Le jet stream va-t-il disparaître ?
Les courants-jets, des vents d’altitude très puissants, régissent notre climat. Pourtant, nous les connaissons mal. Voici quelques-uns de leurs secrets, alors que le réchauffement global pourrait modifier leur trajectoire.
Les courants-jets, des vents d’altitude très puissants, régissent notre climat. Pourtant, nous les connaissons mal. Voici quelques-uns de leurs secrets, alors que le réchauffement global pourrait modifier leur trajectoire.
Au climatologue à qui nous avons demandé naïvement à quoi ressemblerait le climat de l’Europe sans les jet-streams, notre question a dû sembler farfelue. « Tout le climat du continent est lié aux jets, donc sans eux il serait difficile d’imaginer à quoi ça pourrait ressembler. Les jets font la météo de tous les jours… », nous a-t-il rétorqué.
Les jet-streams ? Vous vous demandez ce que signifie cet anglicisme barbare que l’on a déjà utilisé sauvagement quatre fois en huit lignes et qui semble tellement important aux yeux de Robert Vautard, le scientifique qui nous a répondu ? La réponse est à la fois simple et complexe.
Le saviez-vous ?
Une force étrange : La force de Coriolis naît de la rotation de la Terre sur elle-même. Cette force est nulle à l’équateur et augmente en direction des pôles. Dans l’hémisphère nord, elle dévie alors les fluides, à grande échelle, vers leur droite. Une masse d’air qui part de l’équateur en direction de l’Arctique est donc déviée vers l’est. Et un vent qui descend du pôle nord vers l’équateur sera aussi dévié sur sa droite, donc vers l’ouest cette fois.

La poussette de Coriolis
Simple, car si on observe un globe terrestre, le schéma n’est pas compliqué : les jet-streams sont de forts courants d’air d’altitude, qui soufflent jusqu’à 500 km/h en faisant le tour de la planète. Ils font quelques kilomètres d’épaisseur et des centaines de largeur. Ils sont généralement au nombre de quatre : deux par hémisphère.
Cela devient un peu plus complexe si l’on décortique ces puissants vents aériens en détail. Les jets sont d’abord le fruit de la répartition inégale de l’énergie solaire reçue sur notre planète. En raison de la forme sphérique de la Terre, le Soleil frappe verticalement l’équateur, mais presque horizontalement les pôles, qui reçoivent donc une énergie plus diffuse. En altitude, la pression atmosphérique est plus forte dans l’air chaud que dans l’air froid. Celle-ci est donc plus élevée au-dessus de l’équateur, réchauffé davantage par notre étoile. Et comme les lois physiques guident les vents des hautes pressions vers les basses pressions, un flux d’air permanent part de l’équateur vers les pôles. Mais le vent ne parcourt pas une ligne droite. Ce serait trop facile. Dans les hautes strates de notre ciel, l’air chaud tropical se refroidit et redescend bien avant d’atteindre les pôles. Ainsi se forment trois boucles de circulation atmosphérique entre l’équateur et chaque pôle. On les nomme cellules, et à l’intersection de chacune d’elles soufflent les jets. L’Europe est située sous le jet dit polaire, le plus puissant en raison du fort contraste thermique entre des masses d’air chaud d’origine tropicale et de l’Arctique.
Autre donnée importante, le courant-jet file toujours d’ouest en est. Pourquoi ? Un autre acteur de ce grand théâtre entre ici en scène : l’étrange force de Coriolis, liée à la rotation de la Terre, qui dévie les fluides – courants marins et aériens – vers leur droite dans l’hémisphère nord et vers leur gauche dans l’hémisphère sud. Le jet polaire est donc une sorte d’autoroute qui nous amène des dépressions depuis l’Atlantique en continu, sauf lorsqu’un anticyclone fait barrage.
Cette autoroute venteuse ne file pas de manière rectiligne. La force de Coriolis, en agitant l’atmosphère, déforme la trajectoire des jets. « Il faut imaginer le jet comme un fil tendu sur lequel circulent des ondes qui le font osciller », explique Fabio D’Andrea, directeur du département des géosciences à l’École normale supérieure (ENS), à Paris.
Ces ondes qui voyagent dans l’atmosphère portent le nom d’ondes de Rossby, du nom de Carl-Gustaf Rossby (1898-1957), un Suédois naturalisé Américain. Dans les années 1920, ce scientifique avait innové en mettant au point les premiers bulletins météo pour les compagnies aériennes californiennes. Juste avant la Seconde Guerre mondiale, c’est surtout lui qui va découvrir comment fonctionnent les jet-streams et quelles ondes longues circulent en leur sein.

Blocage atmosphérique
Les ondes de Rossby jouent un rôle crucial dans les situations de blocage atmosphérique qui sont parfois provoquées par les oscillations des jets. « Plus les ondes sont grosses et plus elles vont vite dans le sens opposé au vent. D’habitude, c’est le vent qui gagne et les ondulations filent avec lui vers l’est, mais parfois les ondes sont assez grosses pour rester figées et cela crée un blocage », note Fabio D’Andrea.
Une situation de blocage a lieu quand un jet crée un méandre tellement sinueux qu’il forme comme un fer à cheval, qui peut même se couper de la circulation générale. Le climatologue Robert Vautard prend pour élément de comparaison la houle marine. « La houle marine est à l’image des oscillations de l’atmosphère engendrées par la force de Coriolis, et les vagues sont la résultante d’un vent assez puissant pour faire déferler cette houle. »
Quand les ondulations du jet restent stationnaires dans un axe nord-sud, un anticyclone ou une dépression peuvent alors stagner sur la même zone pendant plusieurs jours, voire semaines. Cela provoque des vagues de chaleur, des sécheresses extrêmes ou des pluies diluviennes. La canicule qui s’est abattue sur l’Europe de l’Ouest à la fin juin 2025 a été accentuée par le maintien d’un anticyclone dans l’un des méandres du jet-stream. Vous l’aurez sans doute vu venir... une grande question agite la communauté scientifique : le changement climatique renforce-t-il ces situations de blocage atmosphérique ?


