Dans les lacs suisses, la survie de l’omble chevalier est très menacée
Ce poisson de la famille du saumon pâtit des activités humaines. Pourtant, des mesures peu onéreuses peuvent favoriser ses sites de reproduction.
Ce poisson de la famille du saumon pâtit des activités humaines. Pourtant, des mesures peu onéreuses peuvent favoriser ses sites de reproduction.
En surface, le paysage est idyllique, digne des plus belles cartes postales. Sous le ciel bleu parsemé de nuages, les Alpes enneigées découpent l’horizon. Dans l’eau du Léman, agitée par une légère brise hivernale, le château de Chillon se reflète. L’eau est transparente. Mais très vite, au fur et à mesure que je m’enfonce dans les profondeurs avec mon matériel de plongée, le lac s’assombrit. Quelques dizaines de mètres plus bas, dans la pente remplie d’éboulis et de graviers, des formes longilignes s’agitent. C’est là, dans ces ténèbres, que les ombles chevaliers se sont donné rendez-vous pour s’accoupler. Les femelles argentées cherchent les galets les plus propices à abriter la future progéniture. Les mâles, au ventre orangé de désir, les poursuivent inlassablement. Leur danse nuptiale se veut avant tout efficace. La femelle se pose sur le fond, son partenaire collé à elle. Elle frétille pour expulser ses oeufs ; il se tortille pour les féconder. L’affaire est réglée en quelques secondes. L’avenir de l’espèce se joue désormais entre les interstices de cette pierraille… et il est tristement inquiétant. Partout en Suisse, les effectifs d’ombles chevaliers chutent. Dans le Léman, qui sans conteste en abrite le plus grand nombre, les statistiques de pêche sont sans appel.
Des causes multiples de déclin
En 1996, professionnels et amateurs ont sorti du Léman quelque 58 000 t d’ombles chevaliers. Un quart de siècle plus tard, moins de 8 000 t sont déclarées annuellement. Dans le lac de Neuchâtel, la situation est tout simplement dramatique. En 2021, 45 spécimens seulement y ont été attrapés. Comme toute la biodiversité, l’omble chevalier est en souffrance.

Aurélie Rubin, collaboratrice scientifique à La Maison de la Rivière à Tolochenaz (VD), vient de lancer un projet de recherche pour étudier les lieux de reproduction de l’espèce et proposer des mesures afin d’en assurer la conservation : « Les causes du déclin sont sans doute multiples. La température est un des facteurs les plus sensibles. On sait qu’au-delà de 10 °C la survie des oeufs diminue brutalement. Nous voulons également étudier la qualité de l’eau et l’influence des polluants, notamment les perturbateurs endocriniens. Et puis, bien sûr, le maintien à long terme d’une population naturelle dépend de ses sites de reproduction. Et là, nous pouvons agir rapidement et efficacement. »
Les ombles chevaliers se reproduisent entre novembre et janvier sur des substrats ayant une granulométrie entre 1 et 5 cm de diamètre, sans sédiments et à grande profondeur – entre 50 et 120 m en général dans le Léman. Mais, en raison du faible charriage de caillasse amené par les rivières, les sites peuvent disparaître. En effet, c’est en dévalant la pente à l’embouchure du Rhône et du lac que les galets et graviers nettoient et régénèrent les omblières. Mais l’artificialisation du fleuve entrave ce processus.

Des résultats rapides et très positifs « Les frayères répertoriées ne sont pas toutes d’origine naturelle aux embouchures des cours d’eau, explique Aurélie Rubin. Elles peuvent être anthropiques, comme au pied de gravières. »
C’est le cas en face d’Anières (GE), où des pêcheurs genevois ont par exemple observé des ombles. Les autorités ont voulu saisir cette occasion pour favoriser leur reproduction en offrant un habitat exempt de moules quaggas et de sédiments. Un chaland a donc déversé 300 t de matériaux. Quelques jours plus tard, l’équipe de La Maison de la Rivière a immergé son drone aquatique sur le site et découvert avec ravissement de nombreux couples d’ombles chevaliers au comportement de frai.
Ce genre d’opération, le canton du Valais en est coutumier depuis une dizaine d’années. Didier Lugon-Moulin, gardepêche cantonal tout juste retraité, a milité pour créer ces frayères : « L’efficacité est assez incroyable, les omblières sont immédiatement colonisées. Mais, si on n’apporte pas régulièrement du gravier, l’omblière se comble de sédiments et la quagga, une moule invasive, la colonise. Chaque deux ans, nous mettons donc à l’eau quelque 150 t de galets vers Saint-Gingolph. Le coût est de 15 000 CHF à peine. Il suffit de peu pour que le cycle naturel reprenne le dessus. »
Pour aller plus loin...
- Relique glaciaire
L’omble chevalier affectionne les eaux froides. D’ailleurs, son nom anglais affiche fièrement ses origines : artic char. En effet, ce poisson de la famille des salmonidés, comme la truite et le corégone, est originaire du Grand Nord. Il a colonisé les eaux de lacs européens à la fin du dernier âge glaciaire. Depuis ces temps immémoriaux, il a toujours fait partie de la faune piscicole helvétique. Le Léman est d’ailleurs sa destination naturelle méridionale la plus extrême. On le trouve parfois plus au sud ou dans des lacs de montagne, mais il s’agit là de spécimens introduits pour la pêche de loisir.


Il n’y a pas que l’omble chevalier qui se fait plus rare dans les grands lacs. D’autres poissons de la famille des salmonidés, comme la bondelle et la palée, sont de moins en moins présents dans les filets de pêche. Entre 2014 et 2023, les captures annuelles cumulées de ces deux espèces de corégones ont ainsi été divisées par... plus de 5 dans le lac de Neuchâtel. Comment l’expliquer ? Les scientifiques penchent pour un cocktail explosif : augmentation de la température des eaux, hausse des micropolluants, compétition interspécifique et raréfaction du zooplancton. On vous raconte ça de manière détaillée dans le dernier S+ à travers un article consacré à l’irruption des moules quaggas dans les lacs alpins.
Photographies © Joan Cortès

Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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