© Hyène : Nick Dale / stock.adobe.com 

Lions, hyènes, ours: ces carnivores préhistoriques qui vivaient chez nous

Les représentations de prédateurs dans les grottes ornées illustrent surtout les plus dangereux et imposants d’entre eux. Tour d’horizon de ces carnivores préhistoriques qui peuplaient nos régions lors du dernier âge glaciaire, avec le paléontologue Philippe Fosse.

Les représentations de prédateurs dans les grottes ornées illustrent surtout les plus dangereux et imposants d’entre eux. Tour d’horizon de ces carnivores préhistoriques qui peuplaient nos régions lors du dernier âge glaciaire, avec le paléontologue Philippe Fosse.

Philippe Fosse, quel est le quotidien d’un spécialiste des carnivores préhistoriques ?

J’étudie les prédateurs dans toute leur diversité, surtout grâce aux ossements, aux collections de musées, aux résultats de fouilles archéologiques… Mais aussi de manière interdisciplinaire avec mes collègues spécialistes de l’art pariétal, par exemple, pour relier les environnements naturels et culturels. Concrètement, j’essaie de reconstituer la vie de ces animaux éteints : apparences, dimensions, comportements, quand et pourquoi ils ont disparu ou encore leurs interactions avec les humains présents sur les mêmes sites.

Philippe Fosse, paléontologue, spécialiste des carnivores, notamment des carnivores préhistoriques.
Philippe Fosse est paléontologue, spécialiste des carnivores, rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Aix-en-Provence, membre de l’équipe de recherche sur la grotte Chauvet-Pont d’Arc. / © Philippe Fosse

Comment décririez-vous le peuplement des grands mammifères vivant entre les actuelles Paris, Genève et Madrid ?

On est dans un contexte global glaciaire, donc beaucoup plus froid et moins forestier qu’aujourd’hui.
À part sur le pourtour de la Méditerranée, le paysage ressemble à l’environnement subarctique ou arctique actuel. Dans ces ambiances qui présentent quand même des variations selon les latitudes, les reliefs et les oscillations climatiques, on trouve des lions, hyènes, gloutons, loups ou encore ours au milieu de leurs multiples proies que sont les mammouths, rhinocéros laineux, bisons, rennes et antilopes saïgas, entre autres. En fonction des périodes plus ou moins glacées, la faune du froid descend jusqu’au nord de l’Espagne ou, au contraire, remonte plus au nord et vers l’est.

C’est incroyable d’imaginer des lions dans nos régions… Qui étaient-ils ?

En effet. C’est d’ailleurs une des espèces parmi les mieux représentées à Chauvet, avec 75 ­illustrations sur les 150 connues dans l’art pariétal européen. Le lion des cavernes apparaît il y a environ 250 000 ans dans une lignée évolutive probablement venue d’Afrique un million d’années en arrière. Pesant jusqu’à 350 kg, il était plus massif que les lions actuels – maximum 180 kg pour le lion d’Asie et 225 kg pour son cousin d’Afrique. L’art pariétal nous indique qu’il n’avait pas de crinière. Les dessins suggèrent qu’il avait peut-être la face bicolore, assombrie pour limiter l’éblouissement dans les environnements blancs. Son association dans l’art pariétal avec ses proies, tels les bisons, les chevaux ou les rennes, fait justement penser à l’association que l’on observe aujourd’hui entre le lion d’Afrique, les zèbres, les buffles et les gazelles.

Reconstitution d’un lion des cavernes, parmi les grands carnivores préhistoriques, dans une exposition en Allemagne.
Reconstitution d’un lion des cavernes dans une exposition en Allemagne. / Le lion des cavernes a disparu assez tardivement et à peu près en même temps en Europe, en Sibérie et en Amérique du Nord, vers - 12 000 ans. / © imageBROKER / Alamy

Pourquoi et quand a-t-il disparu ?