Le jet-stream polaire (en jaune) souffle entre les latitudes 40° et 60°. Habituellement, il forme de légères courbes. Les systèmes météo tendent à suivre sa trajectoire d’ouest en est.
Plus les ondulations sont prononcées et plus des zones de très basse ou haute pression se forment. Ce qui peut provoquer des vagues de chaleur ou précipitations extrêmes. Facteur aggravant, si les ondes de Rossby sont très développées, un blocage des ondulations peut se produire. Ainsi, le mauvais temps ou la chaleur stagneront sur une région.
Les courbes vers le sud (en bleu) apportent de l’air polaire vers les basses latitudes, et inversement avec les ondulations vers le nord (en rouge) qui remontent de l’air chaud.
Parfois, le jet prend une forme ondulatoire suivant les résonances des ondes de Rossby créées dans l’atmosphère lorsque la Terre tourne.
Un déplacement du jet polaire ?
Actuellement, les pôles se réchauffent nettement plus vite que les régions subtropicales. Le contraste de température entre le pôle nord et l’équateur diminue donc, ce qui devrait mathématiquement atténuer la force des jet-streams qui naissent de ces différentiels. C’était l’hypothèse dominante il y a une dizaine d’années parmi les chercheurs. Mais les modèles n’ont jamais confirmé cette tendance.
« En fait, le contraste de température n’est pas le même partout avec les continents, les océans, les glaces, il y a des variations régionales qui rendent ce gradient de température beaucoup plus complexe. Nous n’observons pas d’amplification des ondes et à peine une diminution du jet et du vent moyen », détaille Fabio D’Andrea.
Par ailleurs, le nombre de perturbations qui déferlent sur l’Europe n’a pas augmenté selon les derniers rapports du GIEC. En revanche, les dépressions et vagues de chaleur deviennent de plus en plus extrêmes. « Les phénomènes extrêmes s’amplifieraient surtout en été. Pourtant, les effets du changement climatique sont moins importants sur les pôles en été qu’en hiver », pointe Fabio D’Andrea.
Comment expliquer cette incohérence apparente ? Certains chercheurs pensent qu’un affaiblissement estival du jet provoque davantage de résonance des ondes de Rossby et donc des courbes plus prononcées. Du côté de l’ENS, une autre piste est suivie. « On s’est tout de même rendu compte que la météo sur l’Atlantique au large de l’Europe à l’ouest du Portugal a changé en été, souligne le chercheur. Plus de dépressions intenses sur cette région amènent du vent de sud pour le continent avec de la chaleur et cela semble créer une hausse locale des températures plus forte qu’ailleurs sur Terre. Et ce changement est sans doute lié à un changement de dynamique du jet. »
Les vents du sud qui font affluer de l’air très chaud depuis les tropiques contribuent de plus à former des méandres plus sinueux au-dessus de l’Europe. C’est un cercle vicieux.

L’appel du nord
Mais le jet polaire pourrait bien remonter vers le nord dans les prochaines décennies. En effet, l’air se réchauffe plus vite dans les hautes couches de l’atmosphère au-dessus de l’équateur et cette dynamique l’emporterait sur le réchauffement polaire, qui est lui plus prononcé au niveau du sol. « On n’a pas encore enregistré un déplacement du jet vers le nord, mais ce qu’on commence à observer avec certitude, c’est cette hausse des températures en haute altitude dans les tropiques, dans ce qu’on nomme la tropopause située à une altitude moyenne de 11 km », analyse Fabio D’Andrea.
Pour l’Europe occidentale et centrale, la principale conséquence d’un déplacement du jet vers le nord serait une diminution de la fréquence des tempêtes venues de l’ouest, qui survoleraient davantage la Scandinavie. Mais le climat est un immense puzzle et, à l’heure où le thermomètre continue à s’affoler, le réchauffement des eaux de la Méditerranée provoque par exemple une multiplication des tempêtes dites convectives, qui puisent leur énergie dans la différence entre la température de l’eau et celle de l’air. Un cocktail à l’origine de la catastrophe qui a frappé la région de Valence en Espagne, en octobre 2024.

Ne pas confondre gulf et jet ! L’appellation jet-stream fait écho au Gulf Stream, le courant marin chaud qui remonte depuis la Floride vers le nord des côtes américaines. Ces dernières années, la possible disparition du Gulf Stream, mise en scène dans le film Le Jour d’après, s’est invitée dans l’imaginaire collectif. Mais ce courant, finalement pas si influent pour le climat européen, n’est pas menacé. C’est en fait la dérive nord-atlantique, son prolongement dans l’Atlantique Nord, qui pourrait s’affaiblir sous l’effet du réchauffement climatique.

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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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