Carnet d’une résidence
Neuf peintres animaliers et une céramiste se sont immergés dans la forêt des salamandres, près de Genève. Coulisses d'une semaine de création..
Neuf peintres animaliers et une céramiste se sont immergés dans la forêt des salamandres, près de Genève. Coulisses d'une semaine de création..
Lundi 23 avril 2018, 11h
La forêt des salamandres, c'est aujourd'hui ! En cette fin de matinée, nous terminons les préparatifs dans le centre scout situé en lisière de forêt. Ce sera notre camp de base toute la semaine. En France, des résidences réunissant des artistes naturalistes ont déjà été organisées à plusieurs reprises. En Suisse, c'est une première ! Comme terrain de jeu, nous avons choisi une belle forêt de la campagne genevoise, un petit paradis encore riche en salamandres. Côté symbole, cet endroit est situé à seulement 7 km de l'atelier de Robert Hainard, ce visionnaire qui a commencé à observer et à peindre les animaux il y a 80 ans. Les Suisses et les Français invités pour l'occasion sont tous ses héritiers, d’une manière ou d’une autre.
Je suis un peu nerveux. Tout va-t-il bien se passer ? Mais je me réjouis aussi de voir les créations de ces talents réunis.
Lundi 17h
De Bretagne, de Vendée, de Gruyère ou de Zofingue, ils sont tous arrivés avec leurs crayons, leurs jumelles, leurs boîtes d'aquarelles et leurs grandes feuilles. Tous ou presque. Pas de grand bloc pour Catherine Chaillou, céramiste animalière experte du raku. L’artiste berrichonne s’immergera dans la forêt comme les autres, mais elle dessinera uniquement sur un petit carnet. Ses esquisses prendront du sens de retour à l’atelier, quand elle modèlera la terre, substance de ses futures créations. Puis qu'elle les soumettra à l'épreuve du feu.
Après le repas d’accueil, nous allons tous explorer la forêt fleurie. Que c’est beau, le mois d’avril ! Inquiétude soudaine dans le groupe : « Regardez, les petits ruisseaux sont à sec ! » Heureusement, ici ou là subsistent encore quelques vasques d'eau claire qui grouillent de larves de salamandres. Les artistes dévorent la nature des yeux, posent mille questions et observent mais personne ne crayonne encore. Ce sera pour demain.
La forêt, les ruisseaux, le printemps, ils pourront les peindre à coup sûr. Mais parviendrons-nous à voir une seule salamandre adulte ? La météo annonce un temps chaud et terriblement sec toute la semaine. Ça n’est pas gagné !
Mardi 7h
Au petit-déjeuner, Jacques Laesser, Maeva Arnold et Jérôme Gremaud racontent leurs aventures de la veille au soir. De nuit, les trois artistes sont retournés auprès des vasques aux salamandres. Dans la lumière de leurs lampes frontales, ils ont trouvé les larves encore plus nombreuses et actives que de jour. Avec elles, tout un monde de phryganes dans leurs maisonnettes et de minuscules crevettes. Quelques crapauds, deux belles grenouilles rousses. Puis ils ont longuement ratissé le sous-bois sans trouver hélas une seule bête noire et jaune.
Mardi 11h
Six artistes travaillent en silence, dispersés le long d'un filet d'eau. C'est magnifique de les voir concentrés dans la lumière du matin. Certains focalisent leur attention sur le bestiaire aquatique. D'autres se lancent dans la réalisation de paysages impressionnistes. Jérôme Gremaud a même pris son chevalet en bois. La forêt nous enveloppe. C'est merveilleusement tranquille.
Peindre la nature, c'est une activité un peu magique, à mille lieues des photos et vidéos avec lesquelles on nous gave sur Internet. Un dessin, ça prend du temps, ça doit se construire trait après trait, il faut s'imprégner de la vie que l'on saisit dans l'instant. J’aime cet art patient. Il est dans l'ADN de La Salamandre.
Mardi 14h
A table ce midi, débat au sujet des repas. Les artistes décident de pique-niquer en soirée, pour se donner la liberté de peindre et d'observer en fin de journée. Le groupe se réunira désormais chaque jour à 12h30 pour manger chaud et échanger. Conceptrice de l'expo collective du Festival Salamandre de cet automne et organisatrice de cette résidence, l'artiste gruérienne Gisèle Rime en profite pour présenter les grandes lignes de la scénographie à venir. Ambiance tamisée pour rappeler le crépuscule, l’heure des salamandres. Eau, feuilles sèches et bois mort pour amener des éléments essentiels à ces amphibiens au cœur de l’exposition… Les idées fusent : « Et si on peignait en live sur de grands panneaux pendant le festival ? »
Dès la fin des discussions, la forêt avale le groupe une fois de plus. On se disperse, on se perd, on se retrouve parfois, entre les reflets de l'eau, l'éclat des pétales du populage, le chant des fauvettes et du coucou. Je vais de l’un à l’autre sur la pointe des pieds, je filme, je pose quelques questions, j’essaie de ne pas trop déranger… La litière est sèche, archi-sèche. Tout le monde se résoud à l'idée que nous ne croiserons probablement pas de fée noire et jaune cette semaine. Nous cherchons malgré tout jusqu'à la nuit.
