Où est la bonne nouvelle ? s’interroge l’arbre dubitatif.
Contrairement à moi, tu vas vivre très longtemps, encore cent ans au minimum. Alors, tu verras remonter tes congénères de façon naturelle, avec le chêne vert et même ton ami l’olivier. Tu sais, des fossiles de tes ancêtres d’avant les glaciations ont été découverts en région parisienne. Tu n’es pas si expatrié que cela. Grâce ou à cause de la folie des hommes, ton heure de gloire est pour bientôt.

La folie des hommes, je la connais bien. Sais-tu que je suis l’une des premières plantes cultivées par cet apprenti sorcier ? On trouve des traces de mon asservissement – ou de ma générosité, selon le point de vue – datant de onze mille quatre cents ans dans la vallée du Jourdain.
Incroyable ! Je comprends mieux pourquoi tu es vénéré à ce point. Tu es cité dans l’histoire des pharaons et de Cléopâtre elle-même. Tu t’es forgé une réputation dans les grands textes religieux chrétiens, juifs, musulmans et hindouistes. Ta place est fondatrice dans l’histoire de Rome puisque tu y abrites la louve qui allaite Romulus et Rémus. Cela valait le coup de lier ton destin à celui de l’Homme, non ? »

Ragaillardi par cet échange, le fier figuier remercie la fauvette en lui offrant la chair de ses plus belles figues. Adossé à la pierre rayonnante, l’arbre mythique replonge dans sa lente vie végétale. La riche histoire de son espèce n’est sûrement pas terminée.

Le figuier et la fauvette, fable moderne du réchauffement climatique
© Benoît Perrotin

Amours complexes

Dans son aire méridionale d’origine, les plants de figuiers dits mâles ou caprifiguiers vivent en symbiose avec une petite guêpe, le blastophage. Leurs fruits non comestibles sont des sortes de galles qui produisent du pollen et permettent la reproduction de l’insecte. Celui-ci ira ensuite polliniser les figuiers dits femelles, souvent cultivés et domestiques, donnant des figues comestibles au sein desquelles la guêpe ne peut pas se reproduire. En l’absence du petit hyménoptère, la reproduction se fait par parthénocarpie – production de fruits sans graines. Selon le climat et la variété, le figuier fructifie une à trois fois par an.

Mi-figue mi-raisin

Moitié satisfait, moitié mécontent, à la fois sérieux et plaisantant, bon et mauvais en même temps, tant bien que mal… L’expression mi-figue mi-raisin a connu plusieurs significations au fil des siècles. Il existe une explication controversée, celle d’une arnaque orchestrée par les Corinthiens qui auraient dissimulé des figues dans les cargaisons de raisins destinées aux Vénitiens, afin d’augmenter artificiellement le poids et le volume de la précieuse marchandise.

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Couverture de La Salamandre n°253

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 253  Août - Septembre 2019, article initialement paru sous le titre "Le vieil arbre et la messagère"
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