Des plantes folles de sel
Certaines de nos routes connaissent une invasion discrète de plantes venues des bords de mer. Ce sel qu’on épand en hiver fait donc des heureuses. Pas seulement, hélas.
Certaines de nos routes connaissent une invasion discrète de plantes venues des bords de mer. Ce sel qu’on épand en hiver fait donc des heureuses. Pas seulement, hélas.
En 2003, bloqués sur l’autoroute Lausanne-Genève, les botanistes Raymond Delarze et Franco Ciardo remarquent des fleurs blanches sur la berme centrale. Ils les identifieront comme du cranson du Danemark 1, plante fréquente des côtes de la Scandinavie jusqu'au nord de l’Espagne, mais jamais signalée en Suisse.
Un relevé floristique sur 2,5 km permettra de dénicher par la suite le plantain « corne de cerf » 2 et quelques autres curiosités qui ont en commun de bien tolérer le sel. En un mot, des halophytes.
En bord d’autoroute encore, en 2005, ce sont des spergulaires marines et des puccinellies distantes qui sont découvertes. Les deux croissent d’ordinaire dans des prés salés à l’humidité éphémère, de l’Atlantique à la mer du Nord. Puis c’est la fétuque marine, petite graminée plutôt atlantique, qui pointe le bout de ses épis.
Pas de mystère : le sel épandu sur nos routes a préparé le terrain et nos véhicules ont fait le reste en transportant des graines. Cette progression des halophytes a été observée dès les années 1980 en Angleterre, en Allemagne et aux Pays-Bas. Sans risque d'invasion massive : ces plantes, trop spécialisées pour être ici compétitives, survivent parce qu’elles bouclent leur cycle vital avant l’été. « Une dizaine d'espèces ont bénéficié du salage des routes pour pénétrer en Suisse » , estime Raymond Delarze. Seule halophyte gênante, l'allergène ambroisie a un « goût » du sel relatif : elle squatte en fait tout terrain vague assez sec.
Impact local et ponctuel
’Europe épand du chlorure de sodium depuis les années 1960, par millions de tonnes annuellement. En Suisse, selon les cantons, 10'000 à 20'000 tonnes sont déversées par hiver. Si les halophytes se régalent de cet assaisonnement saisonnier, des plantes et animaux indigènes, eux, en pâtissent. A quel degré ?
Dès lors que la neige fond et s’écoule – ou qu’elle est projetée par le trafic –, le sel rejoint le sol et s’y infiltre. « Il peut stresser les plantes en drainant leur eau à l’extérieur, par osmose » , explique Elena Havlicek, pédologue à l’Université de Neuchâtel, qui souligne toutefois l’impact très local de ce problème. Le sel gagne aussi les cours d'eau et les lacs, où la charge usuelle en chlorure est en temps normal de quelques mg/l. Mais des eaux de fonte hyper concentrées – des centaines de mg/l, voire même des milliers lorsqu'un collecteur d'eau est rattaché à une route – peuvent aussi soudain se déverser. Scénario catastrophe ? Pas nécessairement, même si poissons et amphibiens pourraient souffrir localement et ponctuellement de la sursalinité d'un milieu. Parmi les biologistes interrogés, aucun n'a souvenir d’incidents majeurs, de problèmes chroniques ou d'études de terrain inquiétantes.
Oiseaux perturbés
Un effet collatéral chez les oiseaux mérite toutefois attention. Le sel est responsable de la mort de nombreux volatiles chaque hiver. Et malheureusement pas parce qu’on leur aurait versé malicieusement du sel sur la queue…
Pas de quoi, malgré tout, inciter à lui imposer des alternatives, parmi lesquelles sable, gravier, argile, plaquettes de bois ou résidus de sucre figurent en bonne position. Aucune ne se profile en effet comme le parfait compromis entre coût, sécurité et écologie. Le sel, économique, a donc encore de beaux hivers devant lui.
Bouillon d'onze heures !
« Chez la faune aviaire ou mammifère, l'exposition aux sels de voirie provoque des effets sur le comportement ainsi que des effets toxicologiques. L’ingestion augmente la susceptibilité des oiseaux à être frappés par les voitures », souligne une étude canadienne. A la Ligue de protection des oiseaux de Belgique, l’ornithologue Jan Rodts rappelait l’hiver dernier que « les oiseaux qui boivent de l’eau salée manifestent les mêmes symptômes qu’un ivrogne : groggy, ils peuvent se retrouver sans réaction sur la chaussée ». Avec risque accru de se faire écraser. Ou, s’ils en réchappent, de succomber à un blocage des reins par excès de sel, les oiseaux, comme cette linotte n’ayant pas de vessie.
Astuce Pour l’hiver qui vient, pensez à installer et à renouveler fréquemment de l'eau dans de larges coupelles. Les oiseaux pourront s'y abreuver et s'y laver.
Pour aller plus loin
Le résumé d’une étude quantitatve canadienne :
Les aspects techniques et environnementaux du salage, vus de France
Le site de la cartographie de la flore suisse
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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