Mercredi 9h30
Hier soir, alors que la plupart d’entre nous rentraient à la base, Yann Le Bris et Jean Chevallier ont persévéré avec leur lampe frontale le long du seul ruisseau encore actif. Qui sait, la fraîcheur du soir suffirait-elle dans le petit vallon ? Tout à coup, le miracle s'est produit. Yann a aperçu une bête installée sur un lit de sable au bord de l'eau. Son gros ventre ne pouvait sans doute plus attendre pour libérer une partie de sa progéniture.
Au bout d’un moment, la salamandre a expulsé un petit paquet qui a aussitôt filé dans le courant. Dix centimètres en aval et la larve dégagée de son enveloppe a commencé à nager dans l'onde cristalline. Quelques minutes plus tard, la femelle donnait naissance à une deuxième larve. Que la vie est belle !
Ce matin, pendant le petit-déjeuner, tous les artistes se montrent leurs carnets. C'est extraordinaire de voir la diversité des styles. Même sur un sujet aussi précis qu'une larve de salamandre, chacun met sa patte. Et puis, les beaux croquis de la maman salamandre rapportés par Jean et Yann font des envieux. Ce soir, la majorité d’entre nous retournera pleins d'espoir à cet endroit précis.
Mercredi 16h
Toute la journée, la forêt à nouveau, les ruisseaux, les feuilles, les oiseaux. Les artistes ont disparu dans les bois. Et tout à coup je repère une femme, adossée à une souche. Elle dessine des fougères. Plus loin, un homme ayant posé une grosse planche contre un tronc reproduit sur ce support brut des mousses, des remous et des bébés salamandres. Cadeau !
La forêt est une grande éponge. Les crues de mars ont gorgé d'humidité l'humus et la litière. Puis trois semaines sèches ont transformé les lieux. Quelques bassins d'eau claire concentrent toute la vie aquatique… et tout l'espoir des salamandres.
Mercredi 21h30
La nuit venue, nous retournons prospecter en nous divisant en deux équipes, pour augmenter nos chances. Nous avançons tout doucement en scrutant le ruisseau et ses berges avec nos lampes. C'est incroyable combien de petits mondes de galets, de géraniums et d'herbes peuvent prendre du relief dans le faisceau d'une simple torche. D’autant plus qu'on a le cœur qui bat, l'envie folle de découvrir à chaque seconde un jouet de plastique noir et jaune mettre bas dans un mince filet d'eau. C'est très beau, très intime, comme spectacle.
Au bout d'une heure d'intenses recherches, nous repérons une salamandre adulte au bord de l'eau. A notre approche, la bête se cache derrière une racine. Les artistes s'asseyent et la dessinent en s'aidant d'une lampe rouge pour ne pas la déranger. La salamandre reste immobile pendant plus d’une demi-heure. Puis l'exploration reprend. Pas un spécimen de plus, alors que la dernière fois que je suis venu ici, j'en ai vu des dizaines. Mais il pleuvait.
Jeudi 13h
Ce matin, les artistes ont élargi le spectre de leurs sujets. Sur leurs feuilles étalées sur de grandes tables, je vois apparaître le cincle plongeur, le nid de la mésange nonnette, le pouillot fitis, l'écureuil. Encres de Chine tracées au bambou, aquarelles grand format, études détaillées, carnets de croquis… La diversité de la vie sublimée par la pluralité des styles.
Jeudi 19h
Cet après-midi, Yann Le Bris et Jean Chevallier sont retournés de jour là où ils avaient vu pondre la salamandre. Ils ont tenté leur chance en éclairant plusieurs trous de rongeurs contre le talus du ruisseau. Coup de lampe dans une première galerie, une deuxième, troisième, quatrième… Dans la cinquième enfin se tenait dissimulée une bête noire et jaune. D’après les taches de son corps, il s'agissait très probablement d'un autre individu que la grosse maman de mardi soir.
Jeudi 20h
Soirée publique sur le thème des salamandres destinée aux habitants du village avoisinant. En compagnie des autres partenaires du projet, nous accueillons le public, présentons les mœurs de cet animal extraordinaire ainsi que les menaces qui l'assaillent dans le bassin genevois. Puis les visiteurs sont guidés dans les bois pour une balade nocturne dont ils se souviendront ! Sûr qu’ils envisageront désormais différemment la forêt toute proche de chez eux.
Vendredi 10h
Dernière visite déjà un peu nostalgique aux vasques à salamandres, ces piscines poétiques sur lesquelles les peintres ont concentré toute leur attention pendant cette semaine. C'est l'heure de prendre congé, de remercier la forêt. D'adresser une prière au ciel pour une pluie prochaine. Que tous ces bébés aquatiques terminent leur première vie et puissent passer, le moment venu, à une existence terrestre. Bonne chance, les petites !
Vendredi 13h30
Retour au camp de base pour le repas commun final. Chaque artiste étale au soleil, sur une grande table ses créations de la semaine. Magique ! On voit apparaître des pans de forêt en toute fraîcheur, des filets d'eau qu'on entend presque murmurer, un étrange peuple aquatique, quelques salamandres adultes, une mère noire et jaune en train de donner la vie. Des tableaux achevés. Mais également d'innombrables croquis et études à rapporter à l'atelier pour imaginer de beaux prolongements.
Quel trésor ! Merci, les artistes. On se réjouit d’admirer le meilleur de ces œuvres dans une grande exposition de 350 m2 au Festival Salamandre du 26 au 28 octobre. Le film La forêt des salamandres présente tous les artistes et raconte cette belle semaine.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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