Je pense que le lion des cavernes était en bout de course évolutive et ne présentait que des isolats géographiques qui n’ont pas résisté aux variations incessantes du climat. Il aurait donc disparu assez tardivement de façon naturelle, vers - 12 000 ans, à peu près en même temps en Europe, en Sibérie et en Amérique du Nord. Notez qu’après une absence de lions durant quelques millénaires arrive, vers - 5 000 ans, dans nos régions et sous un climat plus chaud, le lion de Perse, proche du lion actuel.

Le tigre à dents de sabre a-t-il existé ici au Paléolithique ?

Deux mentions récentes ont bouleversé notre connaissance au sujet des machairodontes – terme regroupant les félins à dents de sabre – en Eurasie. Une mâchoire datée d’environ - 30 000 ans retrouvée en mer du Nord et un bébé conservé dans la glace en Yakoutie, daté de - 35 000 ans. Il n’en reste pas moins que ces animaux étaient rarissimes sur le continent à cette époque. Et il ne s’agissait pas du célèbre smilodon des dessins animés, prédateur redoutable du continent américain.

La panthère est parfois représentée dans les grottes telles que Chauvet. Était-ce la panthère des neiges ?

Non, il s’agissait grosso modo de la même espèce que le léopard actuellement présent de l’Afrique à l’Asie. Sa présence reste discrète pour nous, paléontologues. On ne connaît pas de tanières avérées, seulement quelques dents perforées par les humains, de rares os ou fragments d’os… La panthère reste en filigrane dans le cortège faunique de l’époque. Elle aurait disparu autour de - 30 000 ans. La présence de la panthère des neiges est avérée dans l’est des Alpes avec une datation incertaine.

Il y a actuellement débat et nouvelle identification de certains crânes pour savoir si elle a atteint nos massifs d’Europe occidentale.

Les deux lynx, ibérique et boréal, ont été retrouvés ensemble sur un site espagnol

Qu’en était-il de notre cher et relativement gros félin le lynx ?

Rarissime du point de vue paléontologique. Le lynx des cavernes était en réalité une sous-espèce du lynx ibérique – ou pardelle – actuel et vivait dans la partie méridionale de l’Europe, dont la France. Quant au lynx boréal, on pense qu’il a une histoire évolutive très courte de 100 000 ans, il laisse peu de traces sur la période du Paléolithique et il ne fait pas partie du bestiaire glaciaire rencontré couramment par les humains dans l’Europe steppique. Fait remarquable identifié grâce à l’ADN ancien, les deux lynx, ibérique et boréal, ont été retrouvés ensemble sur un site espagnol daté entre - 12 000 et - 15 000 ans. Ils ont dû cohabiter un temps et localement avant que le lynx ibérique ne recule vers le sud de la péninsule, où il vit encore actuellement.

Lire aussi: Angel Hidalgo Garrido, photographe du lynx ibérique blanc, (se) raconte

Lynx ibérique.
Lynx ibérique / © Lynx : Hemis / Alamy 

Notre imaginaire actuel voit la hyène comme symbole de la savane africaine, mais elle a été illustrée dans les grottes européennes. Elle était adaptée au froid ?

Oui et c’était un des prédateurs les plus abondants à une certaine époque. La hyène des cavernes était une sous-espèce de la hyène tachetée que l’on trouve en Afrique aujourd’hui. Cet animal redoutable occupait les cavités pour mettre bas et de nombreuses tanières sont connues. Dans ces sites, on trouve d’innombrables restes : ossements de tous âges, dents de bébés, déjections fossiles nommées coprolithes, énormément de restes de proies typiquement perforés, croqués, digérés. Parfois avec des ossements d’hommes de Néandertal. La relation humain-hyène a été faite de compétition, prédation réciproque et évitements. On connaît une douzaine d’occurrences de prédation par les humains sur les hyènes. Le préda­teur à la mâchoire ultrapuissante a globalement disparu vers - 31 000 ans, mais possiblement plus récemment (- 23 000 ans) entre la Meuse et le Rhin. On pense que son extinction en Europe est naturelle, provoquée par les difficultés d’adaptation aux fluctuations climatiques.

