Abysses : les projets d’extraction menacent la biodiversité

Plongée dans les abysses, où la lumière peine à frayer son chemin, à la découverte d’un écosystème étonnant. Le fond des océans est hélas menacé par l’extraction de matières premières utilisées dans la fabrication d’objets technologiques.

Plongée dans les abysses, où la lumière peine à frayer son chemin, à la découverte d’un écosystème étonnant. Le fond des océans est hélas menacé par l’extraction de matières premières utilisées dans la fabrication d’objets technologiques.

Entretien avec…

Raphaël Seguin, chercheur spécialiste de la biodiversité marine à l’Université de Montpellier

Pourquoi des Etats et des entreprises font actuellement pression sur l’ONU pour lancer l’exploitation minière des grands fonds marins ?

L’intérêt pour les métaux qui s’y trouvent, principalement les nodules polymétalliques, n’a jamais été aussi élevé puisqu’ils sont utilisés dans la fabrication des batteries de smartphones ou de voitures électriques. L’île de Nauru et l’entreprise minière The Metals Company ont fait pression lors de négociations qui ont eu lieu en juillet 2023 en Jamaïque entre les pays membres de l’Autorité internationale des fonds marins, pour forcer l’adoption d’un code minier d’exploitation des profondeurs. ­Heureusement, ils n’ont pas réussi à obtenir le feu vert de cette organisation sous tutelle de l’ONU, et l’adoption d’un tel texte a été reportée à 2025.

Pourquoi les fonds marins n’ont pas été exploités jusqu’à ce jour ?

Principalement à cause de difficultés techniques, financières, et aussi légales étant donné la complexité de la mise en place d’une industrie comme celle-ci dans les eaux internationales. De plus, puisqu’ils sont utilisés dans la fabrication des batteries : c’est d’ailleurs l’un des arguments préférés des industriels miniers, qui avancent que l’exploitation minière des fonds marins est indispensable à la « transition énergétique ».

Durant les années 70, il y a eu des premiers tests d’un consortium de plusieurs entreprises minières qui ont dépensé plusieurs millions de dollars dans des prototypes. Plusieurs centaines de tonnes de nodules polymétalliques ont été remonté à la surface. Mais la mise en place de l’industrie s'était alors heurté à des difficultés légales étant donné que le statut de la haute mer était en pleine évolution à l’époque. De plus, la demande en métaux n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui et ne justifiait pas l’investissement considérable que nécessite cette industrie. De nombreuses entreprises ont attendu que les conditions deviennent plus favorables avant de ressurgir.

Récemment, certains projets ont échoué avant même d’avoir vu le jour : c’est le cas du projet Solwara I, qui avait pour projet de miner les évents hydrothermaux – des sortes de volcans sous-marins – dans les écosystèmes abyssaux de la Papouasie Nouvelle Guinée. Mais suite à de nombreuses difficultés financières, légales, et une résistance importante des communautés locales, le projet a échoué, laissant le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée avec une dette de l'équivalent de 95 millions d'euros.

Cet échec a été l’amorce de la mobilisation de plusieurs Etats du Pacifique (Palaos, Fidji, États fédérés de Micronésie, Samoa) en faveur d’un moratoire international sur l’exploitation minière des fonds marins.

Quelles sont les zones qui intéressent l’industrie minière ?

Il y a trois écosystèmes qui sont touchés : les plaines de nodules polymétalliques, les cheminées hydrothermales, et les monts sous-marins. Ce sont les plaines polymétalliques qui sont le plus dans le viseur et notamment la zone Clarion-Clipperton au large d’Hawaii, qui fait la superficie de l’Europe. Dans cette région sous-marine, il y a énormément de nodules polymétalliques, qui contiennent du manganèse, cobalt, nickel.

L’idée, c’est qu’un énorme engin qui ressemble à un tractopelle les ramasse au fond de l’eau. Puis les minerais sont remontés par une pompe et toute la terre et les sédiments ramassés sont ensuite rejetés vers 1000 m de profondeur.

On connaît assez mal la diversité des abysses. Quelle menace pèse sur cet écosystème en cas d’exploitation minière ?

Les abysses sont le plus grand habitat sur Terre, en termes de volume et de surface. C’est aussi l’écosystème le moins connu de la planète. On a de meilleures cartes de la Lune et de Mars que du fond des océans. A chaque fois qu’on envoie des sondes explorer les fonds sous-marins, entre 70 et 90% des espèces prélevées sont nouvelles.

Dans la zone Clarion-Clipperton, il y a 5 000 espèces qui ont été découvertes récemment. On ne sait pas du tout ce qui se passe dans ces profondeurs. En fait, on fait une industrie d'extraction sur un écosystème dont on ignore quasiment tout. Les conséquences sont donc difficilement mesurables. Mais ce que l'on sait, c’est que ces nodules servent d’habitat à la faune fixée, les éponges, les coraux etc. En l’absence de substrat dur au fond des océans, il faut un support sur lequel la faune puisse s’accrocher et ces nodules servent de substrat. Qui dit coraux, éponges, dit toute la faune qui y est associée, des petits poissons, des crabes, des poulpes… Si on enlève les nodules, on enlève les arbres d’une forêt et donc on détruit tout l’écosystème.

La France et la Suisse sont en première ligne contre l’exploitation des fonds marins…

Grâce à une mobilisation collective de grande ampleur, le gouvernement français, qui possède la deuxième plus vaste zone économique exclusive au monde, a aujourd’hui une position très ambitieuse à l’échelle internationale puisqu’il est pour une interdiction complète de l’exploitation minière des fonds marins.

En juin dernier, le Conseil fédéral suisse s’est aussi prononcé pour un moratoire sur l’exploitation commerciale des fonds marins. Au total, une quinzaine de pays, dont le Costa Rica, le Vanuatu ou le Chili, s’opposent activement à cette industrie et plaident en faveur d’un moratoire international.

Couverture de La Salamandre n°278

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 278  octobre - novembre 2023, article initialement paru sous le titre "L’ivresse des profondeurs"
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