La redoutable hyène des cavernes, qui occupait les cavités pour mettre bas.
La redoutable hyène des cavernes occupait les cavités pour mettre bas. De nombreuses tanières préhistoriques sont connues en Europe. / © Hyène : Nick Dale / stock.adobe.com 

Le loup est le grand absent, ou presque, de l’art pariétal. Ce prédateur fascine pourtant l’être humain de longue date ?

Un loup gris plus robuste qu’aujourd’hui vivait en effet à cette époque et il est communément identifié dans les vestiges paléontologiques. Il occupait de petites tanières où l’on trouve des restes de proies d’herbivores plus modestes que pour les espèces citées auparavant : cerfs, daims, chevreuils, bouque­tins. Les os des proies sont nettement moins altérés que dans le cas de la hyène. En plus d’être rare dans l’art pariétal, son identification pose problème à cause des autres canidés présents, comme le renard et le chien. En effet, la domestication du chien est authentifiée dès - 17 000 ans. Mais pour les périodes antérieures, des travaux se penchent sur la présence de chiens archaïques ou de loups apprivoisés compliquant encore l’identification. À l’image de cette empreinte si loin en profondeur dans la grotte Chauvet qu’une présence spontanée semble discutable. Est-ce le pas d’un canidé accompagnant des humains ? La rareté de sa représentation est peut-être explicable par le fait qu’il impressionnait moins que les ours, lions et hyènes et que, par la relation de domestication en cours, il était moins associé au sauvage que les autres carnivores.

Et les renards ?

Le renard polaire, toujours présent dans l’Arctique, est descendu par moments jusque dans le nord de l’Espagne, mais il était rare et en limite d’aire de réparti­tion. Des gisements en Allemagne montrent des centaines de restes accumulés, traduisant probablement des activités liées à la récupération de la fourrure par les humains. Il cohabitait avec le renard roux et leurs ossements et dents sont bien identifiables. En art pariétal cependant, les représentations sont rares et la distinction des espèces rendue délicate.

Renard polaire.
Renard polaire / © Renard : NPL / Alamy

Concernant les petits carnivores préhistoriques, très discrets dans l’art pariétal, qui étaient-ils ? Y avait-il une martre des cavernes par exemple ?

Non. Les mustélidés connus au Paléolithique supérieur étaient les mêmes qu’aujourd’hui : fouine, belette, glouton, blaireau, etc. Leur taille modeste doit expliquer leur rare mise en valeur dans le bestiaire pariétal. Le glouton apparaît sur des plaquettes d’art mobilier, le blaireau n’est pas connu pour avoir été illustré. Il y a évidemment le cas remarquable de la belette du réseau Clastres à Niaux.
L’art pariétal met en scène les carnivores de grande taille impliqués dans des rapports ­prédateurs-­proies impressionnants pour les humains. L’ours pour le monde des grottes, les lions et les hyènes pour le monde extérieur.

Votre sujet de prédilection, c’est l’ours des cavernes…

Oui, plus particulièrement dans la grotte Chauvet-Pont d’Arc, en Ardèche, qui abrite de nombreux restes. Je m’intéresse aux rythmes d’occupation de la cavité, l’alternance ou non de leur présence avec celle des humains, les bauges – sortes de couches –, les griffades… Et puis, il y a ce crâne posé sur un bloc rocheux entouré d’autres spécimens sur le sol, qui réveille des questions anciennes sur la supposée adoration de l’ours des cavernes par les premiers humains d’Europe.

Était-il l’ancêtre de l’ours brun ?

Pas du tout. La division en deux lignées à partir de leur ancêtre commun serait née il y a 1 ou 1,5 Ma. L’ours brun est rarissime dans les témoignages paléontologiques des temps glaciaires. De rares fragments de mandibules ou d’os ont été ­trouvés ici ou là. En revanche, les restes d’ours dits des cavernes, dont ceux de la forme ancestrale l’ours de ­Deninger, de très grande taille, sont très nombreux. C’est vers - 300 000 ans qu’apparaît dans toute l’Europe l’ours des cavernes (Ursus spelaeus). Certaines grottes abritent des restes de centaines d’individus, sachant que les animaux qui meurent au sein de la cavité ne sont qu’une infime partie des populations. Deux cents crânes ont été par exemple dénombrés à Chauvet. Cela est à mettre en relation avec la durée d’occupation de la grotte.

On estime à presque 3 000 le nombre de grottes abritant des restes d’ours des cavernes en Europe. La bête a une morphologie différente avec une bosse frontale typique que l’on retrouve sur les peintures rouges d’ours à Chauvet. Sa taille est au moins aussi imposante que celle des kodiaks ou ours polaires actuels avec une moyenne de 450 kg et atteignant peut-être 800 kg. Sa hauteur de 1,20 m au garrot est bien identifiable sur les parois calcaires lissées par leur passage dans les grottes.

Des restes d’ours des cavernes, parmi les grands carnivores préhistoriques.
On estime à presque 3 000 le nombre de grottes abritant des restes d’ours des cavernes en Europe. / © J.-M. Geneste / Centre national de Préhistoire / Ministère de la Culture

Que faisait-il dans les grottes ?

Il hibernait au plus profond des cavités, dans un contexte de température stable, loin de la lumière et des prédateurs. Les hyènes et les lions ne vont en effet pas si loin. Chauvet mesure 500 m, la plupart des indices sont dans la partie la plus enfouie. À Rouffignac, en Dordogne, on peut trouver des griffades et des bauges à 500 m de l’entrée. Il est illustré dans l’art pariétal, comme à Chauvet où on dénombre une quinzaine d’ours. Les humains sont venus dessiner dans le monde des ours. Ils ont parfois effacé des griffades pour dessiner et, inversement, leurs œuvres ont été griffées. Les artistes venaient probablement à la belle saison tandis que les ours occupaient les lieux au cœur de l’hiver.

Quand disparaît-il ?

Au regard des gisements fossiles, on pense que le pic d’occurrence de cette espèce spécialement adaptée aux massifs karstiques européens se situait vers - 40 000 à - 35 000 ans. Son extinction relativement soudaine se serait jouée entre - 30 000 et - 25 000 ans. Concernant les causes, deux hypothèses sont discutées. La première incrimine les humains modernes qui auraient mis la pression sur les biotopes en occupant aussi les grottes. Les indices de chasse sont rares, on dispose d’une soixantaine seulement de preuves de sa consommation par l’homme moderne sur les 3 000 grottes à ours connues. La seconde hypothèse d’extinction pointe là encore l’essoufflement des capacités d’adaptation aux changements climatiques.

Quel est votre regard sur la relation actuelle des humains avec les grands prédateurs en Europe ?

Les conflits hommes-prédateurs existent depuis la nuit des temps. À la Préhistoire, Homo sapiens était cependant nettement moins abondant et rentrait en compétition surtout pour accéder à des abris et pour assurer sa survie. Aujourd’hui, c’est en occupant de plus en plus d’espaces naturels et en défendant son activité d’élevage que l’humain combat le prédateur et qu’il l’a en grande partie éradiqué au XIXe siècle. Les extinctions de prédateurs au Paléolithique étaient avant tout naturelles, aujourd’hui elles sont la conséquence d’une volonté délibérée.

Empreinte d’ours des cavernes
Empreinte d’ours des cavernes / © Jean-Michel Geneste / CNP / MC
Couverture de La Salamandre n°291

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 291  Décembre 2025 - Janvier 2026, article initialement paru sous le titre "Carnivores, fin de l’âge d’or"
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